On pense à cette célèbre formule après avoir lu La blague du siècle, le nouveau roman de Jean-Christophe Réhel : « l’humour est la politesse du désespoir ». Car Louis, le personnage principal, a toutes les raisons d’être désespéré. Il vit avec son père Sylvain, atteint d’un cancer du cerveau, son frère Guillaume, qui est schizophrène, et il ne pensait pas à 35 ans travailler dans un Tim Hortons. On le comprend de passer beaucoup de temps dans les soirées d’humour, mais il garde pour lui son rêve d’être humoriste. En fait, la seule personne qu’il veut faire rire est son frère, qu’il adore, même s’il lui cause mille et un soucis.

Cette fratrie en arrache comme ce n’est pas possible, à tel point que tout ça pourrait être un mélodrame épouvantable, mais Réhel sauve le tout avec son humour. Ce ne sont pas les blagues écrites par Louis ou par les humoristes qu’il écoute qui font rire dans ce roman, fait remarquer l’écrivain, mais les situations. Aucun show d’humour n’atteindra les sommets d’absurdité de l’existence, nous sommes d’accord là-dessus. Mes meilleurs fous rires sont survenus à des funérailles, c’est probablement pourquoi j’ai aimé dans le roman le running gag de l’urne de glace qui contient les cendres d’un défunt, en train de fondre dans un bazou lors d’un road trip rempli d’embûches.

Le rire fait intrinsèquement partie de ma vie, de la façon dont je conçois la vie. Sans rire, il n’y a pas de pleurs, il n’y a rien. C’est dans ces moments-là qu’on peut se rapprocher de notre propre humanité. On a besoin de cette soupape pour traverser les épreuves.

Jean-Christophe Réhel

L’humour peut même être une valeur familiale importante – il y a tant de familles sinistres où l’on empêche cet élan vital. « Absolument, répond Réhel. L’humour peut lier les générations par un humoriste vivant. Moi, par exemple, un Jean-Marc Parent peut me faire mourir de rire, mais si tu montres ça à un adolescent, je ne pense pas qu’il va triper. Mais je riais des mêmes choses que mes parents. Le rire dans la famille est une influence importante, tu vas rire aux larmes parce que tu vois ta mère rire aux larmes. Tu embarques dans cet humour qui fait du bien à ta famille. »

Comme poète ayant six recueils à son actif et qui a performé sur scène, Jean-Christophe Réhel respecte les humoristes qui prennent le micro, avec cette même intention de provoquer une émotion. « C’est vraiment difficile d’écrire de l’humour. Un peu comme en poésie, il faut que tu mettes tes tripes sur la table, que tu trouves le bon angle, un delivery, une intention, un rythme, sinon tu peux te planter solide. Ça m’a toujours fasciné, l’espèce de courage que peuvent avoir ces gens-là devant un micro. »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Jean-Christophe Réhel a six recueils de poésie à son actif.

Dans La blague du siècle, il y a du rythme, puisqu’on va de catastrophe en catastrophe, dans de courts chapitres qu’on lit d’une traite. L’influence de l’écriture de sa série télé L’air d’aller se fait sentir, et d’ailleurs, des producteurs sont déjà intéressés par ce livre, alors que Ce qu’on respire sur Tatouine est toujours en processus d’adaptation à l’écran.

Le refus de l’apitoiement sans faire abstraction des vacheries de la vie est ce qui avait fait le succès de Ce qu’on respire sur Tatouine, Prix littéraire des collégiens en 2019, dans lequel il abordait par l’entremise d’un alter ego sa maladie, la fibrose kystique.

Ce qui ne veut pas dire que La blague du siècle manque de moments poignants, au contraire. Le tragique se révèle encore plus fort dans le comique.

La relation entre Louis et son frère Guillaume, « un enfant de 28 ans avec des tattoos dans le cou », rappelle beaucoup celle entre George et Lennie du classique de John Steinbeck, Des souris et des hommes, et Jean-Christophe Réhel confirme son influence, puisque c’est un roman qu’il a adoré. Or, dans les moments les plus difficiles, Guillaume se révèle parfois être le plus lucide et le plus débrouillard de la famille, malgré sa maladie, souligne-t-il.

En quelque sorte, Louis est un proche aidant, pour son père et pour son frère, mais il est dépassé par leurs problèmes, entravé dans son désir de liberté tout en sachant qu’il ne pourra jamais les abandonner. « Louis est pris entre deux chaises, note l’écrivain. Il y a beaucoup de gens qui vivent ça, qui ont un devoir familial, qui doivent s’occuper de gens qui leur sont chers. On vit tous une vie fatigante, stressante, dans un monde sans pitié où il faut se démerder comme on peut. Des fois, tu voudrais changer de vie et faire autre chose, un peu comme Louis qui voudrait devenir le plus grand humoriste de la terre. Des rêves, on en a tous, et c’est important. »

Jean-Christophe Réhel en sait quelque chose, lui qui rêvait d’être écrivain quand il « nettoyait les bécosses dans un parc » autrefois. Il y est arrivé parce que, sans blague, ce livre-là vous fera autant rire que pleurer.

La blague du siècle

La blague du siècle

Del Busso

256 pages