Dans L’argent et le bonheur, notre journaliste Nicolas Bérubé offre chaque dimanche ses réflexions sur l’enrichissement. Ses textes sont envoyés en infolettre le lendemain.

Imaginez que vous êtes un joueur de soccer sur le point d’exécuter un tir de pénalité dans un match crucial.

Devant vous, le gardien de l’équipe adverse sautille sur la ligne des buts et étend les bras pour se faire le plus grand possible.

Où devriez-vous tirer ? À gauche ? À droite ?

Une étude⁠1 qui s’est penchée sur les tirs de pénalité dans des compétitions de soccer de haut niveau a la réponse : vous devriez tirer au centre.

Sur les 286 tirs de pénalité étudiés, le gardien n’était resté au centre que dans 3 % des cas, tandis que les joueurs tiraient à cet endroit dans près de 10 % des occasions. Une étude réalisée au Royaume-Uni a aussi démontré qu’un tireur qui visait tout simplement la tête du gardien marquait dans 97 % des cas, soit la plus haute proportion de toutes les zones de tir.

Pris dans une situation difficile, les gardiens ne veulent pas avoir l’air de sous-estimer l’importance du moment. Ils brûlent de faire quelque chose – n’importe quoi – pour aider leur équipe. Alors ils s’élancent.

C’est un phénomène que les psychologues appellent le « biais d’action ». C’est l’un des biais cognitifs qui affectent le cerveau humain, et, j’ajouterais, l’un des plus coûteux pour les investisseurs.

Pour l’illustrer, revenons à il y a près d’un an, et mettons-nous dans la peau d’un investisseur à l’automne 2022. Je ne sais pas si vous vous en souvenez, mais les marchés financiers de la planète n’allaient pas bien en 2022.

Depuis des mois, notre investisseur voit ses placements perdre de la valeur. Si bien qu’à l’automne 2022, les marchés américains avaient chuté de 24 % depuis le début de l’année. Les placements dans le marché canadien, eux, avaient perdu 14 %, comparativement à une baisse de 20 % pour le marché français.

Stressé, incapable de dormir, notre investisseur va consulter le site de nouvelles économiques Bloomberg en espérant y trouver du réconfort. Grave erreur. L’agence affirme en manchette que, selon son modèle d’analyse, les risques de récession aux États-Unis dans les 12 prochains mois sont de 100 % 2.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE BLOOMBERG

L’agence Bloomberg affirmait en manchette en 2022 que, selon son modèle d’analyse, les risques de récession aux États-Unis dans les 12 mois suivants étaient de 100 %.

Une récession n’est pas seulement probable, dit Bloomberg : elle est assurée de se produire. L’analyse affirme même que cela « plombera les chances de réélection du président Biden » en 2024.

« Wow, ça va mal ! se dit notre investisseur. Je vais vendre mes placements, et retourner dans les marchés lorsque les perspectives seront meilleures et qu’on y verra plus clair. »

Comme le gardien de but devant une situation difficile, notre investisseur passe à l’action.

Près d’un an plus tard, on connaît le verdict.

Les marchés financiers sont en hausse depuis l’automne dernier. Le marché américain a grimpé de 20 %, le marché canadien, de 6 %, et le marché français, de 21 %.

Bloomberg s’est trompé (mais n’attendez pas de mea-culpa, il n’y a pratiquement jamais de mea-culpa en finance). Les États-Unis ne sont pas en récession. Le taux de chômage américain est même à un creux historique.

La bonne réponse pour les investisseurs à l’automne 2022 était de ne rien faire. Mais ne rien faire est souvent l’option la plus difficile quand les marchés nous appauvrissent jour après jour pendant des mois.

Le biais d’action n’est pas une aberration : il a joué un rôle clé dans la survie de l’espèce humaine. Si un serpent nous sautait au visage, nous réagissions. Si une rivière menaçait de déborder de son lit et d’emporter notre village, nous ne restions pas les bras croisés, à regarder l’eau monter.

Dans l’univers de l’investissement, par contre, ce biais cognitif est assuré de nous nuire.

Cet automne aussi, les alarmes de récession se font entendre. Va-t-on finalement en vivre une ? Aucune idée : je laisse à d’autres le soin de faire des prédictions.

Ce qu’on sait, c’est que vendre ses actifs financiers en prévision d’une récession n’a historiquement pas été une bonne idée.

Le S&P 500, l’indice qui représente les 500 plus grandes entreprises américaines, et celui sur lequel nous avons les meilleures données, a connu une croissance moyenne de 3,80 % au cours des 12 dernières récessions aux États-Unis, selon les calculs de l’auteur financier Ben Carlson3.

Donc même si nous avions à l’avance la date du début et la date de fin d’une récession, et que nous pouvions vendre et acheter à ces dates précises, nous nous serions appauvris par rapport à l’investisseur qui aurait tout simplement laissé ses placements en paix.

Notez que cela concerne les investissements dans des fonds indiciels, qui sont extrêmement diversifiés. Bien des fonds communs de placement ou des actions individuelles n’ont historiquement jamais retrouvé leur sommet, et c’est pourquoi ils sont plus risqués qu’un portefeuille indiciel passif qui suit les grands indices, dont le S&P/TSX à Toronto, et le S&P 500 à New York.

Comme l’a déjà dit l’investisseur Peter Lynch : « Beaucoup plus d’argent a été perdu par les investisseurs essayant d’anticiper les corrections boursières que perdu dans les corrections elles-mêmes. »

Et, parlant de correction, si vous achetez régulièrement des actifs financiers diversifiés, vous devriez bondir de joie quand leur valeur diminue. Chaque nouveau dollar peut acheter davantage d’actifs que la veille. Une baisse n’est pas une catastrophe, mais bien un sourire et un clin d’œil lancés par les dieux de l’enrichissement en votre direction.

Dans cette rubrique, je parle souvent de l’importance d’investir à long terme. Mais investir à long terme, c’est comme manger à long terme : ça n’existe pas.

Dans la vraie vie, on ne vit qu’une série de périodes de court terme, l’une à la suite de l’autre.

Et, à court terme, ce n’est pas joli : on vit des crises, des paniques, des craintes, des baisses, des risques de ci et de ça.

C’est notre capacité à nous en détacher qui déterminera nos résultats.

1. Lisez l’étude sur les biais d’action des gardiens de but 2. Consultez l’article de Bloomberg publié en octobre 2022 (en anglais) 3. Lisez le billet « Tout ce que vous devez savoir sur les récessions » de Ben Carlson (en anglais) Écrivez à Nicolas Bérubé