Longtemps dans l’ombre des designers masculins, les femmes ont néanmoins contribué à forger le goût de leurs contemporains et à façonner de nombreux objets qui accompagnaient leur quotidien. L’exposition Parall(elles), une autre histoire du design, au Musée des beaux-arts de Montréal, met en lumière leur apport précieux à cette discipline.

La chaise en bois contreplaqué et moulé LCW de Ray et Charles Eames, apparue au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, fait toujours pâlir d’envie les amoureux du design, au point d’encourager récemment l’enseigne danoise HAY à s’associer à son manufacturier historique Herman Miller pour une réédition dans une palette de couleurs vives. Ce meuble aux formes organiques, qui figure parmi les objets iconiques du XXe siècle, est issu des échanges créatifs du couple mythique californien. Et, pourtant, seul le génie de Charles a été longtemps salué par ses pairs et les médias, la designer n’étant envisagée que comme sa conjointe ou, au mieux, son assistante. La société d’après-guerre avait une fâcheuse tendance à s’accommoder du cliché de la femme au foyer.

L’architecte et designer Greta Magnusson-Grossman se verra, elle, confrontée à la misogynie ordinaire dans sa Suède natale avant de rencontrer le succès à Los Angeles, où elle mettra son talent au service de Greta Garbo, d’Ingrid Bergman et de Frank Sinatra. Sa lampe Cobra et son Bureau 62 (dont la production a été relancée par la marque danoise Gubi, il y a une dizaine d’années) ont pris place aux côtés des quelque 250 œuvres et objets de créatrices québécoises, canadiennes et américaines du milieu du XIXe siècle à nos jours pour l’exposition Parall(elles), une autre histoire du design, au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM). Une programmation de grande envergure née sous l’impulsion du projet « Femmes de design » du Programme Stewart pour le design moderne qui présente les collections conjointes des deux institutions par le prisme féminin sur une nouvelle plateforme en ligne.

  • Au premier plan, œuvre en lin et laine Banisteriopsis de la célèbre artiste textile américaine Sheila Hicks

    PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

    Au premier plan, œuvre en lin et laine Banisteriopsis de la célèbre artiste textile américaine Sheila Hicks

  • Derrière un bureau en métal et en verre aux lignes inspirées du Bauhaus de la Montréalaise Jeannette Meunier Biéler se détachent la tapisserie Eden de Marguerite Thompson Zorich et un tapis de Loja et Eleil Saarinen.

    PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

    Derrière un bureau en métal et en verre aux lignes inspirées du Bauhaus de la Montréalaise Jeannette Meunier Biéler se détachent la tapisserie Eden de Marguerite Thompson Zorich et un tapis de Loja et Eleil Saarinen.

  • Vases en céramique datant des années 1960

    PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

    Vases en céramique datant des années 1960

  • La Zulu Renaissance Writing Table for a Lady de Cheryl R. Riley rappelle les cabinets de curiosités d’autrefois.

    PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

    La Zulu Renaissance Writing Table for a Lady de Cheryl R. Riley rappelle les cabinets de curiosités d’autrefois.

  • Vue sur la Corvette Fancy Free conçue dans les années 1950 par Ruth Glennie pour General Motors, ainsi que sur la tapisserie en laine Éclat de joie de l’artiste québécoise Mariette Rousseau-Vermette

    PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

    Vue sur la Corvette Fancy Free conçue dans les années 1950 par Ruth Glennie pour General Motors, ainsi que sur la tapisserie en laine Éclat de joie de l’artiste québécoise Mariette Rousseau-Vermette

  • La courtepointe Tar Beach 2, de Faith Ringgold, relate sa vie de petite fille à Harlem.

    PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

    La courtepointe Tar Beach 2, de Faith Ringgold, relate sa vie de petite fille à Harlem.

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À portée de main

« Cette exposition révèle le rôle crucial que ces créatrices, dont l’apport a été minoré, voire oblitéré du récit historique, ont joué dans l’histoire du design. En mettant l’accent sur la nature genrée des pratiques, elle nous permet de comprendre la manière dont certains préjugés ont influencé le design au féminin », explique Jennifer Laurent, conservatrice des arts décoratifs et du design, et commissaire de l’exposition qui a, par ailleurs, dirigé l’ouvrage qui accompagne cette exposition.

Pour mener à bien cette entreprise, le MBAM a choisi d’étendre la définition du design à la création et, en particulier, à l’artisanat (poterie, broderie, tissage, orfèvrerie, joaillerie, etc.), un champ d’expertise traditionnellement plus accessible aux femmes que celui du design industriel, où l’objet est reproduit en série.

La visite suit le fil du temps, depuis la grande époque du mouvement Arts and Crafts, venu de Grande-Bretagne à la fin du XIXe siècle, invitant chacun à renouer avec la nature grâce au geste manuel, au métissage des influences et aspirations modernes. Les salles se font le miroir d’initiatives audacieuses souvent portées par une persévérance à toute épreuve pour des femmes longtemps privées d’accès à des formations artistiques, à l’exception de celles donnée par un père, un mari ou un amant.

« En dépit des restrictions sociales de leur temps, les femmes ont trouvé une façon de créer, et ce travail a amélioré leur vie et celle de leur entourage », pointe Jeannine Falino. La consultante en arts décoratifs américains a épaulé le MBAM dans la préparation de cette exposition intégrant plusieurs très belles œuvres d’artistes des Premières Nations et des communautés afro-américaines, ainsi que des pièces de collections privées et d’une trentaine de musées canadiens et américains.

Emprunts et empreintes

Ce lent cheminement créatif, dans le sillage des hommes, n’a cessé de nourrir l’inspiration collective. Le design industriel intègre d’ailleurs aujourd’hui de plus en plus l’imperfection du travail de la main, dans lequel les femmes se sont distinguées, dans sa production. Ici, au moyen des aspérités d’une céramique, là, par des assemblages de tissus ou d’imprimés semblables à ceux qu’on peut retrouver sur les courtepointes traditionnelles pour un résultat sensible à dimension plus humaine. Ce qui rend la séparation entre le design et l’artisanat d’autant plus poreuse et le parti pris du MBAM pertinent. Son initiative s’inscrit dans une volonté de soutenir le travail des femmes artistes au long cours. « Cette exposition est une façon d’attirer l’attention sur les grandes réalisations des femmes et la nécessité de poursuivre cette reconnaissance, observe Jeannine Falino. Si nous avons enregistré de grands progrès ces 50 dernières années, il est difficile pour une société de se défaire de ses préjugés. »

Au Musée des beaux-arts de Montréal, jusqu’au 28 mai 2023

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