Paule Mainguy est imprimeuse à l’Atelier circulaire, à Montréal, depuis 22 ans. Spécialiste de la taille-douce, une technique de gravure sur métal, elle nous a reçus dans son espace de travail, où nous avons abordé son parcours et les défis du monde de l’estampe au Québec.

Artisane de cœur

Paule Mainguy a le plus souvent les mains dans l’encre noire. Responsable d’imprimer des œuvres en taille-douce à l’Atelier circulaire, elle se destinait à l’éducation, mais l’art imprimé l’a rattrapée ! « J’ai toujours été manuelle, dit-elle. Mais du côté de l’artisanat, même si j’ai un sens artistique. J’aime le faire, la matière, les choses qui prennent du temps. »

PHOTO MAX VINCENT, FOURNIE PAR PAULE MAINGUY

François Vincent et Paule Mainguy à l’Atelier Rigal, près de Paris, en 2019, quand François Vincent travaillait au studio artistique du Québec à Paris

Née à Québec, Paule Mainguy a fait de la peinture sur bois, de la couture, des costumes de scène et même du théâtre comme autrice et actrice. Conjointe de François Vincent, artiste de l’estampe contemporaine à l’Atelier circulaire, elle y est entrée par... la tenue de livres ! « Comme j’ai tendance à en prendre large, j’ai fini par être formée à la taille-douce en 2001 par François-Xavier Marange », raconte-t-elle. François-Xavier Marange, artiste et maître imprimeur français disparu en 2012, a marqué l’Atelier circulaire et le destin de Paule Mainguy. « J’ai été chanceuse, car il a été extrêmement disponible pour moi. C’était un passionné communicatif. »

Paule Mainguy a ensuite, pendant 20 ans, imprimé les gravures de l’artiste graveur Louis-Pierre Bougie, cofondateur de l’Atelier circulaire et malheureusement mort il y a deux ans. « Il m’appelait tous les jours. C’était un artiste unique, malheureusement pas reconnu comme il aurait dû l’être. »

La taille-douce

PHOTO JOSÉE CHARBONNEAU, FOURNIE PAR L’ATELIER CIRCULAIRE

Paule Mainguy et Louis-Pierre Bougie travaillant ensemble

Paule Mainguy nous a donné un aperçu de l’impression d’une taille-douce, cette gravure en creux sur plaque de métal (appelée la matrice), très souvent en cuivre. Le procédé date du XVe siècle. « J’aime la taille-douce car cela donne des noirs qu’on ne retrouve nulle part, dit-elle. Grâce aux creux, il y a une profondeur inimitable. Et dans l’impression, beaucoup de subtilités sont possibles, selon la chaleur, l’humidité du papier, la qualité des encres ou la pression. C’est pour ça que le métier d’imprimeur est un métier à part entière. Graveur et imprimeur, ce sont deux métiers. »

Riopelle n’était pas imprimeur. Ses gravures étaient mises sous presse par des imprimeurs, au Québec par Bonnie Baxter. Mais aujourd’hui, de plus en plus de graveurs impriment leurs œuvres. « Il y a de moins en moins d’imprimeurs, dit Paule Mainguy. En tout cas au Québec. Mais c’est encore moi qui imprime les matrices de François [Vincent] ! »

L’Atelier circulaire

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Des outils pour la taille-douce

L’Atelier circulaire a été créé en 1982. Il est, depuis 2002, dans l’édifice du Pôle de diffusion de Gaspé, dans le Mile End. Il y a un local d’exposition au rez-de-chaussée et de grands espaces de travail, de recherche et de formation au 5étage. On y trouve un coin pour la lithographie, un autre pour la taille-douce, un pour la sérigraphie, un pour la typographie et un atelier d’impression numérique. L’Atelier circulaire organisera cette année des conférences et une expo à l’automne pour souligner ses 40 ans d’existence.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Les tarlatanes, des étoffes de coton utilisées lors de l’encrage des gravures

Mais le monde de l’impression change et l’Atelier doit s’adapter. La demande de monotypes (œuvres uniques) est plus forte qu’avant et on fait moins de grosses éditions. « Il faut revaloriser la matrice et l’œuvre multiple, dit Paule Mainguy. Et augmenter les lieux de diffusion. Mais les galeries préfèrent vendre une peinture à 5000 $ plutôt qu’une estampe à 250 $. »

Paule Mainguy ressent toutefois un certain renouveau, avec un attrait récent pour ce qui est manuel. « Dans nos cours, on a des gens d’Ubisoft, de Moment Factory. Ils veulent toucher et sentir quelque chose. Des jeunes veulent fabriquer leurs encres, connaître la matière. La typographie est redevenue populaire. Le papier redevient noble. »

Son avenir

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

L’atelier numérique

Paule Mainguy continue de donner des cours de taille-douce tout en gravant des oiseaux en taille-douce. Elle exposera, comme François Vincent, ses estampes à la Foire Saint Sulpice de Paris en juin. Elle s’est mise à créer des abat-jour. « Je prends mes oiseaux imprimés, les fais isoler par notre technicienne numérique et fais imprimer ça sur des papiers japonais », dit-elle.

PHOTO FOURNIE PAR PAULE MAINGUY

Grive des bois, taille-douce, 2022

À 66 ans, les feux de la passion brûlent toujours en elle, mais elle est plus fatiguée qu’avant. « Il faut que mes journées soient moins longues, sinon je suis une loque ! C’est un travail physique, dur pour l’épaule car on fait toujours les mêmes mouvements. Et la concentration, nécessaire, fatigue aussi. » Heureusement, Paule Mainguy est sportive. Elle a toujours fait du vélo et du ski de fond. « Ça aide ! », dit-elle.

  • À droite, la plaque de cuivre gravée par François Vincent. À gauche, l’estampe imprimée par Paule Mainguy.

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

    À droite, la plaque de cuivre gravée par François Vincent. À gauche, l’estampe imprimée par Paule Mainguy.

  • L’espace de la lithographie

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

    L’espace de la lithographie

  • L’espace pour la sérigraphie

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

    L’espace pour la sérigraphie

  • La salle d’exposition

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

    La salle d’exposition

  • Des œuvres imprimées (oui, oui !) de Xavier Orssaud exposées à l’Atelier jusqu’au 18 février

    PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

    Des œuvres imprimées (oui, oui !) de Xavier Orssaud exposées à l’Atelier jusqu’au 18 février

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Elle ne compte pas quitter l’Atelier de sitôt. « Je ne peux me le permettre financièrement et je me sens responsable. Je suis seule pour la taille-douce. Et c’est difficile de former quelqu’un, car pour rendre le lieu dynamique, il faut toujours être présent. Ça prend donc quelqu’un de totalement dévoué. Avec mon collègue Carlos Calado [coordonnateur de la lithographie], on fait partie d’une classe à part ! Le monde n’est plus prêt à s’investir autant aujourd’hui. C’est inquiétant évidemment. En France, il y a beaucoup de graveurs, d’organisations, d’évènements autour de la gravure. Alors qu’ici, on est un peu comme des Gaulois ! Mais nous sommes tenaces ! On est encore là ! »

Consultez le site de l’Atelier circulaire