Texto #1 : « Pourquoi Philippe (Patrick Labbé) et Emmanuelle (Suzanne Clément) sont autant à couteaux tirés dans STAT ? »

Texto #2 : « C’est à cause de Karelle Tremblay, qui joue la patiente diabétique qui a fait une fausse couche et qui accuse son beau-père de la violer. Phil trouve que Manu est trop proche d’elle. »

Texto #3 : « Depuis leur trip de mush, plus personne n’est pareil dans cette gang-là. Et Phil est devenu fou raide depuis l’histoire du patient qui s’est quasiment fait exploser devant lui. »

Avec deux amies proches, grandes consommatrices de télé, nous alimentons furieusement notre « groupe texte » d’observations sur STAT, bien sûr, c’est une obsession constante, mais aussi sur Si on s’aimait, Occupation double, Avant le crash ou Indéfendable. Les notifications tintent à un rythme effarant sur nos cellulaires.

Texto #4 : « Les coiffeuses à Sainte-Piété, ça ne va pas du tout. Le toupet de Rosemont d’Agnès (Noémie O’Farrell) dans Sorcières, c’est intense. Et les cheveux hirsutes de Céline Bonnier, ça ne se peut juste pas. »

Dans les années 1980, on invitait des amis à la maison pour regarder nos émissions préférées en groupe, calés dans un sofa jaune et brun qui sentait la DuMaurier et le vieux Kool-Aid séché. Dans les années 1990, on s’appelait et visionnait à deux Diva ou Scoop, bloquant la ligne fixe pendant 60 minutes, au grand désespoir de nos parents.

Aujourd’hui, on se voit moins physiquement, on placote peut-être moins de vive voix, mais on se texte sur un moyen temps. Pouce en l’air, pouces en feu. Comme quoi, la télé rassemble toujours autant, de manière différente, avec les moyens technologiques à notre disposition.

Texto #5 : « Oh mon Dieu, saviez-vous que Frédérique dans Si on s’aimait, celle qui a trois chiens westie comme celui de Véronique Cloutier, eh bien c’est la fille du comédien Albert Millaire ? C’est confirmé. Bye. »

Texto #6 : « Julien de Si on s’aimait qui confond le gui de Noël, l’échinacée et les feuilles de laurier, je meurs de honte. »

En plus des enfilades de messages textes, il y a aussi les fils de discussion sur Messenger, qui grésillent autant, sinon plus, les soirs de marathon télévisuel.

Texto #7 : « Je suis à jour dans Virgin River, j’ai clanché la cinquième saison en deux jours, même pas malade. Je veux déménager là-bas. Je suis en train de devenir une madame qui a besoin d’évasion ! »

Parenthèse sur Virgin River : j’ai gravement sous-estimé le pouvoir du feuilleton-savon de Netflix, déguisé en publicité pour La Cordée ou Lululemon. Dans la dernière année, en excluant l’hommage à mon beau Gaston décédé, c’est la chronique qui a le plus voyagé, qui a été le plus aimée sur Facebook et qui a généré le plus d’interactions numériques. Un gros merci à la mode vestimentaire « campagne chic » de Jack et Mel, ainsi qu’aux montagnes de la Colombie-Britannique, que l’on fait passer pour des paysages californiens, franchement.

Dans ces échanges virtuels, je suis probablement la personne la plus intense et la plus active, celle qui refuse de quitter le party, contrairement à la vraie vie, où je me pousse relativement tôt des fêtes et souvent en cachette, ciao.

Texto #8 : « Non mais, combien de fois le réalisateur d’Indéfendable va-t-il nous montrer la christie de grosse photo du Château Frontenac dans le bureau de MBiron (Marie-Laurence Lévesque) pour nous faire comprendre qu’elle vient de Québec ? C’est beau, on le sait. »

Texto #9 : « Est-ce que Julie de Si on s’aimait va comprendre qu’Alexandre ne trippe pas tant sur son cas ? Ça me gêne de la voir s’accrocher à son maudit bracelet du Mexique, qui n’est pas super beau, en plus. »

Texto #10 : « Est-ce que c’est juste moi qui entends la musique de The White Lotus dans le générique de Sorcières à TVA ? »

Nous consommons souvent nos programmes télévisuels seuls, en circuit fermé, et ces chaînes de messages nous rattachent les uns aux autres et brisent l’isolement. Aussi : ces correspondances – pas celles d’Eastman, quand même – nous permettent de poser des questions difficiles, crues, mais nécessaires à l’avancement de la société.

Texto #11 : « On va-tu en revenir, à un moment donné, du gin québécois ? Ça goûte bizarre et on dirait que le gin québécois est le porto des années 2010-2020. Tout le monde en achète, personne n’en boit. »

Les gins herbacés, les bières salées de microbrasserie, les casquettes Ciele, même combat. On ne se construit pas une personnalité complète autour de ça.

Je lévite

Avec Une vie comme les autres d’Hanya Yanagihara

Une vie comme les autres

Une vie comme les autres

Le livre de poche

1123 pages

Quel livre magistral, cruel et poignant. On y suit la trajectoire complexe de quatre amis d’université, aux origines diverses, sur une trentaine d’années, alors qu’ils amorcent leur vie d’adulte à New York. Cette brique de 1123 pages parle du succès, de la maladie, du racisme, de la lutte des classes sociales, d’ambition, mais surtout, d’amitié masculine. Un grand roman américain qui a du souffle.

Je l’évite

L’invitée d’Emma Cline

L’invitée

L’invitée

Table ronde

312 pages

J’avais lu des critiques dithyrambiques à propos de ce livre estival d’atmosphère de l’auteure américaine de 34 ans. Ce n’est pas si mauvais, mais la fin est tellement bâclée – et incompréhensible – qu’elle donne le goût de garrocher ce roman dans le feu en hurlant. L’histoire était pourtant bien campée : une jeune femme de 22 ans, qui a déjà été escorte, s’entiche d’un homme riche beaucoup plus âgé, qui l’invite à passer l’été dans sa maison des Hamptons. Le plan foire, l’héroïne dérape et les dernières pages, ratées, ne fournissent aucune explication claire sur ce qui s’est réellement passé. Fin ouverte, non merci.