Avant le génocide rwandais, Marie-Josée Gicali vivait dans une belle maison sur une colline, près du lac Kivu, au sein d'une grande famille aimante. Trois mois et près de 800 000 morts plus tard, il ne lui restait plus qu'un frère, son père, et une colline déserte... en plus de sa propre vie, sauvée miraculeusement. Aujourd'hui, elle publie un livre qui raconte son histoire, afin que les gens se souviennent, et que ses enfants sachent. Entrevue.

Le 7 avril 1994. Cette journée a marqué le début des 100 jours du génocide au Rwanda, où la majorité hutu a entrepris d'éliminer, méthodiquement, la minorité tutsie. Chaque jour, les miliciens formés par l'armée du gouvernement et la garde présidentielle ont tué les Tutsis - ainsi que des Hutus modérés - à la machette ou au gourdin, en perpétrant le génocide le plus rapide de l'histoire.

Marie-Josée Gicali, une Tutsie, a survécu par miracle au massacre. Elle a toutefois perdu la grande majorité de sa famille et de nombreux amis. Aujourd'hui, elle a refait sa vie : elle a déménagé au Québec il y a 20 ans, où elle a terminé ses études ; elle s'est aussi mariée à un Québécois, avec qui elle a eu deux enfants. Mais les souvenirs du passé sont impossibles à effacer et, un quart de siècle plus tard, elle a senti le devoir de raconter le fil des événements, comme elle les a vécus.

« Pour moi, ce livre, c'est comme une sépulture », affirme Marie-Josée Gicali, jointe au téléphone à Saint-Jérôme, où elle réside.

« C'est un devoir de mémoire envers les victimes. Je me disais que si je ne laissais pas de traces, que je ne racontais pas ce que j'ai vécu, personne d'autre ne le ferait. »

Mais d'abord et avant tout, ce livre existe pour sa fille de 15 ans et son garçon de 11 ans. « Je voulais que mes enfants sachent. Ils grandissaient et je faisais souvent face à leurs questions, poursuit-elle. C'est pour eux, mais aussi pour la nouvelle génération, ceux qui sont nés après. »

Malgré l'importance de transmettre cette histoire, il n'est pas évident pour les rescapés de raconter ce qu'ils ont vécu, souligne Marie-Josée Gicali. « C'est impossible d'avoir le temps de tout raconter, et ça ne sort pas toujours comme on le voudrait. C'est difficile de trouver les mots justes. »

Coucher les mots sur papier s'est avéré la meilleure façon qu'a trouvée Marie-Josée Gicali de témoigner de son histoire, et de prendre le temps de la raconter à sa manière.

Trois mois de cavale

Retour 25 ans en arrière, en avril 1994. Marie-Josée Gicali a alors 29 ans, elle étudie à l'université, et elle rentre à la maison pour le congé de Pâques. Alors qu'elle est partie visiter des amis dans la capitale Kigali, l'avion du président rwandais est abattu, ce qui met le feu aux poudres et sonne le début des massacres. Terrorisée, elle se réfugie dans une communauté religieuse, le centre Saint-Paul, et est gravement blessée au bras par une balle perdue. Elle passe les trois mois suivants avec les mêmes vêtements, en compagnie d'autres réfugiés tutsis, sans nouvelles de sa famille. Mais à sa propre surprise, elle s'en sort vivante.

Elle apprend progressivement que les membres de sa famille n'ont pas tous eu la même chance. Sa mère et sa cousine Primitiva ont été abattues, ainsi que son petit frère Albert. Son père, qui était parti cacher les vaches dans les hautes collines du Bisesero, a survécu par miracle aux massacres - des dizaines de milliers de Tutsis ont été tués dans cette région. Après la fin du génocide, elle retrouve son père à Kigali, ainsi que son autre frère, Philibert, qui n'était pas au pays lors des événements.

Un an plus tard, elle retourne sur la colline de son enfance, là où plus rien ne subsiste, puisque la maison familiale a été démolie. L'objectif du génocide n'était pas uniquement de tuer les Tutsis, mais aussi de les rayer de la carte, précise Mme Gicali. « Ils tuaient les gens, puis ils détruisaient toutes les maisons. Symboliquement, c'était comme de dire : "Vous n'existez plus, c'est fini." » Sur les lieux, elle n'a trouvé que quelques pierres de son ancienne maison. Elle n'a jamais pu enterrer les membres de sa famille non plus, puisque leurs corps n'ont pas été retrouvés. Ce livre est donc une façon de leur rendre hommage, en laissant une trace de leur passage.

Devenue docteure en sciences de l'éducation à l'UQAM, elle s'intéresse à l'éducation pour la paix auprès des jeunes en plus de s'impliquer dans l'organisme PAGE-Rwanda (l'Association des parents et amis des victimes du génocide contre les Tutsi du Rwanda). C'est ce qu'elle considère comme sa mission. « Je ne veux pas partir de cette Terre sans avoir fait quelque chose pour l'humanité, pour la société. » Avec son livre, elle s'assure ainsi que jamais personne n'oubliera.

On n'oublie jamais rien - Le génocide comme je l'ai vécu. Marie-Josée Gicali. Les Éditions Hurtubise. 240 pages. 24,95 $.

Soirée de commémoration

Le 6 avril, Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) organise une soirée de commémoration. On y projettera en avant-première un film d'Alain Stanké où figure Marie-Josée Gicali (Rwanda, après le sang, l'espoir). M. Stanké et Mme Gicali seront d'ailleurs sur place. En collaboration avec Vues d'Afrique, PAGE-Rwanda et Productions Avanti.

À la Grande Bibliothèque, 475, boul. De Maisonneuve Est, Montréal

Consultez le site de la BAnQ.

Survivre à l'infanticide

En ce triste anniversaire, plusieurs témoignages de survivants affluent. Albert Nsengimana est de ceux-là. Né d'un père tutsi et d'une mère hutu, il n'avait que 7 ans lorsqu'il a échappé de justesse au massacre de sa famille... orchestré par sa propre mère. Seul survivant de sa fratrie, il raconte dans ce livre son histoire, écrite en collaboration avec Hélène Cyr, une ingénieure québécoise ayant participé à la reconstruction du Rwanda. On le verra aussi dans le documentaire d'Alain Stanké.

IMAGE FOURNIE PAR LES ÉDITIONS HURTUBISE

On n'oublie jamais rien - Le génocide comme je l'ai vécu, de Marie-Josée Gicali

Ma mère m'a tué - Survivre au génocide des Tutsis au Rwanda. Albert Nsengimana. Éditeur Hugo Doc. 160 pages. 22,95 $.

IMAGE FOURNIE PAR HUGO DOC

Ma mère m'a tué - Survivre au génocide des Tutsis au Rwanda, d'Albert Nsengimana