Le 4 janvier dernier, Google a commencé à interdire certains traceurs sur son navigateur Chrome, un autre clou dans le cercueil de ces « cookies » si indiscrets. Qu’est-ce que cela change pour les utilisateurs ? Les annonceurs, notamment au Québec, pourront-ils s’adapter ? Le point.

42,9 %

Proportion des sites web installant des traceurs sur l’appareil de leurs visiteurs en janvier 2024, selon la firme W3Techs

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Nombre moyen de traceurs par site, selon le rapport Focal Point Insights. De ce nombre, près de 60 % sont considérés comme « tiers », suivant l’internaute d’un site à l’autre.

Deux ans de retard

L’élimination annoncée par Google des traceurs tiers ne touchera au début que 1 % des utilisateurs choisis au hasard de son navigateur Chrome, avant d’être généralisée d’ici la fin de 2024. Il ne s’agit pas d’une grande surprise : Google avait annoncé il y a quatre ans presque jour pour jour que ces fichiers informatiques utilisés pour pister les internautes d’un site à l’autre allaient être bannis. L’opération, finalement, a commencé avec deux ans de retard. Apple, avec son navigateur Safari, et Mozilla avec Firefox les ont bannis depuis plusieurs années.

Quelques définitions

Que sont exactement ces traceurs tiers, qu’on appelle également « témoins » et, en anglais, « cookies » ? Il faut d’abord les distinguer des fichiers informatiques que des sites web installent sur l’ordinateur de leurs visiteurs. Ces fichiers permettent de garder en mémoire certaines informations, utiles pour la connexion ou les choix de configuration de l’usager, et ne sont utilisés que par le site visité. Notamment sous l’influence des lois européennes, leur installation requiert maintenant une approbation de l’internaute.

PHOTO FOURNIE PAR MIREGO

Jean-Philippe Couture, spécialiste en cybersécurité chez Mirego

Les traceurs tiers, eux, sont implantés par des entreprises externes dont la spécialité est de récolter de l’information sur les internautes tout le long de leurs activités, même après qu’ils ont quitté le site visité. Ils sont largement utilisés pour la publicité ciblée.

L’information sur les internautes qu’ils récoltent, théoriquement anonyme, comprend la localisation et les habitudes de navigation. Elle est vendue à d’autres entreprises qui peuvent compiler toute l’information sur l’internaute.

L’interdiction de ces traceurs tiers est indéniablement une bonne nouvelle pour la protection de la vie privée, estime Jean-Philippe Couture, spécialiste en cybersécurité chez Mirego, une agence québécoise de marketing numérique. « Concrètement, on ne peut plus suivre aussi facilement les habitudes des utilisateurs d’un site à un autre. Et que Google, qui contrôle quand même 60 % du marché des navigateurs, le fasse, ça a un impact. »

Un chemin sinueux

Si le principe de l’élimination des traceurs tiers semble simple, son application par Google et le remplacement de ces fichiers se sont butés à de nombreux obstacles. En fait, le géant des moteurs de recherche jongle avec cinq méthodes distinctes, dans le cadre d’un projet plus vaste appelé Privacy Sandbox (« bac à sable de la confidentialité »). En 2021, on a tenté d’implanter une solution de rechange appelée FLoC, qui générait des cohortes d’utilisateurs aux champs d’intérêt semblables.

« Ça n’a pas levé, il y a eu beaucoup de grogne de la communauté internet qui avait l’impression que Google tentait d’imposer son propre standard », explique M. Couture.

FLoC a été abandonné officiellement en janvier 2022 et remplacé par une nouvelle proposition, Topics, présentée comme moins invasive, qui étiquette notamment les internautes selon 471 catégories.

Un avantage pour Google ?

L’abandon des traceurs tiers annoncé récemment est quant à lui en attente de l’avis de l’Autorité britannique de la concurrence et des marchés « sur des problèmes de concurrence », explique Google dans un billet de blogue.

Il s’agit effectivement d’un effet potentiellement pervers de l’élimination des traceurs tiers, analyse Jean-Philippe Couture. « Les annonceurs n’ont plus accès aux informations des utilisateurs, mais Google continue de les accumuler. Les annonceurs vont devoir aller voir Google pour les obtenir. »

Comment les annonceurs, notamment au Québec, perçoivent-ils ce mouvement qui semble inéluctable vers la fin des traceurs tiers ? On est loin de la panique, précise d’entrée de jeu le spécialiste en cybersécurité, d’abord parce que la tendance est connue depuis des années. Elle s’ajoute à la popularité grandissante des bloqueurs de publicité.

Résultat : il y a belle lurette que les données d’utilisateurs qu’utilisent les publicitaires sont moins fiables.

« Ce qu’on constate, c’est que les chiffres qu’on a ou que nos clients obtiennent par les outils analytiques n’ont pas une valeur absolue. On en tient déjà compte dans la façon dont on les utilise. L’annonce de Google, ça vient ajouter plus de flou… »

L’histoire jusqu’ici

  • 22 août 2019 : Google annonce la mise sur pied d’une initiative appelée Privacy Sandbox visant à mieux contrôler les fichiers témoins.
  • 14 janvier 2020 : Les traceurs « tiers » seront obsolètes « d’ici deux ans », annonce Google.
  • 25 mars 2020 : Apple annonce le blocage par défaut de tous les traceurs tiers dans son navigateur Safari.
  • 26 avril 2021 : Apple lance l’App Tracking Transparency, qui permet aux utilisateurs d’appareils iOS de refuser le suivi publicitaire.
  • 14 décembre 2023 : Google annonce le lancement de la fonctionnalité Tracking Protection dans Chrome, qui limitera par défaut l’installation de traceurs tiers à compter du 4 janvier 2024.