Dans l’infolettre L’argent et le bonheur, envoyée par courriel le mardi, notre journaliste Nicolas Bérubé offre des réflexions sur l’enrichissement, la psychologie des investisseurs, la prise de décisions financières. Ses textes sont repris ici le dimanche.

J’ai remarqué quelque chose au fil du temps : les femmes investissent mieux que les hommes.

Ce n’est pas toujours le cas, bien sûr. Mais c’est généralement vrai.

Par exemple, vous avez été des centaines à m’écrire depuis le lancement de cette infolettre, en septembre dernier. Une tendance se dessine : les femmes écrivent pour poser des questions, les hommes écrivent pour donner des réponses.

Voici un extrait d’un courriel reçu récemment :

« Il est important de tenir compte, selon moi, de ce qui se passe d’un point de vue démographique sur la planète en ce moment et de la “déglobalisation” qui a démarré avec l’arrivée au pouvoir de Trump et que Biden a poussée encore plus loin avec son CHIPS Act et son IRA. De plus, le Brexit a causé et continue d’entraîner un appauvrissement de la Grande-Bretagne qui se cherche toujours. Si vous suivez les nouvelles, vous avez vu hier que les États-Unis ont convaincu les Japonais et les Néerlandais de les suivre en ce qui a trait aux sanctions envers la Chine pour ce qui est des semi-conducteurs. De plus, si vous jetez un coup d’œil à Huawei, cette dernière fut grandement (avec un grand “G”) affectée par les sanctions américaines et celles des pays alliés qui ont suivi. »

Je vous laisse deviner si c’est un homme ou une femme qui écrit...

J’ai répondu à ce lecteur qu’il n’y a rien de mal à s’intéresser aux actualités, mais que ça ne devrait jamais – jamais – influencer nos choix d’investissements. Le rendement des investisseurs qui font des placements en lien avec ce qu’ils ont vu dans les nouvelles la veille est tout simplement atroce.

Selon une étude de 2021 réalisée par la firme américaine Fidelity⁠1 auprès de 5,2 millions de comptes d’investissement, les femmes ont surpassé les hommes de 40 points de base, soit 0,4 % par année, en moyenne, pour ce qui est du rendement de leurs placements sur une période de 10 ans.

Cela peut sembler peu, mais sur plusieurs décennies, une différence de 0,4 % par année peut vouloir dire des dizaines de milliers de dollars, voire plus, en richesse supplémentaire.

Cette surperformance vient du fait que les femmes sont souvent plus disciplinées et moins impulsives avec leurs placements. L’étude note aussi que les femmes sont généralement moins confiantes que les hommes quant à leurs connaissances en matière de placements financiers, et que cela les pousse à faire moins de transactions.

Les hommes, en revanche, semblent souvent obsédés par l’idée de deviner l’avenir. Pour nous, le monde est comme un cube Rubik géant : chaque fibre de notre être est convaincue que des rendements boursiers miraculeux attendent ceux qui le résoudront.

Pourquoi cet attrait est-il si fort ? Un enrichissement rapide est excitant parce qu’il nous éviterait de devoir épargner une partie de notre salaire pendant des années pour améliorer notre situation. Ça réglerait aussi le problème de ceux qui commencent à investir plus tard dans la vie, et qui veulent « rattraper le temps perdu ».

Malheureusement, ce n’est pas comme ça que l’investissement fonctionne. Et même si nous avons raison sur la voie que prendront les choses, nous ne saurons pas comment nos placements y réagiront.

Par exemple, un investisseur qui aurait prédit que Vladimir Poutine lancerait une guerre en Europe en 2022 aurait pu décider de se débarrasser de ses actions européennes et d’acheter des actions américaines avant le début de l’invasion de l’Ukraine. Logique ? Oui. Payant ? Non : les actions européennes ont mieux fait que les actions américaines depuis un an.

Ou bien imaginez qu’un investisseur visionnaire ait acheté des actions de Pfizer à pleines mains au début de la pandémie.

Les actions de Pfizer sont en hausse de 59 % depuis le 20 mars 2020. C’est bien, mais c’est moins que le marché américain dans son ensemble, en hausse de 78 % depuis cette date.

Je pourrais passer des heures à donner des exemples comme ceux-là. Le nombre de fausses pistes en matière de placements financiers est infini. C’est pour cette raison que l’humilité devrait être notre attitude de base lorsqu’on investit de l’argent. Ceux qui ne le savent pas encore risquent de payer cher pour le découvrir.

Dans mon expérience, les hommes ont aussi tendance à imiter ce que font d’autres hommes. Par exemple, les recommandations d’achat et de vente de titres faites par des analystes financiers.

Écrites dans un vocabulaire adroit, accompagnées de graphiques professionnels, ces recommandations semblent solides, cohérentes, pratiquement taillées dans le roc.

Mais une étude américaine réalisée en 2019⁠2 a montré une corrélation négative entre les recommandations d’achat ou de vente des analystes au sujet des grandes entreprises et les rendements des titres en question. En d’autres mots : faire l’inverse de ce que recommandaient les analystes (c’est-à-dire acheter quand ils disaient de vendre) était plus payant que de suivre leurs conseils.

Si vous vous reconnaissez dans tout ça, et que ce que vous lisez ici ne vous convainc pas, j’ai une suggestion : tenez un journal de bord. Vous pourrez y écrire la date, votre choix de placement, la thèse qui soutient ce choix et votre objectif de rendement. Vous pouvez aussi y inclure toutes sortes de prédictions. L’hyperinflation est sur le point de nous frapper ? Un krach sans précédent guette l’économie mondiale ? Écrivez-le.

Ensuite, dans un an ou deux, vous pourrez retourner voir ce que vous avez écrit et évaluer la justesse de vos prédictions.

Les gars : le marché boursier ne s’intéresse pas à nos analyses logiques, sensées, lumineuses. Plus vite on le comprend, plus vite on peut cesser de saboter nos efforts et apprendre à investir comme des femmes.

1. Consultez l’étude de la firme Fidelity 2021 Women and Investing Study (en anglais) 2. Consultez l’étude Sell-Side Research : Do Analyst Recommendations Add Value for Investors ? (en anglais) Recevez en primeur chaque mardi l’infolettre L’argent et le bonheur