Dans son nouveau roman, Martin Winckler a imaginé l’hôpital de l’avenir où tout le monde aimerait être soigné. Un centre hospitalier communautaire où l’on pratique une médecine fondée sur l’écoute du patient, où les contacts physiques « bienveillants » font partie intégrante de l’approche soignante. Utopie médicale et sociale, L’École des soignantes est une œuvre féministe et anti-patriarcale qui se classe sans contredit parmi les titres les plus marquants de l’écrivain.

À Tourmens, ville fictive de France, l’année 2024 voit naître un hôpital-école expérimental, progressiste, inclusif et égalitaire. « Sans infirmières et sans médecins ». Inconcevable ? Absolument pas, selon Martin Winckler, mais tout à fait possible. « Ce n’est pas une question de moyens, mais de décisions politiques », explique l’écrivain, qui a été médecin en France jusqu’à ce qu’il s’installe à Montréal, il y a 10 ans.

Bien qu’un tel centre hospitalier n’existe pas, tout ce qui y est décrit – une clinique psychiatrique « qui n’attache pas et n’assomme pas ses patients », des patients partenaires qui enseignent… – a été extrapolé à partir de réflexions, de projets ou d’expérimentations qui ont déjà été menés, précise-t-il.

Le cœur de l’histoire se situe dans le service des « souffrances psycho-cognitives » de l’hôpital, secteur où Martin Winckler a fait son premier stage d’étudiant en médecine, il y a près de 40 ans, et où il place son personnage principal.

« Dans ce service de psychiatrie pour femmes, j’ai été sensibilisé d’emblée non seulement à ce que c’était que la maladie mentale, mais aussi à ce qu’était la violence contre les femmes, à cause d’une femme que j’ai rencontrée et qui était là parce qu’elle avait fait une tentative de suicide. Elle avait une histoire familiale, sociale, sexuelle et médicale telle qu’elle n’avait pu faire autrement que de lancer un appel au secours en se tailladant les veines. »

Soigner les femmes

L’École des soignantes, ce sont principalement des femmes qui soignent des femmes. « Ce sont aussi des femmes qui ont pensé l’hôpital, parties du principe que si on soigne les femmes correctement, on va soigner tout le monde correctement – parce que les femmes ont plus de besoins de santé. Il faut redéfinir la physiologie et il faut le faire à partir du corps des femmes », dit-il. Une réflexion qu’il a mis toute sa carrière à élaborer. « Je n’aurais pas su écrire ce livre il y a 30 ans. »

Encouragé par le grand succès auprès de ses lecteurs de son roman Le chœur des femmes, paru en 2009, Martin Winckler a fait revivre des personnages centraux de son œuvre 25 ans plus tard, dans un hôpital dont il aimerait voir la création. Un lieu de médecine non invasive avec plus de soutien social, d’information, de prévention et de participation des patients, mais moins de technologie et de médicaments. Où peu importe que ses protagonistes soient asexuels, intersexués, transgenres, lesbiennes ou hétéros. « Dans ce monde-là, ce n’est pas un problème. Elles sont ce qu’elles sont et elles ont un but commun, elles y travaillent ensemble et la question de leur identité ne se pose pas », insiste-t-il.

Ensemble, ces soignantes dénoncent la marchandisation de la santé et sont parvenues, par l’entremise d’un effort communautaire, à éliminer la hiérarchie sociale qui mine les professions de la santé. « La plupart des gens qui font obstruction [à un tel système], ce qui les intéresse, c’est le pouvoir, ce n’est pas le bien-être de la population. Or, la santé, c’est fait pour la population. »

Entre plusieurs projets d’écriture, Martin Winckler enseigne, mais il a tiré un trait sur sa carrière de médecin en s’installant au Québec. Et il ne songerait jamais à tremper dans la politique. Il préfère plutôt s’exprimer à travers ses romans – lus dans un grand nombre de facultés de médecine en France. Il espère ainsi que les façons de faire évoluent grâce à la sensibilisation des jeunes soignants.

« Je suis un optimiste réaliste : on ne peut pas changer le monde, mais on peut essayer d’agir sur ce qu’il y a autour de soi. »