S’il suffit d’un coup de fil pour ouvrir un régime enregistré d’épargne-études, qu’arrive-t-il au juste au moment de sortir l’argent ? Qui doit-on contacter, à qui appartiennent les fonds, qu’est-ce qui est perdu si l’enfant ne fait pas d’études postsecondaires, quelle est la meilleure stratégie de décaissement ? Nous avons demandé à deux experts de nous guider.

Mettons d’abord la table. Qu’est-ce qu’un régime enregistré d’épargne-études ?

Il s’agit d’un véhicule d’épargne qui permet de mettre de l’argent de côté pour les études postsecondaires d’un enfant, le « bénéficiaire », qui doit être résident canadien. N’importe qui peut ouvrir dans une institution financière un compte REEE individuel pour un enfant, il faut être parent ou grand-parent pour un REEE familial. Un REEE a une durée de vie de 35 ans, la limite de cotisation est de 50 000 $ à vie par enfant. Les placements admissibles sont semblables aux REER et aux CELI.

Les cotisations ne sont pas déductibles d’impôt. Mais l’intérêt indéniable d’un REEE, c’est qu’il donne droit à des subventions gouvernementales. Les modalités sont complexes. La subvention de base au fédéral, appelée Subvention canadienne pour l’épargne-études (SCEE), est de 20 %, jusqu’à un maximum de 500 $ par année. Au provincial, c’est exactement la moitié : 10 % et un maximum de 250 $ par année. On touche donc le maximum de subvention avec une cotisation annuelle de 2500 $, avec une limite à vie de 7200 $ et 3600 $. Les familles à faible revenu ont droit à des aides supplémentaires.

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Philippe Martineau, conseiller en sécurité financière

C’est un rendement garanti de 30 %, ce serait presque ridicule de ne pas en profiter.

Philippe Martineau, conseiller en sécurité financière.

Cotisations et subventions sont placées dans le REEE et donnent un rendement. Celui-ci ne devient imposable qu’au moment où les fonds sont sortis du régime, ou « décaissés ».

Quels sont les différents types de REEE ?

On distingue trois types de REEE. Le REEE individuel est le plus simple : un enfant bénéficiaire, aucune obligation sur l’identité des souscripteurs, un seul compte dans lequel les cotisations, les subventions et les rendements s’accumulent, un décaissement possible dès qu’il est inscrit aux études postsecondaires.

Dans le REEE familial, le souscripteur doit avoir un lien de sang avec les enfants bénéficiaires. Les limites de subvention et de contribution demeurent les mêmes par enfant, mais des bénéficiaires de moins de 21 ans peuvent être retirés ou ajoutés en cours de route. L’avantage, c’est la gestion d’un seul compte pour plusieurs enfants.

Le REEE collectif, lui, est un outil complexe offert par des courtiers de régimes collectifs. Essentiellement, les parents s’engagent à des paiements réguliers qui leur accordent des parts d’un fonds. Ils doivent payer des frais d’administration et des pénalités s’ils quittent le fonds.

Quel est le meilleur véhicule ?

Les deux experts consultés par La Presse sont d’accord : leur préférence va au REEE individuel. « Il n’y a rien de plus simple, résume M. Martineau. C’est le seul où tu peux avoir quelqu’un d’autre que le parent pour l’ouvrir. »

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Antoine Auger, planificateur financier chez IG Gestion de patrimoine

Antoine Auger, planificateur financier chez IG Gestion de patrimoine, précise d’entrée de jeu qu’il n’offre pas de REEE collectifs, lesquels ont connu leur lot de controverses depuis dix ans. « Je ne vais jamais dire qu’un régime est mauvais, mais il faut comprendre comment il fonctionne. Les gens ne comprenaient pas qu’ils s’engageaient à payer un certain montant jusqu’à la fin, c’est à l’entreprise d’expliquer ça. » S’il reconnaît que le REEE familial offre l’avantage d’un seul compte quand on a plusieurs enfants, il n’y voit pas de réel avantage pour le transfert des fonds entre bénéficiaires, également possible entre REEE individuels.

Que se passe-t-il exactement quand mon enfant s’inscrit à des études postsecondaires ?

D’abord, muni d’une preuve d’inscription admissible – dans un centre de formation professionnelle, un cégep ou une université –, vous contactez l’institution financière où votre REEE a été ouvert. La première étape consiste à identifier un compte – habituellement celui des parents souscripteurs – où les transferts d’argent pourront se faire.

C’est ici que le REEE se divise en deux portions : les contributions ou « capital », d’un côté, et les subventions et tous les revenus de placement, de l’autre. Les contributions appartiennent à 100 % aux souscripteurs, généralement les parents, qui peuvent les retirer à leur guise ou les laisser fructifier dans le REEE, qui a une durée de vie de 35 ans.

« C’est ton argent, tu t’es cassé pendant 16 ou 17 ans pour le mettre de côté », rappelle M. Martineau.

Vaut-il mieux utiliser ce capital pour les études de son enfant ? Ou rénover sa cuisine, acheter une voiture ou se payer quelques voyages ? Techniquement, les deux voies sont possibles, mais on sent que nos deux experts préfèrent la première. « Les parents, il y en a de tous les styles, note M. Martineau. Est-ce qu’on rénove sa cuisine ? Non, selon moi. Est-ce qu’on le met de côté ? Oui. Quand ton enfant arrive avec des factures, tu peux payer, tu sais que tu as de l’argent pour ça. »

Et l’autre portion ?

Celle-ci, appelée Paiements d’aide aux études ou PAE, est plus délicate à gérer. D’abord parce que les retraits du REEE vers le compte désigné sont imposables et s’ajoutent aux revenus de l’enfant bénéficiaire. Ces retraits ne peuvent dépasser 8000 $ (ou 4000 $ pour des études à temps partiel) durant les 13 premières semaines d’études postsecondaires. Le reste du PAE est ensuite intégralement disponible, toujours avec des preuves d’inscription, et des retraits peuvent être faits jusqu’à six mois après la fin du programme d’étude.

« À cet âge-là, généralement, les jeunes ont peu de revenus imposables », rappelle Antoine Auger. Pour l’année 2023, un étudiant peut gagner jusqu’à 15 000 $ sans payer de l’impôt.

Les fonds disponibles pour les PAE appartiennent aux souscripteurs, qui décident à quel rythme ils les transfèrent à l’enfant. Théoriquement, ils ne peuvent en faire ce qu’ils veulent. L’Agence du revenu du Canada est claire à ce sujet : l’institution financière doit estimer les dépenses « raisonnables » et peut même demander des reçus pour « des dépenses éducatives autorisées ».

Dans les faits, ces vérifications sont très rares, voire inexistantes. Si on exclut le dilemme moral, un parent pourrait donc décider sans grand risque d’utiliser cette portion PAE pour ses propres besoins. « Je n’ai jamais entendu parler d’un professionnel qui demandait copie des factures, convient M. Auger. Mais la loi est claire. Bon, c’est comme rouler à 110 km/h sur l’autoroute… » « Je n’ai jamais entendu parler d’un parent qui se serait fait prendre », renchérit M. Martineau.

Qu’arrive-t-il si mon enfant ne fait pas d’études postsecondaires ?

D’abord, le REEE a une durée de vie de 35 ans, il n’y a donc pas d’urgence à le fermer. Si le REEE doit être fermé, les subventions gouvernementales doivent être remboursées. Il est toutefois possible dans certaines conditions de changer de bénéficiaire, et les subventions peuvent alors être conservées.

Pour les rendements, on peut demander un « paiement de revenu accumulé » : ceux-ci sont ajoutés au revenu du parent, qui doit en outre payer une retenue d’impôt supplémentaire de 20 %.

Quelle est la meilleure méthode pour « décaisser » un REEE ?

Pour des raisons fiscales évidentes, il vaut mieux décaisser graduellement le PAE, c’est-à-dire transférer peu à peu les fonds vers son compte courant, pour que le bénéficiaire ne paie pas d’impôt. N’oubliez pas également que les sommes dans le REEE continuent de croître à l’abri de l’impôt, même la portion capital.

Chose certaine, « il faut que ce soit le parent qui gère, à moins que l’enfant soit autonome, qu’il ait plus de 25 ans par exemple », estime M. Martineau.

Je déconseille fortement de verser ça d’un coup dans le compte d’un enfant, c’est une très mauvaise idée. Je suis le premier à dire que si j’avais hérité d’une grosse somme à 18 ans, je l’aurais fait disparaître rapidement.

Antoine Auger, planificateur financier chez IG Gestion de patrimoine

Il pourrait être logique de décaisser plus rapidement le PAE si, par exemple, on sait que son enfant n’ira pas à l’université après son cégep. Encore là, on dispose d’un délai de six mois après la fin du programme d’études pour vider ce fonds.

Consultez d’autres conseils sur les REEE dans l’article Les défis du REEE après la rupture

Le REEE en chiffres

59 %

Pourcentage de parents québécois ayant des enfants de 0 à 17 ans recevant la Subvention canadienne pour l’épargne-études (SCEE).

1573 $

Cotisation annuelle moyenne à un REEE au Québec

78 milliards

Total des actifs des REEE au Canada

5,8 milliards

Cotisations versées en un an

481 225

Nombre d’étudiants canadiens qui retirent des REEE

Source : Programme canadien pour l’épargne-études, rapport statistique annuel de 2021