Est-ce que le monde du théâtre, du cinéma et de la télévision est aussi inclusif qu’on le dit ? Cette audacieuse question est celle que pose la Fondation Jasmin Roy Sophie Desmarais à l’occasion de la Journée internationale contre l’homophobie et la transphobie qui aura lieu le 17 mai.

À travers quatre capsules dévoilées sur le site de l’organisme, quinze artistes (Joseph Bellerose, Dany Boudreault, Maxime Carbonneau, Frédéric Boudreault, Daniel Dô, Gabriel.le Lepage, David Emmanuel Jauniaux, Geneviève Labelle, Marc-André Leclair, Lyraël, Sébastien Potvin, Maxime Robin, Mélodie Noël Rousseau, Robert D’Entremont, Charlotte Poitras) prennent la parole pour dénoncer les préjugés, les injustices et le deux poids, deux mesures qui frappent ceux et celles qui sont homosexuels, lesbiennes ou trans.

Je vous avoue qu’en écoutant les propos de ces comédiens, les deux bras m’en sont tombés.

Loin de moi l’idée d’affirmer que tout le milieu fait preuve de discrimination à l’égard des artistes qui font partie de la communauté LGBTQ+, mais les propos des personnes interviewées montrent qu’une tranche des décideurs tente de les convaincre de demeurer dans le placard.

Joseph Bellerose (STAT, Mégantic) n’hésite pas à casser une certaine image que nous avons du milieu des arts qu’on imagine « plus ouvert et plus avant-gardiste » que les autres. « Ce n’est pas si vrai, dit-il. Je pense qu’on peut faire mieux. »

IMAGE TIRÉE D’UNE VIDÉO PRODUITE PAR LA FONDATION JASMIN ROY SOPHIE DESMARAIS

Le comédien Maxime Robin

Maxime Robin (Doute raisonnable, À cœur battant) parle du machisme qui existe encore dans le milieu du théâtre, du cinéma et de la télévision.

On ne se rend pas compte, mais il est là. Il a changé de visage, il est subtil, mais il est encore là.

Maxime Robin, comédien

En regardant ces capsules, on apprend que dès leur formation, les étudiants en théâtre se font dire de cacher cet aspect de leur vie. C’est ce qu’affirme Robert D’Entremont, qui a fait son coming-out lorsqu’il étudiait à l’Université Concordia. On lui a recommandé de ne pas dire qu’il est gai, car cela « allait le limiter » dans les rôles qu’il pourrait éventuellement endosser.

Maxime Carbonneau a lui aussi reçu le conseil de ne pas parler de son orientation sexuelle. Ces recommandations sont venues de gens qui étaient dans le milieu, mais aussi de comédiens qui avaient vécu de mauvaises expériences.

La raison invoquée par ces gens bienveillants ? Que l’acteur soit étiqueté. « En t’exposant, tu te fais catégoriser, dit David Emmanuel Jauniaux. Et cette catégorie-là est très restreinte. »

Selon la plupart des personnes interviewées, cela ferme des portes. Et ceux qui les ferment ont du pouvoir.

IMAGE TIRÉE D’UNE VIDÉO PRODUITE PAR LA FONDATION JASMIN ROY SOPHIE DESMARAIS

Le comédien David Emmanuel Jauniaux

Dès que l’on sait qu’un comédien est gai, inconsciemment on ne pensera pas à lui pour interpréter un hétéro.

David Emmanuel Jauniaux, comédien

Frondeur, Dany Boudreault (Un tramway nommé désir, Le songe d’une nuit d’été) a décidé de ne pas suivre les recommandations de son entourage. « Mais je comprends que certaines personnes aient peur. »

Charlotte Poitras déplore le fait que les comédiens hétéros se retrouvent souvent à jouer des hétéros, des gais et des trans, mais que cette palette est plus rare chez les artistes LGBTQ+. « On récompense les acteurs hétéros qui jouent le désir homosexuel, mais on offre rarement cette possibilité aux acteurs de la communauté LGBTQ+ », dit Maxime Carbonneau.

Lors de leur formation, les étudiants déjà « étiquetés » se butent parfois aux attentes exagérées des professeurs. Dany Boudreault a senti qu’on exigeait de lui qu’il ait un plus grand registre que ses collègues avec une masculinité dite « normative ».

Les acteurs et actrices LGBTQ+ sont-ils condamnés à ne jouer que des rôles reliés à leur propre orientation sexuelle ? « On pourrait avoir des personnages sans pour autant spécifier leur orientation, pense Robert D’Entremont. Le facteur ou le médecin peut être gai. Mais ça pourrait ne pas être écrit dans l’histoire. »

Près de 35 années séparent la question que pose la Fondation Jasmin Roy Sophie Desmarais d’une affaire qui a fait grand bruit en 1987. Le 30 septembre, dans une lettre ouverte publiée dans Le Devoir et intitulée « Le ghetto homosexuel », l’auteur Claude Jasmin déplorait le trop grand nombre de thèmes gais abordés dans les œuvres québécoises en y allant d’un « trop, c’est trop » bien senti.

« Arcand en installe un qui pisse du jus de tomate épais dans son Déclin…, Lauzon illustre des homos sadomasochistes dans son Zoo…, voici Les Feluettes du jeune Bouchard chez Fred Barry. »

Quelques jours plus tard, Claude Jasmin et Michel Tremblay croisaient le fer au micro de Pierre Pascau, prince du débat à CKAC. Le 10 octobre, Bruno Dostie signait une chronique dans La Presse où il recadrait Claude Jasmin. « Car au fond, ce que M. Jasmin dit à Michel Tremblay et à Michel Marc Bouchard, c’est : “soyez homosexuels tant que vous voudrez, mais achalez-nous plus avec ça”. »

Il est désolant de voir que la société évoluée à laquelle on croit appartenir a encore beaucoup de chemin à faire.

Il y a 35 ans, on disait aux créateurs de se calmer le pompon au sujet de la parole offerte aux gais. Aujourd’hui, on demande à ceux qui font partie de l’acronyme élargi de cacher ce qu’ils sont réellement.

Consultez le site de la fondation Lisez « Les comédiens gais freinés dans leur carrière ? »