« On crie “Enfin !” », lance au bout du fil Catherine Voyer-Léger, directrice générale du Conseil québécois du théâtre. Elle résume ainsi la réaction du milieu des arts vivants après que le gouvernement Legault a annoncé qu’il lâchera du lest en zone rouge.

À partir du 26 mars, les salles de spectacle et les théâtres du Grand Montréal pourront ouvrir leurs portes au public, a confirmé le premier ministre en conférence de presse, mardi soir. Cette décision, accueillie avec joie et soulagement par le milieu culturel, fait partie d’une série d’assouplissements prévus dans les cinq régions toujours en zone rouge.

« On est très heureux, ça fait six mois qu’on est prêts », laisse tomber Jean-Simon Traversy, codirecteur du Théâtre Jean-Duceppe, à la Place des Arts, qui entend lancer dès ce mercredi la vente de billets pour les premières représentations, dès la fin du mois, de L’amour est un dumpling, une pièce de Mathieu Quesnel et de Nathalie Doummar. La reprise de King Dave, d’Alexandre Goyette avec Anglesh Major, suivra en mai.

On s’attend à une réponse vive du public, comme l’automne dernier, quand on a pu rouvrir brièvement. Ceux qui aiment la culture s’en sont ennuyés profondément.

Jean-Simon Traversy, codirecteur du Théâtre Jean-Duceppe

Distanciation physique oblige, le théâtre de 750 places ne pourra toutefois accueillir plus de 200 spectateurs par représentation.

De Rosemont à l’île du Havre aux Maisons, les règles quant à la tenue des évènements seront les mêmes. Seuls les lieux avec des places assises sont autorisés à ouvrir et l’auditoire maximal est fixé à 250 personnes. Une distanciation physique de 1,5 m entre les différentes bulles et le port du masque lors des déplacements sont aussi prescrits. En zone rouge ou orange, toutefois, les spectateurs doivent garder leur masque durant la représentation. Les services de bar et de restauration seront proscrits en zone rouge.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Olivier Kemeid

Dieu du ciel, quel soulagement ! On en a vraiment besoin. La détresse atteint des sommets dans le milieu, avec plus de 40 % des artistes en dépression, poursuit-il. Et c’est compréhensible, c’est vraiment dur, ce vide démotivant dans lequel nous sommes plongés depuis si longtemps.

Olivier Kemeid, directeur artistique et codirecteur général du Théâtre de Quat’Sous

À peine 50 spectateurs pourront assister à chaque représentation, à partir du début d’avril, d’une pièce qui reste à annoncer. « Comme on l’a vu en septembre dernier, la salle est si petite que l’ambiance n’en souffre pas trop, précise Olivier Kemeid. La fébrilité et l’excitation de se retrouver, pour les spectateurs comme pour les acteurs, font oublier les sièges vides. »

« Pouvoir ouvrir dès le 26 mars, pour nous, c’est un grand soulagement, réagit Lorraine Pintal, directrice artistique et générale du Théâtre du Nouveau Monde (TNM). On n’arrivait même plus à l’imaginer, en fait, avec la menace d’une troisième vague. La ministre et le gouvernement nous ont écoutés, on s’en réjouit. »

Le TNM, qui présente des captations sur le web, prévoit de rouvrir ses portes à environ 250 spectateurs (sur 840 sièges) le 4 mai avec Le rêveur dans son bain, d’Hugo Bélanger. Si l’occasion se présente, cette réouverture pourrait toutefois être devancée avec un autre spectacle, affirme Mme Pintal.

L’ouverture des salles de spectacle et des théâtres se fera « environ un mois après l’ouverture des cinémas, rappelle Mme Voyer-Léger. C’est sûr qu’on a trouvé ça un peu long et qu’on s’explique mal ce deux poids, deux mesures, alors il reste un peu d’amertume. »

Du lest sur le couvre-feu

En contrepartie, elle se réjouit du report du couvre-feu de 20 h à 21 h 30, qui permettra aux salles montréalaises d’accueillir des spectateurs et des cinéphiles en soirée.

« C’est une excellente nouvelle, renchérit David Laferrière, directeur général du Théâtre Gilles-Vigneault de Saint-Jérôme et président de l’association Rideau, qui regroupe 350 salles et festivals partout au Québec. C’est une belle surprise, même si ce n’est pas optimal de faire des spectacles à 19 h, c’est mieux qu’à 17 h. Le week-end, on pourrait même envisager de faire des spectacles en après-midi aussi. »

Environ 40 % des salles de Rideau se trouvent en zone orange et ont déjà pu rouvrir leurs portes au début du mois.

Ça se passe assez bien. Le plaisir d’avoir accès à une offre d’arts vivants est plus fort que la peur de la maladie.

David Laferrière, président de l’association Rideau

La Santé publique l’a confirmé : le risque de transmission est faible dans une salle de spectacle. « Et on commence à avoir une véritable expertise, dit M. Laferrière. Les gens ne se croisent pas, les parcours sont linéaires, tout est bien pensé, c’est vraiment sécuritaire. »

Pourvu que ça dure…

La perspective d’une troisième vague portée par les variants assombrit aussi les réjouissances. « Bien sûr, on fera notre devoir public s’il le faut, mais j’ose espérer que nous pourrons rester ouverts, affirme Olivier Kemeid, du Quat’Sous. Si ça risque de refermer, je préfère rester fermé, en fait. »

Par ailleurs, des inquiétudes subsistent quant au prolongement de l’aide temporaire de Québec aux lieux de diffusion pour pallier les pertes de revenus liées aux restrictions sanitaires. Catherine Voyer-Léger raconte que la ministre de la Culture et des Communications, Nathalie Roy, s’est faite rassurante lors d’une rencontre peu avant l’annonce. Tous attendent toutefois de voir cette mesure inscrite au budget avant de se réjouir.

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, COLLABORATION SPÉCIALE

Jean-Simon Traversy, codirecteur artistique chez Duceppe

La fermeture des salles en octobre dernier, « ça nous a fait très mal, ajoute Jean-Simon Traversy. La décision de fermer les théâtres et les salles était politique, on le sait maintenant. Ça doit rester ouvert. Et avec la vaccination, il faudra tranquillement pouvoir accueillir plus de monde. »

Selon des avis écrits, la Santé publique recommande une ouverture encadrée des salles de spectacle, des cinémas et des théâtres depuis le mois de septembre, peu importe la couleur de la zone.

Le mois dernier, le premier ministre s’était félicité d’avoir été plus sévère que l’équipe d’Horacio Arruda et d’avoir ainsi « sauvé des vies ». Les partis de l’opposition soutiennent plutôt que la CAQ a choisi de « sacrifier les arts vivants ».

Rapport alarmant

L’annonce du gouvernement Legault survient au lendemain de la publication d’un rapport consternant sur les effets de la pandémie sur les arts vivants au Québec.

« Nous sommes évidemment conscients que la situation du milieu culturel est critique, en raison de la pandémie, et nous sommes de tout cœur avec nos artistes et nos travailleurs culturels », a réagi par courriel Louis-Julien Dufresne, attaché de presse de Nathalie Roy, ministre de la Culture et des Communications.

L’enquête préparée par la Fédération nationale des communications et de la culture a mis en exergue la détresse psychologique et financière des artisans de la scène. Entre autres chiffres alarmants, 43,3 % des travailleurs sondés présentent des symptômes de dépression majeure. Presque la même proportion (41 %) envisage un changement de carrière.

Le gouvernement Legault a annoncé 31 millions pour « rehausser l’accès aux services en santé mentale », souligne-t-on au cabinet de la ministre. « D’ailleurs, la ministre Roy a octroyé des aides ponctuelles aux associations et regroupements culturels pour venir en aide à leurs membres à ce niveau », précise M. Dufresne.

Christine St-Pierre, porte-parole de l’opposition officielle en matière de culture, juge les faits saillants du rapport « extrêmement préoccupants ». Elle demande la tenue d’audiences publiques en commission parlementaire « pour faire le point sur les perspectives d’avenir du milieu culturel québécois ». Québec solidaire et le Parti québécois verraient d’un bon œil un tel exercice, mais ils souhaitent avant toute chose que « l’argent se rende aux artistes ».

Plus tôt en journée, mardi, Québec avait annoncé une aide financière de plus de 4 millions à cinq secteurs culturels, dont les arts vivants, pour leurs campagnes de promotion en vue de la relance.

Ils ont dit

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Yannick Nézet-Séguin, directeur artistique et chef principal de l’Orchestre Métropolitain

Nous accueillons cette nouvelle avec beaucoup d’émotion. Il est temps de se retrouver, de s’émouvoir, de s’évader, de repenser le vivre-ensemble. Les arts nous montreront le chemin pour y arriver.

Yannick Nézet-Séguin, directeur artistique et chef principal de l’Orchestre Métropolitain, par écrit. L’Orchestre annonce qu’il se produira devant public le 27 mars à la Maison symphonique de Montréal. Les billets seront en vente sous peu.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Nathalie Roy, ministre de la Culture et des Communications

Je suis très heureuse que la situation nous permette de retrouver nos artistes et artisans dans nos salles de spectacle, dans le respect des mesures sanitaires, dès le 26 mars en zone rouge. Je sais que nos artistes et travailleurs culturels ont très hâte de retrouver leur public en chair et en os ; ces rencontres et ces échanges d’émotions sont au cœur de leur art.

Nathalie Roy, ministre de la Culture et des Communications

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE MARIE-JOSÉE DESROCHERS

Marie-Josée Desrochers, présidente-directrice générale de la Place des Arts

Aujourd’hui, nous recevons cette annonce comme un soupir de soulagement et avec une lueur d’espoir pour tout le milieu. On s’en va dans une bonne direction, lentement mais sûrement. […] Ce déconfinement graduel ne convient pas à tous les producteurs, mais plusieurs vont avoir très hâte de retrouver le public et vont présenter des spectacles très rapidement.

Marie-Josée Desrochers, présidente-directrice générale de la Place des Arts

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Madeleine Careau, chef de la direction de l’OSM

La sécurité et le bien-être du public et de l’ensemble du personnel demeurent notre priorité absolue. Nous anticipons le plaisir d’accueillir notre fidèle public dès que possible en avril à la Maison symphonique lors d’une nouvelle programmation qui sera annoncée sous peu !

Madeleine Careau, chef de la direction de l’OSM, dans un communiqué

Nos équipes travaillent depuis plusieurs semaines déjà, afin de sécuriser nos salles pour une réouverture prochaine. Et nous prendrons le temps de bien étudier l’annonce d’aujourd’hui afin de nous assurer de respecter les consignes des autorités. Nous avons hâte d’accueillir à nouveau les spectateurs et de faire revivre la musique live dans nos salles de spectacle.

evenko, par courriel