« Ça faisait 50 ans que je voulais écrire Soif », a déclaré cette semaine Amélie Nothomb sur les ondes de France Inter. Depuis l’âge de 3 ans, donc. Bien avant que naissent Hygiène de l’assassin, Péplum, Stupeur et tremblements et ses 24 autres romans. Œuvre-événement ? Oh, bien plus que cela, selon l’écrivaine belge : « C’est le livre le plus important de ma vie. »

Un livre qui raconte l’histoire de Jésus. Plus précisément, celle de sa crucifixion. La Passion du Christ. Que Mel Gibson a retracée au cinéma, avec Jim Caviezel dans le rôle-titre. Que Martin Scorsese a également dépeinte, avec Willem Dafoe portant la croix. Que Franco Zeffirelli a racontée dans le classique des classiques, Jésus de Nazareth.

À l’instar de ces œuvres populaires, le fils de Dieu tel qu’imaginé par Amélie Nothomb n’est pas un Jesus Christ Superstar. C’est plutôt un JC un peu gourmand, un peu colérique — et pas que face aux marchands du Temple. Il a des désirs, il fait des erreurs. Il aime dormir, il n’aime pas les mariages. Il ressent du mépris. Il découvre la peur.

Ce sont en outre les observations de la prolifique écrivaine sur ce dernier sentiment qui s’avèrent particulièrement intéressantes. Son Jésus ne craint pas tant la mort. Après tout, c’est la « plus partagée des abstractions ». La crucifixion, par contre, c’est autre chose. Il s’agit en effet d’une « peur très concrète ».

De corps et d’esprit

Écrivant au « je », d’une plume sobre et précise, Amélie Nothomb fait entrer le lecteur dans la tête de ce narrateur confronté à la trahison de ses miraculés. Confronté aussi à la solitude, et constamment mis au défi de réaliser des prodiges (« Tu t’es rendu célèbre avec ces bêtises, maintenant tu as intérêt à assurer ! »).

Assurément, les passages bibliques originaux sont riches en interrogations et en inspiration. Dans sa relecture concise, l’autrice aborde ainsi la question du pardon (à qui le donne-t-on ? et pourquoi ?), tout comme celle du choix. On décroche toutefois lorsque son Jésus se met à philosopher sur la jalousie, telle que perçue par Proust.

Si les descriptions de la souffrance et de la violence sont sombres et directes, on tombe aussi sur des observations qui font sourire. L’apôtre Pierre a un déficit d’attention. Le fils de Dieu utilise l’expression « prêcher pour sa chapelle ». Et il remarque que « le seul évangéliste à avoir manifesté un talent d’écrivain digne de ce nom est Jean. C’est aussi pour cette raison que sa parole est la moins fiable ».

Pas de doute, on sent le plaisir qu’a eu Amélie Nothomb à revisiter le Nouveau Testament. Sans toutefois s’en moquer. Exemple : dans ses pages, Jésus assure qu’il n’a jamais déclaré : « Celui qui boit de cette eau n’aura plus jamais soif. » (« C’eût été un contresens. ») Car celle qui fait partie de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique semble véritablement captivée par la soif. Au-delà du titre, celle-ci se retrouve partout. Elle célèbre « la joie de la soif », prie le lecteur de non pas « méditer sa soif », mais de la « ressentir à fond, corps et âme, avant de l’étancher ». Soif soif soif.

Elle abrège même les sept dernières paroles du Christ, en terminant avec la cinquième : « J’ai soif. » Et en mettant de côté, notamment : « Tout est achevé. » Un roman achevé ? Rempli de questionnements intéressants, assurément.

★★★
Soif. Amélie Nothomb. Albin Michel. 160 pages.