Il s’appelait Damasus Michel. Il avait émigré de l’île caribéenne de Sainte-Lucie au début des années 1970. Il s’est installé à Ottawa, où il a travaillé toute sa vie comme concierge dans des hôpitaux. En janvier, il s’est éteint en silence, comme l’employé discret qu’il avait toujours été. Il avait 79 ans.

Damasus Michel, surnommé « Mike » par ses collègues, était le père de Dana Michel. Et c’est en partie pour lui rendre hommage que la performeuse montréalaise a choisi d’intituler son nouveau spectacle MIKE, qui sera présenté en première nord-américaine au Festival TransAmériques (FTA), de jeudi à dimanche.

La pièce n’a rien d’un album de photos de famille. Si Dana Michel s’inspire de son paternel, c’est pour s’interroger plus globalement sur notre rapport à la culture du travail, qui occupe dans nos vies une place prépondérante, pour ne pas dire envahissante.

« C’est une proposition très ouverte, explique l’artiste. Je n’essaie pas de dire quelque chose. Je ne fais que réfléchir là-dessus. Y réfléchir en public… Qu’est-ce que le travail ? Comment on le fait ? Comment on se sent quand on le fait ? Comment on se sent de l’avoir fait ? Comment on travaille avec les autres, parfois même sans savoir qui on est ? Bref, c’est le travail un grand « t », un moyen « t » et un petit « t » … »

Avec des questions aussi actuelles et fondamentales, pas étonnant que MIKE dure trois heures. Dana Michel avait besoin de cet espace-temps pour articuler et développer sa réflexion. Mais elle rassure d’emblée ceux et celles qui pourraient hésiter devant la durée de sa performance : MIKE n’est ni un carcan ni une prison.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Dana Michel

Personne n’est obligé de rester trois heures. Tu peux venir, tu peux partir, tu peux arriver en retard et quitter plus tôt. Tu peux aller à la toilette, manger un snack, tu peux même dormir si tu veux. Il y a beaucoup de liberté. Liberté pour moi, mais aussi pour les gens qui seront là…

Dana Michel

Aller aux toilettes ? Peut-être. Dormir ? On en doute. Qu’on aime ou non l’univers particulier de Dana Michel, difficile de lui rester indifférent. Son rapport à la beauté dérange. Sa façon d’utiliser les objets du quotidien intrigue. Tout comme son approche chorégraphique, à la fois minimale et radicale, qui relève indiscutablement de la « bibitte ».

Danse ? Performance ? Elle n’en sait rien. Et d’ailleurs, elle s’en fout. « Ce qui m’intéresse, c’est la plasticité du corps », répond-elle.

Reconnaissance internationale

Son originalité, en tout cas, ne passe pas inaperçue. Depuis sa première pièce en solo en 2013 (Yellow Towel), la réputation de Dana Michel ne fait que grandir sur le plan international.

En 2014, l’artiste montréalaise a été adoubée par le New York Times et classée par le magazine Time Out New York comme l’une des meilleures performeuses de l’année. En 2017, elle a reçu le Lion d’argent pour l’innovation en danse à la Biennale de Venise. Elle présente son travail un peu partout dans le monde, de Singapour à Bruxelles, où elle vient d’ailleurs de présenter MIKE en première mondiale au réputé Kunstenfestivaldesarts, équivalent belge du FTA.

Signe d’une reconnaissance : ces dix années de travail sont au cœur du livre Yellow Towel : A Score, écrit avec l’auteur montréalais Michael Nardone, qui doit être lancé la semaine prochaine au FTA. Occasion de mesurer le chemin parcouru et de se questionner sur l’évolution de l’artiste, dont le travail se résume à quatre spectacles solos en une décennie.

C’est sûr que des choses ont changé. Je crois plus en moi et les autres croient plus en moi. Mes excavations psychologiques ont eu des répercussions. Je suis plus en paix. Cela affecte mes choix. La façon dont je bouge mon corps. Dont j’expérimente.

Dana Michel

L’artiste suggère, en ce sens, que MIKE sera plus « détendu » et « terre à terre » que ses pièces précédentes. Puis en profite pour revendiquer l’influence d’un autre Mike – Kelley celui-là —, artiste visuel mort en 2012, avec qui elle partage un attrait certain pour l’étrange, le bizarre et l’inconfort. « Il n’a jamais senti qu’il appartenait », résume-t-elle.

Mike Kelley ne vivait assurément pas dans le même monde que Damasus « Mike » Michel. Mais Dana Michel se trouve quelque part entre les deux. C’est ce qui la rend unique. Et c’est pourquoi MIKE pique la curiosité…

MIKE, du 1er au 4 juin à la Salle polyvalente de l’UQAM

Consultez le site du spectacle Mike

Lancement de Yellow Towel : A Score le 6 juin, à 17 h, au Quartier général du FTA

Consultez le site du lancement de Yellow Towel

La 17édition du FTA se tient jusqu’au 8 juin.

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