Imaginez que tous les enfants de Montréal puissent enfourcher leur vélo pour se rendre seuls à l’école. C’est le rêve de Catherine Turcot, ingénieure à la Ville de Montréal. Même si elle n’est pas certaine que ses filles de 1 et 3 ans pourront voir son rêve devenir réalité, elle y travaille au quotidien. Elle a notamment réalisé la conception du premier axe du Réseau express vélo (REV), Berri/Lajeunesse/Saint-Denis, un projet transformateur pour Montréal.

« C’était la première fois que la Ville acceptait qu’un projet d’aménagement cyclable ait un impact sur la capacité routière, indique Catherine Turcot. Nous avons retranché une voie dans chaque direction et retiré quelques places de stationnement pour donner plus de visibilité aux cyclistes qui sont par ailleurs protégés de la circulation par les voitures stationnées. »

À ses yeux, Montréal est alors entré dans une nouvelle ère.

Nous travaillons maintenant à attirer le plus de gens possible sur les voies cyclables en créant des aménagements de qualité et équitables, où les gens se sentent bien et se rencontrent. Ce sont des milieux de vie.

Catherine Turcot, ingénieure à la Ville de Montréal

Le déclic est venu d’un voyage à vélo aux Pays-Bas en 2009. « C’est un vrai mode de transport dans ce pays où tout a été conçu pour que ce soit sécuritaire et confortable, raconte-t-elle. On voit des gens âgés à vélo, des gens qui vont travailler, d’autres qui font leurs courses et des enfants qui vont seuls à l’école. J’ai été ébahie par ce que j’ai vu. »

L’objectif professionnel de Catherine Turcot était désormais clair. Celle qui, déjà à l’époque, se déplaçait à vélo toute l’année voulait créer des rues à échelle humaine où les gens se sentent bien et choisissent naturellement le vélo et la marche comme mode de transport.

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Le premier axe du REV a été un succès, avec un record de plus de 1,5 million de passages au compteur en 2023.

Si elle pensait d’abord devenir architecte ou architecte du paysage, son objectif l’a amenée vers le génie de la construction. « La conception routière est un acte réservé aux ingénieurs », précise celle qui a fait sa maîtrise sur l’élaboration d’un réseau cyclable en milieu urbain.

Alors que le premier axe du REV a été un succès, avec un record de plus de 1,5 million de passages au compteur en 2023, la femme de 39 ans et son équipe travaillent maintenant à développer notamment l’axe REV Henri-Bourassa.

Rêver avec la science

Doit-on être rêveur pour devenir ingénieur ? Oui, tout en étant ancré dans la science, évalue Sophie Larivière-Mantha, présidente de l’Ordre des ingénieurs du Québec (OIQ).

« Il y a un côté créatif et innovateur, parce que l’ingénieur aime trouver des solutions aux problèmes, explique-t-elle. Et cela peut s’appliquer à toutes sortes de domaines, comme l’adaptation aux changements climatiques et la recherche de nouvelles façons de chauffer les bâtiments. »

Catherine Turcot n’est pas la seule ingénieure à rêver grand et à travailler pour que cela devienne réalité. Déjà, à l’université, les jeunes en génie aspirent à changer le monde, remarque David Ménard, professeur au département de génie physique à Polytechnique Montréal.

Dans les cours fondamentaux, comme mécanique quantique, je fais des liens avec les grands enjeux actuels. Ce qu’on étudie peut changer la donne dans différents domaines. Par exemple, la création de nouveaux matériaux pour produire de l’énergie renouvelable. Les jeunes sont très réceptifs à ça.

David Ménard, professeur au département de génie physique à Polytechnique Montréal

Rêver pour entreprendre

Le côté rêveur vient souvent aussi avec le côté entrepreneur chez les ingénieurs. En effet, pas moins de 15 % des ingénieurs du Québec possèdent une entreprise, d’après une étude publiée en novembre 2022 par l’OIQ. En comparaison, c’était 5,6 % dans la population québécoise en 2021, d’après l’Indice entrepreneurial.

De plus, 83 % de leurs entreprises sont basées sur un produit ou service conçu ou amélioré grâce à leur formation en génie. Ces sociétés sont d’ailleurs quatre fois plus nombreuses que les PME canadiennes à détenir des brevets. Les étudiants en génie suivent aussi la tendance : 50 % d’entre eux ont l’intention de se lancer un jour en affaires.

Pour arriver à imaginer des solutions qui changeront les choses, il faut baigner dans un environnement favorable à la créativité, d’après David Ménard.

« D’ailleurs, si l’intelligence artificielle avance très rapidement, elle n’arrive pas encore à rivaliser avec l’intelligence naturelle où l’humain est juste là, ouvert, spontané, créatif et qui, soudainement, a des idées, souligne-t-il. Mais, pour que cela se produise, il faut créer des lieux où les gens se sentent bien et peuvent échanger. Il faut aussi laisser de la place à la spontanéité, ce qui est difficile dans notre travail parce qu’on a des horaires assez chargés, mais c’est important d’y arriver. »