Le lancement de Refus global a suscité des commentaires variés, voire clivés, dans les journaux et revues du Québec. Nous avons déterré ces quelques propos des archives numériques des journaux.

« Exposition des “automatistes” chez Tranquille », titre un article paru dans Le Petit Journal le 25 juillet 1948, soit 15 jours avant le lancement de Refus global. Très court, le texte ne consacre que son premier paragraphe à l’évènement sans lui donner une date précise.

« D’ici quelque temps, un nouveau groupe d’artistes, les automatistes, lanceront leur manifeste à la Librairie Tranquille », lit-on dans le texte qui ajoute cette remarque nébuleuse : « On dit qu’on verra leurs œuvres à travers un écran percé de “petits trous”. »

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Le premier article que nous avons recensé sur la parution de Refus global date du 25 juillet 1948 dans Le Petit Journal.

L’hebdomadaire revient sur le sujet le 8 août sans beaucoup plus de détails, sinon le fait d’ajouter que le manifeste comprendra 400 exemplaires.

Quelques jours plus tard, le 16 août, Le Canada, quotidien montréalais proche du Parti libéral, publie un article plus détaillé. Tout en qualifiant les Automatistes de « groupe surrationnel en peinture », le journal précise que le manifeste est constitué de huit textes distincts et donne quelques détails sur chacun. On ajoute que des reproductions de Barbeau, Borduas, Ferron, Riopelle et autres accompagnent les textes.

Dans son ouvrage Refus global : Histoire d’une réception partielle, tiré de son doctorat, l’autrice Sophie Dubois estime qu’une centaine de textes abordent le sujet entre juillet 1948 et septembre 1949. Avec 37 textes en 42 semaines, c’est Le Canada qui « consacre le plus d’espace médiatique » au manifeste, analyse-t-elle.

Un des premiers regards critiques est justement publié dans ce quotidien, le 23 août, dans la rubrique « La vie des livres ». Sans verser dans l’analyse politique, l’auteur surnommé Lafcadio (probablement Guy Jasmin, rédacteur en chef du journal, selon des experts) se montre plutôt sympathique aux Automatistes en tant que peintres, mais beaucoup moins en tant qu’écrivains.

S’il « dénote de la ferveur pour les audaces de la vie », le contenu du manifeste « n’est rien de bien neuf », écrit-il. Lafcadio va même jusqu’à comparer Refus global à « du sous-Jean-Charles Harvey », qui, affirme-t-il, avait déjà développé les mêmes thèmes. Sans doute faisait-il référence au texte de la conférence intitulée La peur prononcée par M. Harvey devant l’Institut démocratique canadien, le 9 mai 1945.

Au moins, concède Lafcadio, ces jeunes auteurs, s’ils « valent mieux quand ils se confinent à la peinture », lancent ici un « cri sincère ».

Un cri de détresse

L’hebdomadaire Le Clairon de Saint-Hyacinthe, ville pratiquement voisine de Mont-Saint-Hilaire où se réunissent Borduas et ses amis, est nettement plus enthousiaste.

Dans une analyse publiée le 27 août, le journaliste Charles Doyon ne cache pas que le texte est d’une « outrancière intransigeance », ce qui a l’heur de lui plaire en ce « pays inamovible et indivis de Québec ».

« C’est un cri de détresse suscité par l’écœurement des jeunes devant une génération d’assis et d’encenseurs », lance-t-il à propos de cette « explosion littéraire et artistique ».

Il commente aussi plusieurs des textes du manifeste, mais déplore, comme d’autres, une présentation « originale, mais peu pratique » en raison des « feuillets épars ».

Dans sa biographie Monsieur Livre à propos d’Henri Tranquille, l’auteur Yves Gauthier estime d’ailleurs que chroniqueurs et éditorialistes sont « unanimement » contre le manifeste, son credo et ses auteurs, à l’exception de Charles Doyon.

L’Action catholique, quotidien de l’Action sociale catholique, fait partie des plus virulents détracteurs du pavé lancé par Borduas et sa bande.

Dans un texte survolté publié le 22 septembre, le père Hyacinthe-Marie Robillard avertit ses lecteurs de ne pas simplement « tourner au ridicule » « cette proclamation de méthodistes en rupture de ban avec leur professeur de grec ou d’anglais ». Pour lui, l’heure est grave : « Il y a des parents, des amis, qui portent comme une épine au cœur – l’offrant à Dieu pour eux – le spectacle de leur révolte. »

Lui non plus n’est guère impressionné par l’originalité du contenu, estimant que « l’automatisme surrationnel n’est qu’un plagiat du surréalisme français d’avant-guerre ».

Dans son analyse, Sophie Dubois estime que les médias opposés au recueil lui ont quand même consacré « des articles détaillés résumant bien son propos ». « Malgré les critiques acerbes de quelques journalistes – voire grâce à elles –, Refus global obtient visibilité et reconnaissance », écrit-elle.

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Le 22 septembre 1948 dans La Presse

Après le congédiement de Borduas

Le congédiement de Borduas de l’École du meuble, une décision signée Paul Sauvé, ministre du Bien-être social et de la Jeunesse dans le gouvernement de Maurice Duplessis, est rendue publique le 18 septembre et fait réagir.

« Je me demande quelles sont les aptitudes artistiques de l’Hon. Jean-Paul Sauvé, ou les prérogatives qui lui ont fait décider dernièrement qu’après seize ans au service de l’enseignement dans cette province, un professeur d’art n’est plus compétent », rage Charles Doyon dans Le Clairon.

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Le 22 septembre 1948 dans Le Devoir

Le Devoir du 22 septembre 1948 cite Borduas au lendemain d’une conférence de presse : « Depuis les onze ans que je suis à l’École, on n’a jamais critiqué mon enseignement. En somme, c’est uniquement pour avoir écrit le manifeste Refus global que je suis renvoyé », y affirme le peintre et leader du groupe.

« Le discours sur l’œuvre s’efface au profit du discours sur le renvoi », note Sophie Dubois.