Dans L’argent et le bonheur, notre journaliste Nicolas Bérubé offre chaque dimanche ses réflexions sur l’enrichissement. Ses textes sont envoyés en infolettre le lendemain.

Ça fait longtemps que je veux écrire sur le luxe, et en profiter pour vous poser une question.

Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais lorsqu’une personne achète un véhicule d’une marque de prestige, elle donne souvent toutes sortes d’explications plausibles.

« Je fais de grandes distances, alors j’ai besoin d’un véhicule confortable. »

« J’ai mal au bas du dos. Ce n’est pas sur le siège d’une petite Kia que je serais à l’aise ! »

« La sécurité de ma famille passe avant tout pour moi. Aucun compromis là-dessus ! »

Des explications qui, si on ne s’y attarde pas tellement, sont pleines de bon sens.

Le problème arrive quand on s’y attarde un peu…

C’est que notre cerveau est le champion toutes catégories de l’élaboration instantanée de justifications bidon. Comme l’a dit le financier américain J. P. Morgan : « Un homme a toujours deux raisons de faire quelque chose : une bonne raison, et la vraie raison. »

Il y a quelques années, Norbert Schwartz, de l’Université du Michigan, et Jing Xu, de l’Université de Pékin, se sont penchés sur la question de l’impact des véhicules de luxe sur la satisfaction des gens. Ils ont demandé à un groupe de participants s’ils estimaient que conduire une voiture de luxe serait une expérience plus agréable que conduire une voiture ordinaire. Résultat : la majorité était d’avis que conduire une voiture de luxe serait plus satisfaisant.

Mais quand les chercheurs ont demandé aux gens de quantifier le plaisir qu’ils avaient pris à conduire durant un récent trajet en voiture, et ont colligé les réponses, ils ont réalisé qu’il n’y avait pas de différence entre les réponses données par les gens qui avaient un véhicule luxueux et celles des gens qui conduisaient un véhicule ordinaire.

En un mot, on s’habitue vite au luxe, et on revient rapidement au même niveau de satisfaction de base.

Ce qui m’amène à ma question.

Imaginez un instant qu’un génie apparaisse et vous offre un véhicule. C’est votre jour de chance !

Le génie vous donne deux choix. Option 1 : vous pouvez avoir une Audi haut de gamme, mais avec la carrosserie et le logo d’un modèle Kia bon marché. Option 2 : vous pouvez avoir une Kia bon marché, mais avec la carrosserie et le logo d’une Audi haut de gamme. Dès que vous acceptez l’auto, vous seul connaissez le subterfuge, et vous ne pouvez dévoiler le secret à personne.

Pensez-y : avec l’option 1, vous bénéficiez d’un confort inégalé, des meilleures technologies de freinage, d’une sécurité à toute épreuve. Mais vos voisins, vos collègues, vos amis et les autres parents au terrain de soccer le samedi matin vous verront arriver en Kia bon marché.

Avec l’option 2, vous avez un intérieur et des options plus standard. Mais tout le monde est persuadé que vous êtes propriétaire d’une Audi de l’année.

Quelle option choisirez-vous ?

Logiquement, les personnes qui ont un véhicule de prestige choisiraient l’option 1, non ? Après tout, leur dos et la sécurité de leurs proches passent avant des choses aussi peu importantes que de signaler aux autres que l’on a du succès. N’est-ce pas ?

J’aime les réflexions (et les malaises) que provoque ce type d’exercice.

Cette tension entre notre image et l’image que les autres ont de nous n’est pas nouvelle. Il y a 2000 ans, l’empereur romain et philosophe Marc Aurèle écrivait dans ses Pensées pour moi-même : « Je ne cesserai jamais de m’étonner : nous nous aimons tous plus que les autres, mais nous nous soucions davantage de leur opinion que de la nôtre. »

Notez qu’en matière de justification bidon, je ne veux pas avoir l’air de donner des leçons.

Par exemple, j’ai découvert chez moi une excuse avec laquelle je vivais sans m’en apercevoir.

Depuis des années, je m’impatiente le soir quand mon garçon dépasse l’heure du coucher. On me rapporte que je n’utilise pas toujours le bon ton pour m’exprimer dans ces moments-là.

D’où vient cette impatience ? La « bonne » raison, celle que j’acceptais sans y penser, c’est que je veux que mon fils dorme suffisamment longtemps pour être en forme le lendemain.

Or, si je passe la soirée à l’extérieur, ou si je suis en déplacement pour le travail, est-ce que je me soucie de l’heure du coucher de mon fils ? Pas du tout. Pourtant, logiquement, je devrais m’en inquiéter. En quoi mon absence change-t-elle l’importance qu’il ait une bonne nuit de sommeil ?

J’ai réalisé que la « vraie » raison, c’est qu’à 20 h 30, j’ai hâte de retrouver le calme dans la maison. Et chaque minute où ce calme est repoussé me tombe sur les nerfs.

« Le premier principe est qu’il ne faut pas se tromper soi-même, a écrit le physicien Richard Feynman. Et l’on est la personne la plus facile à tromper. »

Vous n’aimez pas les chutes boursières

Je m’en doutais, mais vous l’avez confirmé : vous n’aimez pas les chutes boursières.

Marcel écrit : « Parfois j’ai le goût de tout vendre, ou à moitié, et placer le tout en certificat de placement garanti. Mais ma conjointe ne veut pas, et je respecte son opinion. Mon problème est que je n’aime pas voir que je perds de l’argent. »

Denis écrit : « Bien sûr que cela me préoccupe. Je suis retraité et je retire des montants de mes FERR et FRV. Pour l’instant, j’ai suffisamment de comptant et de revenu de dividendes pour couvrir les retraits pour quelques années. En espérant que les marchés boursiers se replacent en 2024 ou 2025. »

Le mot de la fin revient à Alain :

« Chaque achat d’actions a toujours été suivi de chutes. Toujours ! Pour citer un poème de Paul Valéry :

Ces jours qui te semblent vides / Et perdus pour l’univers / Ont des racines avides / Qui travaillent les déserts […] Patience, patience, / Patience dans l’azur ! Chaque atome de silence / Est la chance d’un fruit mûr ! »