Est-ce la fin d'un monde dominé par les hommes, ce patriarcat contre lequel se battent les féministes depuis des décennies? C'est la thèse de la journaliste américaine Hanna Rosin, qui affirme que l'économie actuelle favorise de plus en plus les femmes. A-t-elle raison?

Dans les sociétés occidentales, l'économie est de plus en plus axée vers une industrie de services qui favorise les femmes. L'intelligence émotive, la communication et la capacité à se concentrer seraient des qualités davantage recherchées que la force physique et la grosse voix autoritaire. Résultat: les femmes sont gagnantes sur toute la ligne et les hommes, eux, dépriment. Voilà, grossièrement résumée, la thèse d'un essai qui fait beaucoup jaser aux États-Unis.

Dans The End of Men and the Rise of Women, la journaliste Hanna Rosin décrit un monde où l'homme blanc, en déroute, doit se redéfinir s'il veut survivre.

Hanna Rosin n'est pas la seule à s'être intéressée à la déroute du mâle. Susan Faludi a été la première à sonner l'alarme avec Stiffed: The Betrayal of the American Man. Dans cet essai fort bien documenté, la journaliste décrit l'effondrement de trois piliers de la société américaine - l'industrie manufacturière, l'armée et le baseball - avec, comme résultat, la déroute de l'homo americanus, soudainement dépossédé de son rôle de pourvoyeur et des valeurs qui y sont rattachées. Un an plus tard, c'était au tour de Christina Hoff Sommers d'attirer l'attention sur le sort des petits garçons. Dans The War Against Boys, elle accusait le féminisme d'hypothéquer l'avenir des garçons en niant leur nature profonde et en voulant les transformer en êtres quasi asexués. Sa critique antiféministe manquait de nuance, mais l'intellectuelle de droite touchait un point important: le mal-être des garçons dans une société qui valorise de moins en moins le masculin.

Ces deux essais trouvent un écho dans le livre de Hanna Rosin, qui décrit un monde où les femmes seraient gagnantes sur presque tous les plans. Mais est-ce vraiment le cas? En effet, même si certains constats de l'auteure sur l'émergence d'une économie de service et l'inébranlable confiance en soi d'une nouvelle génération de filles sont exacts, il reste que dans plusieurs secteurs, les femmes demeurent sous-représentées. On n'a qu'à penser à la politique ou à la grande entreprise, où les femmes sont encore peu nombreuses à siéger aux conseils d'administration.

«La thèse d'Hanna Rosin est séduisante, mais je constate qu'on peut faire dire n'importe quoi aux chiffres, note Julie Miville-Dechêne, présidente du Conseil du statut de la femme. Au Québec, la situation est différente, les métiers traditionnels comme la construction sont encore très bien payés, ce qu'on appelle la «prime aux muscles» ne s'est pas encore dévalorisée. Nous sommes encore loin d'un monde dominé par les femmes.»

Là où l'auteure touche à un point vraiment intéressant, c'est lorsqu'elle aborde la difficulté des hommes à s'adapter aux changements économiques et sociaux qui bouleversent notre monde.

«Nous traversons une période fascinante de transition, observe Julie Miville-Dechêne. Les hommes ont plus de difficulté que les femmes à s'affranchir de leur rôle traditionnel. Or, en se débarrassant de certains stéréotypes, cela leur permettrait d'investir des domaines en demande.»

Guy Corneau, psychanalyste et fondateur du Réseau hommes Québec, observe lui aussi cette résistance des hommes à s'ouvrir au changement pour adopter de nouvelles valeurs. «Les femmes ont été capables de développer d'autres capacités, dit-il, alors que beaucoup d'hommes sont hargneux et en veulent aux femmes. Ils n'ont pas investi la famille, les soins aux enfants, etc., parce que ces domaines ne sont pas valorisés dans notre société.»

Selon Gilles Rondeau, auteur du rapport Rondeau sur la prévention et les services d'aide offerts aux hommes, il est clair que les hommes ont plus de difficulté à s'ajuster que les femmes. «Ils ont besoin d'aide», note le professeur à la retraite de l'École de service social de l'Université de Montréal - qui va jusqu'à proposer des programmes de discrimination positive pour favoriser les hommes dans certains secteurs. «Il faut plus d'hommes dans les professions d'aide, l'éducation, les sciences infirmières, souligne-t-il. On a été capable d'intégrer les filles dans les métiers non traditionnels, mais on n'a pas encore réussi l'inverse. Il y a un obstacle, mais il n'est pas insurmontable.»

La fin des hommes? Peut-être pas. Et qui le souhaite? «Je dirais plutôt que c'est la fin d'un certain type d'homme, le mythe du cowboy Malborough, nuance Guy Corneau. Et je ne vois pas cela comme un problème.»