Les profils des utilisateurs de l’aide alimentaire continuent d’évoluer et leur nombre, d’augmenter. Pris à la gorge, de plus en plus de gens s’endettent pour payer l’épicerie.

À la petite épicerie des 3 Paniers de Montréal, il est plus fréquent que les gens demandent de payer leurs emplettes avec une carte de crédit. Déjà, l’épicerie solidaire propose des formules de paiement pour aider ceux et celles qui n’arrivent plus. Alors les voir maintenant sortir une carte parce qu’ils n’ont plus de liquidités inquiète au plus haut point Sylvie Chamberland.

« Ça n’est pas nouveau de voir que des gens s’endettent pour la nourriture. Ce qui est nouveau, c’est de voir à quel point c’est répandu », précise la codirectrice générale de l’organisme Carrefour solidaire, un centre communautaire d’alimentation qui travaille dans le quartier Centre-Sud.

Le problème, détaille Sylvie Chamberland, est que les gens qui entrent dans une phase d’insécurité alimentaire modérée ou plus grave traînent ces dettes-là longtemps et peinent à s’en sortir.

« Des gens vont prendre des années à se remettre de ça, dit-elle. Ces gens-là ont la tête sous l’eau pour les prochaines années. »

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La codirectrice générale de l’organisme Carrefour solidaire, Sylvie Chamberland

S’endetter avec une carte de crédit pour s’alimenter, c’est incohérent. C’est un droit qui devrait être acquis. L’alimentation fait partie des droits fondamentaux.

Sylvie Chamberland, codirectrice générale de l’organisme Carrefour solidaire

Difficile de calculer le taux d’endettement lié directement à l’alimentation, dit l’économiste Geoffroy Boucher, mais plusieurs signaux peuvent appuyer cette hypothèse que l’alimentation contribue à l’endettement pour une partie de la population.

« On voit que l’endettement des ménages au Canada connaît une augmentation record », débute M. Boucher, qui est économiste à l’Observatoire québécois des inégalités. Il rappelle ensuite que l’alimentation est le deuxième poste de dépenses des familles.

« Et c’est là qu’on a connu les plus hautes hausses de prix dans la dernière année, ajoute-t-il. En fait, depuis la fin de 2021, la hausse des prix des aliments est plus élevée que l’inflation globale. »

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Les Bols du quartier, rue Sainte-Catherine Est, ont une clientèle d’habitués faite de gens de plusieurs milieux sociaux. Cette mixité contribue à l’atmosphère joyeuse du café. Les gens paient leur repas selon leurs moyens.

Plus d’enfants reçoivent de l’aide

Mardi midi, on avait fait un repas des Fêtes aux Bols de quartier, ce café adjacent à l’épicerie 3 Paniers. Là, la saine alimentation est à la portée de tous.

Nous y étions allés l’année dernière, pour constater la hausse de l’achalandage qui venait en partie des travailleurs, avec un revenu, et des étudiants. Cette année, une autre clientèle a augmenté et c’est impossible de ne pas le remarquer dans le café : les enfants. Oui, la grève a amené quelques élèves, mais l’augmentation des enfants dans le café communautaire date d’avant le conflit, nous expliquent les bénévoles.

Les parents qui fréquentent l’endroit, et l’aiment, commencent à emmener les enfants y prendre le dîner. C’est une sortie agréable et c’est aussi l’occasion d’avoir un bon repas à très bas prix, ce qui est de plus en plus difficile dans un restaurant.

Le café fonctionne sur le principe de la contribution volontaire. Tout le monde y est très bien accueilli, pareillement, peu importe les moyens. Et le nombre de clients augmente, continuellement.

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Les repas servis ont doublé en nombre ces derniers mois aux Bols du quartier. On en sert maintenant 150 les mardis et autant les jeudis.

Il y a les travailleurs qui arrivent à midi et laissent la somme qu’ils auraient payée ailleurs pour ce même repas, et il y a ceux qui profitent plutôt d’un répit, essentiel.

Les statistiques confirment la hausse des enfants comme bénéficiaires de l’aide alimentaire au Québec et, en ce sens, l’inflation alimentaire risque de laisser de solides traces, dit Geoffroy Boucher.

« Il y a énormément de littérature, même de la littérature économique, sur le lien entre l’insécurité alimentaire et le développement des tout-petits, précise l’économiste. Et ça commence dès la grossesse puisque l’alimentation de la mère a un impact déterminant sur le développement de l’enfant. »

En plus des effets directs sur la santé physique de l’enfant et son parcours scolaire, Geoffroy Boucher précise que les enfants développent petits des habitudes alimentaires qui vont les suivre toute leur vie.

« S’ils doivent se priver de certains aliments plus nutritifs ou s’ils sont moins exposés à des aliments variés en raison des contraintes de prix, ça va se répercuter sur leurs habitudes alimentaires tout le reste de la vie. C’est particulièrement préoccupant, car les données démontrent que l’insécurité alimentaire est en hausse chez les personnes de moins de 18 ans, donc les enfants. »

Une sensibilisation utile

Selon le dernier Bilan Faim des Banques alimentaires du Québec, c’est maintenant 35 % des bénéficiaires des banques qui sont des enfants. L’édition 2023 du document contient quelques autres chiffres crève-cœur, notamment le fait que depuis 2019, il y a eu augmentation de 33 % des demandes d’aide mensuelles.

Ça n’est pas normal que les banques alimentaires donnent des services à un Québécois sur dix.

Martin Munger, directeur général des Banques alimentaires du Québec

Lorsqu’il publie ces chiffres, toujours plus alarmants, l’organisme se demande si cela peut mener à une désensibilisation de l’opinion publique. Il ne semble pas que ça soit le cas, dit Martin Munger. « On a senti le contraire cette année », dit-il.

Le fait que l’inflation alimentaire touche tout le monde, même les nantis, éveille probablement davantage l’opinion publique, en général.

« Je pense que ça aide lorsque les gens réalisent que, si eux ont de la difficulté à la caisse, à l’épicerie, la situation est plus difficile encore pour ceux qui ont des revenus plus bas », dit Martin Munger.

En savoir plus
  • 54 %
    Pour la première fois en 15 ans, les familles biparentales occupent la première place pour ce qui est de la représentation dans l’aide alimentaire, à Montréal : 54 % des personnes ayant recours au dépannage alimentaire sont des familles, dont 33,7 % sont des ménages avec deux parents.
    Source : Moisson Montréal
    X 2
    En quatre ans, le nombre de dépannages alimentaires, ces paniers d’aide d’urgence, a doublé au Québec
    Source : Bilan Faim
  • 71 %
    En 2023, 71 % des organismes ont manqué de nourriture, donc plus de la moitié (55 %) ont dû acheter des aliments pour compenser
    Source : Bilan Faim