Il y avait comme un relent de reproche.

« J’apprécie les chroniques financières sur la retraite, mais il y a un manque flagrant de chroniques pour les célibataires avec revenus de retraite restreints, c’est-à-dire entre 35 000 $ et 50 000 $, nous a écrit Monique*. S’il vous plaît, nous prendre en exemple et nous donner des indices pour nous aider. Nous sommes une majorité en société. Merci. »

La femme de 65 ans a bien voulu servir d’exemple.

La situation

« J’ai pris ma retraite à 61 ans, car physiquement, c’était devenu difficile », a-t-elle raconté au téléphone. Elle touchait jusqu’alors un salaire d’environ 50 000 $ par année.

À 61 ans, elle a commencé à toucher la rente du régime de retraite à prestations déterminées de son employeur, qui s’élevait alors à 1152 $ par mois après impôt, garantie jusqu’à la mort, mais non indexée au coût de la vie.

Elle avait demandé à recevoir immédiatement la rente du Régime des rentes du Québec (RRQ), à hauteur de 671 $ par mois après impôt. « Au total, 1823 $ par mois », énonce-t-elle.

À son 65e anniversaire, en octobre dernier, la rente de retraite de son employeur a été réduite à 771 $ par mois.

Elle a alors commencé à toucher la pension de la Sécurité de la vieillesse (SV) de 707 $ par mois.

À la fin de l’année 2023, sa rente du RRQ avait atteint pour sa part 677 $ par mois.

En somme, elle estime que ses revenus à la fin de l’année 2023 avoisinent 2150 $ par mois, soit un peu plus de 25 000 $ par année.

Elle habite un condo entièrement payé, dont elle estime la valeur à 300 000 $. Les charges de copropriété sont fixées à 266 $ par mois, plus quatre contributions annuelles spéciales de 225 $ chacune. L’impôt foncier atteint 1750 $ par année.

Sa voiture date de 10 ans « et est encore bonne pour longtemps ».

Le solde de sa carte de crédit est rigoureusement remboursé chaque mois. Bref, elle n’a aucune dette.

Elle détient 424 000 $ en compte d’épargne libre d’impôt (CELI) et en régime enregistré d’épargne-retraite (REER).

« J’ai également des liquidités de 24 000 $ pour couvrir les imprévus », précise la prévoyante retraitée.

Des imprévus qui ont déjà commencé à se manifester.

« Depuis quelques mois, avec l’augmentation des coûts d’épicerie, d’essence et tout en général, je n’ai pas suffisamment de revenus, déplore Monique. Je dois puiser dans mes économies. Malgré tout, je pense être en bonne posture financière, mais étant célibataire, il faut que je fasse quand même attention à ne pas trop dépenser. »

« Mes dépenses incluent des restaurants, billets de spectacles et sports, frais de gym », énumère-t-elle.

Durant la première moitié de 2023, son déficit mensuel a varié de 50 à 100 $.

« Par contre, à 65 ans, mes revenus mensuels ont augmenté avec les revenus de pension fédérale. »

En résumé, sa situation ne semble pas alarmante. Pour l’instant. Mais comment se présentera l’avenir ?

Quels indices, comme elle le demande, un conseiller pourrait-il donner à cette célibataire ?

Les chiffres

Monique, 65 ans

Revenus de retraite (décembre 2023)

Rente de retraite d’employeur : 771 $/mois, non indexée (après impôt)
RRQ : 677 $/mois (après impôt)
PSV : 707 $ par mois (brut)

Épargnes

REER : 276 000 $
CELI : 148 000 $
Liquidités : 24 000 $

Propriété

Condo payé
Valeur marchande : environ 300 000 $

La réponse

David Truong repère déjà un indice favorable : « Elle a un fonds d’urgence de 24 000 $ ! C’est parfait ! », se réjouit le président de Banque Nationale Planification et Avantages sociaux.

Monique n’a aucune dette et a accumulé environ 450 000 $ en épargne de retraite et liquidités, plus 300 000 $ de valeur nette sur son condo, pour un actif totalisant près de 750 000 $.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

David Truong, président de Banque Nationale Planification et Avantages sociaux

« C’est quand même un beau bilan », constate le planificateur financier.

« Mais la maison représente quand même 40 % de ce bilan », ajoute-t-il.

Évidemment, on ne peut pas reprocher à Monique la hausse récente de la valeur de sa propriété.

Néanmoins, « en planification financière, il y a une règle informelle qui dit que si tes biens à usage personnel, dans ce cas-ci le condo, représentent plus de 25 % de ton bilan, ça peut exercer des pressions sur les flux monétaires à la retraite », indique David Truong.

Comme sa propriétaire, la propriété va vieillir et engendrer des dépenses croissantes de santé, qu’on appelle couramment entretien et réparations.

Budget de célibataire

On considère généralement que le budget d’un célibataire se situe entre 60 % et 70 % de celui d’un couple qui jouit du même niveau de vie. La retraite n’y change rien en substance.

C’est donc sur ses dépenses que Monique devra porter son attention, pour repérer les indices de dérapage. David Truong les arrondit à 2100 $ par mois, soit 25 000 $ par année.

Il a fait une projection de retraite sur la base d’un portefeuille équilibré avec un rendement de 3,8 % et une indexation de 2,1 % (en moyenne à très long terme).

« Elle arrive, mais c’est sûr que c’est serré », indique-t-il.

En supposant que ses épargnes s’épuisent à son 96anniversaire, elle serait en mesure de maintenir un coût de vie indexé de 27 000 $ par année jusqu’à la fin de ses jours.

Par rapport à son budget actuel, l’écart est mince. « Elle ne peut pas se permettre de folies, bien qu’elle semble très satisfaite de ses dépenses de divertissement », observe David Truong.

Or, rappelle-t-il, « rien n’est linéaire dans les dépenses et il y aura peut-être des imprévus ».

Sa voiture est en bon état, mais il est douteux qu’elle tienne encore 30 ans. Les dépenses de santé iront croissant. Avec le temps, il faudra vraisemblablement puiser davantage dans les épargnes de retraite.

Comment Monique peut-elle élargir sa marge de sécurité budgétaire ? Il y a peu d’espoir du côté de la réduction de son train de vie. Il lui serait difficile de trouver à se loger confortablement pour moins cher, souligne le planificateur.

Il reste le condo, un actif immobilisé. Comment le monnayer sans s’en défaire ?

Elle pourrait ouvrir une marge de crédit garantie par sa propriété.

« Mais il faut se qualifier pour le financement, ce qui dépend de ses revenus. Les critères sont sévères, et les taux d’intérêt ne sont pas nécessairement en sa faveur pour le taux de qualification, bien qu’elle ait quand même une maison toute payée. »

Une hypothèque inversée

« L’autre option pour générer un petit peu plus de flexibilité, c’est ce qu’on appelle l’hypothèque inversée », suggère le planificateur.

Avec cette formule, une institution spécialisée prête une somme garantie par la propriété sans obligation de remboursement de capital ni de paiement d’intérêts.

Les sommes prêtées et les intérêts accumulés sont généralement remboursés lors de la vente de la propriété, au plus tard à la mort du dernier copropriétaire. Le prêt autorisé, généralement entre 10 % et 55 % de la valeur nette de la propriété, dépend de différents facteurs, tels l’âge des copropriétaires (donc leur probabilité de vivre longtemps), le type et l’emplacement de la propriété (donc son potentiel de plus-value) et les taux d’intérêt en vigueur (donc l’accumulation des intérêts payables à l’échéance).

« L’avantage de l’hypothèque inversée, c’est qu’il n’y a pas de qualification en matière de revenus », relève David Truong.

La somme accordée peut être encaissée d’une seule venue ou en versements étalés dans le temps.

« Les intérêts courent à partir des montants de chaque avance et non du montant total », précise le planificateur.

Mais rien n’est parfait.

« L’inconvénient de l’hypothèque inversée, c’est que le taux d’intérêt est un peu plus élevé et qu’il est généralement non négociable. »

Rien n’oblige Monique à y avoir recours immédiatement. « L’âge minimum est de 55 ans, mais il n’y a pas d’âge maximum », informe notre conseiller.

À l’égard de l’hypothèque inversée, son statut de célibataire lui procure un certain réconfort : elle n’a pas à se préoccuper de laisser un logement ou un héritage à un conjoint survivant.

Reporter la PSV

Monique a demandé à toucher la rente du RRQ à 61 ans, dès le début de sa retraite. Elle reçoit la PSV depuis son 65anniversaire, survenu en octobre dernier. Or, les planificateurs recommandent généralement de reporter les rentes publiques de quelques années pour les maximiser. La rente du RRQ, par exemple, est majorée de 0,7 % pour chaque mois de report après 65 ans.

C’est une forme d’assurance sur le long terme : cette rente majorée est indexée chaque année et versée jusqu’à la mort, aussi tardif soit-elle. Bien entendu, dans l’intervalle entre 65 ans et le début de la perception de la rente, il faudra compenser le manque à gagner en puisant davantage dans les épargnes de retraite. Mais les probabilités de survie favorisent cette stratégie.

Il est trop tard pour le RRQ, mais Monique peut encore y recourir pour la PSV.

En effet, la personne qui reçoit la PSV depuis moins de six mois peut demander l’annulation ou le report des paiements. À partir de la date à laquelle sa requête est accordée, Monique aura six mois pour rembourser les sommes reçues jusqu’alors.

« Elle pourrait recevoir à 70 ans près de 3500 $ de plus par année, estime le planificateur. “Mathématiquement, sur le long terme, ça a du sens.”

« Si elle veut les indices d’un conseiller, c’en est un ! », ajoute-t-il en riant.

En voici d’autres.

Puisqu’elle est célibataire et sans enfant, Monique voudra préciser dans un testament à qui elle léguera ses biens, plutôt que laisser le Code civil en décider. Elle devra s’assurer, si ce n’est déjà fait, qu’un mandataire en prévision de son inaptitude a été désigné.

* Bien que le cas mis en lumière dans cette rubrique soit réel, les prénoms utilisés sont fictifs.

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