En janvier 2011, Jocelyne Saucier lançait dans le monde son quatrième roman, Il pleuvait des oiseaux, qui allait connaître un destin exceptionnel. Traduit en 14 langues, couronné d’une foule de prix, dont celui des Cinq continents de la francophonie, il a permis, grâce à son immense succès, à son auteure de voyager partout dans le monde pendant trois ans. Nous l’avions rencontrée à l’époque, et à quelques jours de la sortie de l’adaptation cinématographique du livre, nous l’avons retrouvée pour faire un bilan de ce fabuleux parcours.

Quand vous repensez à ces premières entrevues à l’hiver 2011, quel est votre souvenir ?

Stupeur, tremblement et effroi, pour paraphraser Amélie Nothomb. J’étais effrayée, c’était trop. Chaque fois que je faisais des entrevues, j’avais toujours peur d’être en deçà de mon livre. J’avais peur de le desservir au lieu de le servir. Et j’ai toujours cette peur.

> Lisez l'entrevue de Jocelyne Saucier avec La Presse en 2011

Une période d’effroi ?

Qui a duré trois ans, oui, avec le prix et les traductions. À un moment, on se rend compte que notre nom est sur des listes, on nous invite pour tel ou tel événement, on pourrait continuer comme ça éternellement, mais il faut arrêter. Pendant ces années à parler de moi, de mon univers littéraire, de mon écriture, moi, moi, moi tout le temps, j’en ai eu le dégoût de moi. Et j’ai arrêté. Je n’endurais plus ma voix publique, et j’ai eu peur de perdre ma voix intérieure. Parce que c’est avec celle-là qu’on écrit.

Mais ces trois années de rencontres avec des journalistes, des éditeurs, des lecteurs, des traducteurs, ça vous a nourrie aussi ?

C’est sûr ! J’ai fait de belles rencontres dans plein de pays. En Roumanie, entre autres… un pays meurtri qui a connu le communisme dur. Ce qui est bien, c’est qu’après les rencontres publiques, tu vas au resto avec les gens et ils te racontent des choses incroyables. Il y en a avec qui j’ai tissé des liens qui tiennent jusqu’à maintenant encore, par exemple, la traductrice allemande [le livre s’est vendu à 150 000 exemplaires en Allemagne] est devenue une amie, elle est venue quelques fois me visiter chez moi, en Abitibi.

Donc, ce sont aussi de belles années ?

Oui. De rencontres. J’en fais encore de temps en temps. Mais je ne suis pas une personne publique, j’écris, et tout ça nuit à l’écriture. On passe son temps à se battre contre le temps pour écrire, ça, c’est sûr. C’est Gabrielle Roy qui disait : « Ma vie n’est pas contente de moi, et mes livres ne sont pas contents de moi. » Parce que les deux se combattent. Toute ma vie, j’ai combattu pour avoir du temps pour écrire. J’ai eu des enfants, je travaillais, et, maintenant, je combats encore, je suis plus âgée et je sais qu’il m’en reste moins devant moi.

C’est vrai que vous venez de remettre un manuscrit ?

Oui. Cet après-midi, je m’en vais travailler dessus avec mon éditrice. C’est la belle partie de mon séjour à Montréal. J’aime le travail sur le texte.

Vous êtes-vous demandé s’il y aurait un autre livre ?

Je me le demande à chaque livre. Peu importe le succès, on se demande toujours si on y arrivera quand on est rendu dans le milieu du lac. Il y a encore tout ça à nager, est-ce que je vire de bord ? Et puis tu nages, tu nages, et à un moment tu te rends au bout. C’est ce qui vient de se passer, mais il y a encore du travail à faire.

Avec le succès du livre, une autre personne aurait pu en profiter et se dépêcher pour en sortir un autre… Pas vous ?

Le roman est mon espace de liberté, j’y fais ce que je veux, comme je le veux, et je prends mon temps. Bien sûr que j’ai senti la pression du succès, celle du lecteur d’Il pleuvait des oiseaux qui était derrière mon épaule et qui regardait ce que j’écrivais. Il a fallu que je le chasse. Après, il y a toutes sortes d’étapes pour se libérer de ça, mais du fait que j’habite en Abitibi, hors du milieu, ça aide beaucoup, ça dégage.

En même temps, après trois premiers romans qui n’ont pas fait beaucoup de bruit, le succès doit faire du bien ?

Beaucoup. C’est très réconfortant. Une fois, au Salon du livre de Sudbury, à l’époque de mon troisième roman, Jeanne sur les routes, Jean Fugère m’avait demandé lors d’une table ronde si j’avais besoin de la reconnaissance publique. J’avais répondu non et j’étais sincère, j’avais toujours vécu sans, donc je pouvais vivre toute ma vie comme ça. Et puis est arrivé ce succès. Et je me suis aperçue qu’il y avait quelque chose pendant toutes ces années où j’écrivais sans être publiée, ou publiée avec un petit succès d’estime, il y avait toujours quelque chose qui avait mal en moi. Vraiment. Et je me suis aperçue que c’était disparu. La reconnaissance a fait ça, ça a enlevé le poids du doute.

Huit ans plus tard, avez-vous compris pourquoi le livre a tant touché les gens ?

La liberté. Au Québec, je peux me l’expliquer, mais ailleurs dans le monde, je crois que c’est ça, la liberté qu’on peut se donner, celle qu’on prend, le fait qu’on est responsable de notre vie et de notre mort aussi. Je me souviens, j’ai fait une tournée d’écrivains au Sénégal pendant deux semaines, et j’ai été surprise parce que je n’ai eu aucune question sur ce beau et grand et froid pays qu’est le Canada. Aucune. C’est la liberté qui les intéressait.

Avez-vous vu le film ?

Pas la version finale. J’avais vu Gabrielle, en particulier la scène intime entre les deux jeunes, j’avais trouvé ça très délicat et fin. C’est ce que je craignais le plus par rapport au film, alors quand j’ai su que c’était Louise Archambault qui le réalisait, je me suis dit que ça irait. Je n’ai aucune inquiétude. Et il y a la beauté des images…

Les échos sont déjà très bons. Ça doit être agréable ?

C’est drôle, je suis plus contente pour l’équipe que pour moi. Je sais qu’ils ont travaillé très, très fort.

Le film ne vous appartient pas ?

Non, et c’est pour ça que je fais très peu d’entrevues à l’occasion de la sortie. Je ne veux pas faire d’appropriation artistique !

Encore votre côté humble…

C’est une autre création ! Louise et les acteurs vont le porter. C’est un beau film qui aura une belle vie ici et ailleurs.

Et qui va faire du bien comme le livre a fait du bien ?

Je crois, je crois.

La réédition d’Il pleuvait des oiseaux (XYZ) sera en librairie le 11 septembre.

Le beau livre Dans la lentille de Il pleuvait des oiseaux (XYZ) sera en librairie le 11 septembre.

Le film Il pleuvait des oiseaux prend l’affiche le 13 septembre.

Dans la lentille de Il pleuvait des oiseaux

IMAGE FOURNIE PAR XYZ

Dans la lentille de Il pleuvait des oiseaux sera en librairie le 11 septembre.

Collectif d'auteurs. Éditions XYZ. 120 Pages.