Alors que les taux d’intérêt des prêts hypothécaires ont grandement augmenté dans les dernières années, de plus en plus de gens se demandent s’ils devraient les éviter en puisant dans leurs économies pour payer leur propriété. C’est le cas de Jacinthe* et d’André*.

La situation

Jacinthe, 65 ans, et son mari André, 66 ans, sont retraités et viennent d’avoir un coup de foudre pour une nouvelle maison. Ils ont l’intention de vendre leur propriété actuelle entièrement payée d’une valeur d’environ 600 000 $, puis de retirer 75 000 $ de leur compte d’épargne libre d’impôt (CELI) dont les fonds sont investis comme tous leurs placements à 60 % dans des titres à revenu fixe et à 40 % dans des actions. Le couple, qui n’a pas d’enfant, obtiendrait ensuite un prêt hypothécaire de 75 000 $. Ainsi, Jacinthe et André auraient les 750 000 $ nécessaires pour l’achat de leur nouvelle propriété. « Nous pensons prendre un prêt sur 30 ans pour avoir une marge de manœuvre, mais le rembourser en 10 ans si tout va bien, indique Jacinthe. Nous nous demandons si c’est la solution la plus avantageuse. »

Les chiffres

Jacinthe, 65 ans

Régime enregistré d’épargne-retraite (REER) : 59 000 $

Compte d’épargne libre d’impôt (CELI) : 79 000 $

Régime de retraite de l’ancien employeur : 21 800 $ annuellement

Régime de rentes du Québec (RRQ) : 13 730 $ annuellement

Pension de la Sécurité de la vieillesse (SV) : 8300 $ annuellement

André, 66 ans

Fonds enregistré de revenu de retraite (FERR) : 466 000 $, retrait de 24 000 $ par année

CELI : 82 000 $

RRQ : 16 630 $ annuellement

SV : 8950 $ annuellement

Coût de vie du couple actuellement : 65 000 $ annuellement

Deux voitures payées

Aucune dette

Taux d’intérêt élevés

Alors que les taux d’intérêt actuels pour les prêts hypothécaires fixes sont autour de 5,5 % et 6 %, prendre un prêt hypothécaire est un pensez-y-bien, souligne Simon Préfontaine, planificateur financier chez Lafond Services financiers.

« Avec un portefeuille composé à 40 % d’actions et à 60 % de titres à revenu fixe, on peut calculer que le rendement annuel du couple est d’environ 3,5 %, ce qui est beaucoup moins que ce que lui coûtera l’hypothèque », illustre-t-il.

En plus, il souligne que le couple devra payer le notaire, ce qui représente une somme d’environ 1000 $, parce que, étant donné que son prêt serait de seulement 75 000 $, les banques ne lui offriront pas de payer une partie de ces frais.

Ainsi, avec un emprunt de 75 000 $, les versements sur 30 ans seraient d’un peu plus de 450 $ par mois, et si Jacinthe et André remboursent leur prêt en 10 ans, ils devraient payer un peu plus de 800 $ par mois. Pour rembourser leur hypothèque en 10 ans, ce serait donc près de 10 000 $ qu’ils devraient ajouter à leur coût de vie pour ce même nombre d’années.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Simon Préfontaine, planificateur financier chez Lafond Services financiers

« En suivant les normes de prévision de l’Institut québécois de la planification financière, je calcule qu’ils devraient vivre avec environ 71 500 $ par année jusqu’à la fin de leurs jours, évalue Simon Préfontaine. Or, pour les 10 premières années suivant l’achat de la maison, ils auraient besoin de 75 000 $, alors ils devraient compenser soit en réduisant leurs dépenses, soit en puisant dans leurs CELI, soit en sortant davantage d’argent de leur régime enregistré d’épargne-retraite (REER), ce qui les amènerait à devoir payer plus d’impôt. Ce n’est pas l’idéal. »

L’option zéro endettement

La première solution que le planificateur financier voit pour Jacinthe et André serait de ne pas aller chercher de prêt hypothécaire et de retirer les 150 000 $ dont ils ont besoin de leurs CELI.

« Ainsi, ils n’auraient pas d’intérêts à payer, pas de frais de notaire, une offre d’achat sans condition d’approbation hypothécaire et ils ne verraient pas leur train de vie annuel augmenter parce qu’ils n’auraient pas de paiement à faire chaque mois pour leur nouvelle maison », explique-t-il.

Par contre, retirer 150 000 $ de leur CELI voudrait dire qu’il y resterait seulement 11 000 $ comme fonds d’urgence.

« Probablement que le couple n’aimerait pas avoir aussi peu, parce qu’il est toujours possible qu’il arrive quelque chose avec la nouvelle maison, comme des travaux à réaliser plus tôt que prévu, ou encore un vice caché, indique Simon Préfontaine. C’est certain qu’ils n’aimeraient pas non plus devoir puiser dans leurs REER pour ce genre d’imprévu. »

Il leur suggérerait donc de prendre une marge de crédit hypothécaire en achetant la maison. « Cela leur coûterait très peu par mois s’ils la gardent à zéro, probablement autour de 10 $, et ce pourrait même être gratuit dans certaines banques s’ils déposent une certaine somme dans leur compte », précise-t-il.

Ainsi, le couple pourrait réaliser son projet sans s’endetter, avec la paix d’esprit que cela garantit.

L’option sortir l’argent des murs de la maison

Il faut toutefois considérer que le couple n’a pas d’enfant et qu’il n’a pas l’objectif de léguer un héritage à qui que ce soit. Or, si Jacinthe et André payent leur maison comptant, ils se retrouveront à devoir donner à leur mort la valeur de cette propriété, qui aura d’ailleurs continué à croître.

« Pour éviter cette situation, le couple pourrait prendre un prêt hypothécaire, mais pas dans le but de le rembourser le plus rapidement possible, explique Simon Préfontaine. Leur objectif serait plutôt de profiter de leur vivant de l’argent qui a été investi dans les murs de leur maison. Ainsi, ils pourraient prendre un plus gros prêt hypothécaire, disons 150 000 $ ou même 300 000 $, pour le rembourser le plus lentement possible et pouvoir augmenter leurs dépenses annuelles. »

Pour prendre sa décision, le couple a tout avantage à réfléchir à ses priorités.

« Jacinthe et André ont plusieurs possibilités et je leur conseille de prendre le temps de s’asseoir avec un planificateur financier pour regarder l’ensemble de leur situation et la manière dont ils veulent vivre leur retraite, dit Simon Préfontaine. Ce sera leur décision, mais je crois qu’il serait plus intéressant d’aller complètement dans une direction ou complètement dans l’autre, plutôt que d’essayer d’aller entre les deux en s’endettant un peu et en se dépêchant de rembourser le prêt. »

* Bien que le cas mis en lumière dans cette rubrique soit réel, les prénoms utilisés sont fictifs.