Malgré leur popularité à titre d’investissements verts par excellence, les titres des producteurs d’énergies renouvelables ont souffert depuis deux ans. Qu’en sera-t-il cette année ?

Dans le secteur des énergies vertes, le Québec boursier compte sur deux fleurons : Innergex et Boralex. Est-ce qu’il y a de l’argent à faire en achetant ces titres ?

L’indice du S&P Global Clean Energy a livré un rendement total (dividendes compris) de + 2,17 %, en 2022, et de - 30 %, en 2021. Pour ce qui est de nos titres québécois, le résultat est partagé. Le prix de l’action d’Innergex a reculé de 15 % l’an dernier, tandis que l’action de Boralex s’est appréciée de 30 %.

Ni l’un ni l’autre n’est dans les bonnes grâces de l’investisseur autonome Michel Lafontaine. « Boralex a réussi à perdre de l’argent une année sur deux depuis six ans », a écrit à La Presse l’économiste retraité. Le niveau d’endettement l’inquiète dans un contexte de taux d’intérêt haussiers. Il tient le même discours au sujet d’Innergex.

Pourtant, des analystes financiers en font leurs choux gras. « Boralex vise une croissance annuelle moyenne composée de 12 à 14 % de son bénéfice avant intérêt, impôt et amortissement [BAIIA], pour atteindre 790 millions à 850 millions d’ici 2025 », écrit l’analyste financier Brent Stadler, de Valeurs mobilières Desjardins, qui fait de Boralex l’un de ses meilleurs choix en 2023 dans la catégorie des utilités publiques.

Lourd endettement

La Presse a demandé leur avis à trois experts.

Selon deux d’entre eux, la rentabilité de ces sociétés est minimale et le recours à l’endettement fait en sorte qu’elles n’ont pas de marge de manœuvre en cas de coup dur.

Au quatrième trimestre, par exemple, Innergex a dû composer avec la faible hydraulicité de ses installations en Colombie-Britannique. Conséquence : la société a distribué plus de dividendes que de revenu distribuable.

Boralex et Innergex ont adopté le modèle d’affaires usuel des titres de services d’utilité publique comme Hydro One et Fortis, explique Anthony Ménard, vice-président de la gestion de données d’Inovestor. Ce sont des entreprises qui tirent des revenus prévisibles importants de leur exploitation, d’où des BAIIA élevés.

Les utilités publiques sont des entreprises intensives en capital qui ont la caractéristique d’avoir des dépenses élevées en amortissement qui réduisent leur bénéfice net. L’amortissement est une dépense comptable censée refléter la dépréciation d’un actif au fil du temps. Cette dépense n’entraîne toutefois pas de débours pour l’entreprise.

Autrement dit, ce type d’entreprise génère des flux de trésorerie disponibles considérables, ce qui leur permet de financer une lourde dette et de verser de généreux dividendes. Quand vient le temps de faire des dépenses en immobilisations, l’entreprise lève du capital ou s’endette davantage.

Rentabilité minimale

Pour mesurer la rentabilité d’une entreprise, le président de la firme de gestion de portefeuille Medici, Carl Simard, s’intéresse au rendement du capital investi. Ce calcul illustre ce que l’entreprise génère comme rendement avec l’argent que lui confient ses créanciers et actionnaires.

« Ce qui fait bouger l’aiguille du rendement boursier à long terme demeure la croissance du bénéfice par action soutenable en minimisant les risques. Cette croissance dépend de la hauteur du rendement du capital investi, d’une maîtrise de l’endettement, de la présence d’avantages concurrentiels et d’une gouvernance cohérente », écrit Carl Simard dans un échange de courriels.

Le rendement du capital investi mesure si l’entreprise fait de l’argent avec les sommes qui lui sont confiées, que ce soit sous forme de capital-actions ou de dettes.

À ce chapitre, la performance de Boralex reste tiède avec un rendement du capital investi qui se maintient autour de 4,5 % par an depuis 2020. Ce rendement demeure inférieur au coût du capital qui, lui, varie de 6 à 7 % au cours de la même période, selon la firme Inovestor.

Le même constat s’applique pour Innergex. Le rendement annuel moyen du capital investi varie de 2 à 5,4 % par an depuis trois ans, tandis que son coût du capital dépasse les 5,5 %, selon la firme Inovestor.

Il en résulte à terme une destruction de valeur pour les actionnaires de la société, soutient M. Ménard.

Les sociétés interpellées, Boralex et Innergex, ont une tout autre lecture de la situation (voir autre texte). Le professeur de finance de l’Université Laval Jean Bédard diverge d’opinion également.

Selon l’universitaire, ce qui intéresse les actionnaires est le rendement de l’avoir. Il calcule le résultat en divisant les revenus avant intérêts et impôt par l’avoir des actionnaires. À ce chapitre, Boralex enregistre un rendement de l’avoir annuel dans les deux chiffres (BAII/avoir des actionnaires), ce qui excède largement le coût du capital emprunté, autour de 3 %, de souligner M. Bédard.

Pour MM. Simard, Ménard et Lafontaine, une telle approche sous-estime le risque lié aux entreprises fortement endettées, surtout dans un contexte de taux d’intérêt haussiers.

« Boralex et Innergex ont énormément de leviers financiers. Pour Innergex, on parle de dettes qui équivalent à 14 fois le flux des opérations des 12 derniers mois (5,7 milliards de dettes pour 408 millions de flux des opérations) », écrit Anthony Ménard, CFA, chez Inovestor. L’endettement de Boralex correspond à 8,5 fois ses revenus d’exploitation.

Pour M. Simard, le jeu n’en vaut pas la chandelle. « Les sources de risque sont profondes et certaines sont difficiles à évaluer pour des investisseurs externes », dit-il. Il donne en exemple la sensibilité du revenu net à une hausse des taux d’intérêt, la qualité des actifs et leur dégradation dans le temps.

Boralex et Innergex défendent leur modèle d’affaires

La rentabilité est satisfaisante, le taux d’endettement demeure gérable et le dividende est soutenable. C’est en gros la réponse d’Innergex et de Boralex aux interrogations soulevées par nos experts.

« Il faut comparer des pommes avec des pommes », dit Michel Letellier, président et chef de la direction d’Innergex, quand on lui parle de la faible rentabilité de sa société productrice d’énergies renouvelables.

« Pour nous, la rentabilité est plus un aspect de flux de trésorerie qu’un aspect de bénéfice net par action, indique-t-il. On s’approche plus de l’immobilier que des entreprises manufacturières qui ont peu de capital et qui n’ont pas beaucoup d’amortissement. »

« Dans notre industrie en général, poursuit-il, quand on prend une décision d’investissement, c’est sur la base de la valeur actuelle nette des flux monétaires futurs. »

Augmenter le bénéfice net n’est pas prioritaire pour lui.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Michel Letellier, PDG Innergex

J’aimerais faire les profits des pétrolières. Mais ça, c’est une autre histoire. On est dans une dynamique d’investissement responsable. On maintient un juste équilibre entre nos employés, le milieu dans lequel on s’installe, la planète et la prospérité. On fait un rendement correct étant donné le risque couru.

Michel Letellier, président et chef de la direction d’Innergex

Le rendement sur l’avoir varie entre 8 et 12 % selon les projets.

Au sujet de l’endettement d’Innergex, Jean Trudel, chef de la direction financière, souligne que les trois quarts de la dette totale de 6 milliards sont des dettes de projet à long terme et à taux fixe.

« Notre production d’électricité est vendue d’avance à un prix convenu qui est majoré dans le temps, précise M. Trudel. On a amorti l’ensemble de nos dettes de projet sur la même durée de vie que nos contrats d’électricité, soit quatorze ans et demi. »

Les prêteurs s’assurent que le revenu net dégagé par l’actif hypothéqué couvre au minimum 1,3 fois le service de la dette. Bon an, mal an, Innergex rembourse 180 millions en capital sur ses dettes de projet. Sa dette totale est à taux fixe dans une proportion de 90 %.

M. Letellier admet que le ratio de distribution des flux monétaires distribuables, autour de 100 %, est plus élevé que prévu. La société cible une distribution inférieure à 80 %. Elle espère y arriver avec les projets actuellement en construction et par les prochaines acquisitions et non pas par une réduction rapide de l’endettement.

M. Letellier donne en exemple sa dernière acquisition, un portefeuille solaire de 60 MW à Sault-Sainte-Marie, en Ontario, qui livre un rendement sur les flux de trésorerie disponible deux fois plus élevé que le coût d’emprunt. L’acquisition d’une valeur de 220 millions est financée à 100 % par la dette.

M. Letellier ne craint pas pour la pérennité du dividende, bien que ce type de décision relève du conseil d’administration. Cela dit, le patron a espoir que la rentabilité des projets futurs s’améliorera, car il y aura abondance d’appels d’offres et donc moins de producteurs soumissionneront aux mêmes projets par rapport aux années récentes.

Endettement à la baisse chez Boralex

Chez Boralex, le ratio de distribution des flux monétaires distribuables en dividendes versés aux actionnaires est inférieur à 50 % et le taux d’endettement (dettes/actifs) a diminué dans les dernières années, passant de plus de 66 % en septembre 2019 à 50 % trois ans plus tard.

« La société n’a pas de dettes qui arrivent à échéance avant 2028 », précise Bruno Guilmette, premier vice-président et chef de la direction financière de Boralex, dans un échange par visioconférence.

Selon lui, la baisse du ratio d’endettement renforce la capacité de Boralex d’investir à l’avenir. Ce qui tombe bien, car Boralex a d’ambitieux objectifs de croissance.

Par ailleurs, la société de Kingsey Falls a une stratégie de financement qui repose sur l’utilisation de produits dérivés comme des swaps de taux d’intérêt pour fixer le taux d’intérêt sur ses emprunts. « On se retrouve avec un taux net un peu meilleur que celui du prêteur », explique le chef des finances quand on lui demande l’avantage de cette stratégie.

Ni M. Letellier ni M. Guilmette ne remettent en question le calcul du rendement du capital et du coût de capital de nos experts.

Du fait de la stabilité des flux monétaires de leur société, ils préfèrent mettre de l’avant le rendement sur l’avoir. M. Guilmette souligne aussi le taux de rendement interne de 8 à 10 % associé à chacun des projets.

Celui-ci ajoute que le rendement annuel moyen des actionnaires de Boralex (appréciation du titre et rendement sur le dividende) s’élève à 11 %, comparativement à 3,8 % pour l’indice de la Bourse de Toronto (S&P/TSX).