La carrière relativement discrète du pianiste new-yorkais Steve Kuhn, 75 ans, a commencé au tournant des années 60. Incontournable du jazz moderne, reconnu à la fois pour sa créativité et son ancrage dans la tradition, il poursuit son petit bonhomme de chemin et atteint régulièrement l'état de grâce. En décembre dernier, l'album Wisteria (sous ECM) en témoignait une fois de plus. Les mêmes musiciens de ce splendide enregistrement se trouveront à ses côtés sur scène, aujourd'hui à Montréal: le bassiste Steve Swallow et le batteur Joey Baron.

Comment résumez-vous votre approche après tant d'années de pratique?

En prenant de l'âge, j'ai pu imposer une voix qui m'appartient. J'essaie encore de m'améliorer sur ces bases. Mon répertoire compte environ 200 pièces, dont de nombreux standards choisis parcimonieusement. J'essaie d'y apporter une touche personnelle. Je sais que plusieurs de ces pièces ont été enregistrées maintes fois par tant de musiciens, il me faut y trouver quelque chose de spécial. Qui me stimule, qui stimule mes collègues et qui stimule le public. Je propose aussi des pièces originales et j'aime aussi jouer les compositions de mon ami Steve Swallow, que j'estime être un compositeur magnifique.

Lorsqu'il est temps de jouer, quel est votre rapport avec vos collègues préférés?

J'ai confiance en leurs moyens, je sais que leurs connaissances sont riches et leur travail exemplaire. Ils sont très à l'aise lorsqu'ils se retrouvent dans mon contexte. Joey Baron est un batteur extraordinairement doué et d'autant plus polyvalent. Lorsque Steve et Joey sont à mes côtés, je m'efforce à les tenir alertes. J'aime que nous prenions tous des risques harmoniques, mélodiques, rythmiques. J'aime que nous puissions créer la surprise. Et surtout, que tout se passe dans le plaisir. Si nous avons du plaisir, l'auditoire en éprouve aussi.

En tant que témoin privilégié de l'âge d'or du jazz moderne, que pensez-vous de son évolution, un demi-siècle plus tard?

Le jazz tel que je le connais, tel que je l'ai aimé au départ et avec lequel j'ai grandi ne compte plus d'innovateurs tels que le furent Ornette Coleman et John Coltrane à la fin de sa vie. L'innovation se trouve ailleurs. Cela dit, le vocabulaire de cette musique est retravaillé par tant de merveilleux jeunes musiciens. Ils réinterprètent cette musique à leur manière et jouissent d'une meilleure éducation pour y parvenir. Quant aux directions qu'a pris le jazz moderne, soit vers le hip-hop, la pop et autres formes musicales, cela peut être très bien, mais... cela ne me semble plus vraiment conforme à l'idée que je me fais du jazz depuis sa naissance il y a plus d'un siècle. Le jazz a atteint sa forme classique. Et cela ne me déprime aucunement. Il n'y a rien de triste là-dedans!

Le trio de Steve Kuhn se produit aujourd'hui, 22 h 30, au Gesù.