Habituellement confortable et active, la vie familiale des conjoints Sébastien*, 46 ans, Julia*, 47 ans, et de leurs trois enfants de 21, 18 et 15 ans a été fortement bousculée depuis un an par un diagnostic de cancer chez leur aîné.

La situation

« Après une année difficile, notre regard sur le présent et l’avenir est différent. Profiter des bons moments de la vie est devenu primordial pour notre famille, confie Sébastien en entretien avec La Presse.

« Entre autres, ma femme et moi ne voulons plus devoir travailler à temps plein pendant 20 ans d’ici l’âge habituel de la retraite à 65 ans. Nous nous questionnons sur la faisabilité financière d’une semi-retraite dans une dizaine d’années, autour de notre 55e anniversaire, et d’une retraite complète cinq ans plus tard, autour de notre 60e anniversaire, indique Sébastien.

« Pour le moment, je pense que nous sommes en bonne situation budgétaire et financière pour envisager un tel projet. Toutefois, je constate quelques lacunes à corriger dans notre bilan d’actif et de passif, ainsi que dans nos priorités de planification financière. »

Les chiffres

Sébastien*, 46 ans

Revenu d’emploi : 126 000 $
Actif en régime d’épargne-retraite (REER) : 130 000 $
Actif en compte d’épargne libre d’impôt (CELI) : 80 000 $
Actif en compte de retraite immobilisé (CRI) : 54 000 $
Actif en compte non enregistré : environ 15 000 $
Part d’actif dans un régime de retraite d’employeur : environ 250 000 $

Julia*, 47 ans

Revenu d’emploi : 60 000 $
Actif en REER : 20 000 $
Actif en CELI : 2500 $
Aucun régime de retraite

Actifs financiers des enfants :

En CELI (aîné de 21 ans) : 20 000 $
En régime enregistré d’épargne-études (REEE)
 : 21 000 $
En comptes d’épargne courante : 15 000 $

Actifs non financiers des parents/époux :

Résidence principale : environ 400 000 $
Deux véhicules récents : environ 60 000 $

Passif des parents/époux :

En prêt hypothécaire : 9000 $
En marge de crédit hypothécaire : 124 000 $
En prêt auto : 40 000 $
En carte de crédit : 2000 $

Budget familial :

Revenus bruts : 188 000 $/an
(186 000 $ d’emplois et 2000 $ en allocations gouvernementales)

Dépenses estimées : 85 000 $/an

liées à la résidence : 23 000 $
liées au style de vie familial : 62 000 $

Par exemple, grâce à son emploi dans le secteur financier, l’actif personnel de Sébastien est bien garni — à hauteur de 525 000 $ — en régime de retraite lié au travail, en CELI et en REER.

En raison surtout d’un revenu moindre, l’actif financier de Julia en CELI et en REER demeure très dégarni, et sans régime de retraite. La valeur de ses actifs financiers est d’à peine 22 000 $, alors que ses montants de cotisations inutilisées en CELI et en REER totalisent 143 000 $.

Quant au bilan commun de Sébastien et de Julia, il se compose de 460 000 $ en valeur de résidence et de véhicules récents, mais aussi de 175 000 $ de passif de prêt et de marge de crédit hypothécaires, ainsi que d’un prêt auto.

Par ailleurs, les actifs financiers liés aux trois enfants (CELI, épargne-études, épargne courante) totalisent quelque 55 000 $.

Les questions

Dans ce contexte, Sébastien et Julia ont deux préoccupations principales en vue de leur projet de retraite hâtive. En premier lieu, considérant l’évolution prévisible de leur situation financière et budgétaire, Sébastien et Julia peuvent-ils envisager leur projet de semi-retraite du travail (et 50 % de revenus d’emplois) dans une dizaine d’années ? Et la retraite complète cinq ans plus tard ? En second lieu, afin de renflouer les comptes REER et CELI de Julia, serait-il pertinent sur les plans financier et fiscal que Sébastien effectue des cotisations de « rattrapage » dans les comptes d’épargne enregistrés de sa femme ?

La situation et les questions de Sébastien et de Julia ont été soumises pour analyse-conseil à Charles-Antoine Gohier, qui est chef de pratique en planification financière et gestion de patrimoine à la Financière Banque Nationale, à Montréal.

Les conseils

D’emblée, Charles-Antoine Gohier transmet ses vœux de « courage » à la famille de Sébastien, Julia et leurs trois enfants.

PHOTO FOURNIE PAR LA FINANCIÈRE BANQUE NATIONALE

Charles-Antoine Gohier est chef de pratique en planification financière et gestion de patrimoine à la Financière Banque Nationale, à Montréal.

« Lorsqu’un tel évènement survient, il est tout à fait normal de vouloir passer du temps de qualité avec nos proches et de se questionner sur nos projets. »

C’est avec ce sentiment d’aider à la faisabilité financière du projet de retraite progressive de Sébastien et Julia, dans une dizaine d’années, que M. Gohier leur a préparé quelques conseils.

D’abord, il leur recommande de vérifier que leur gestion de budget familial est suffisamment précise et fiable, en partant de leurs revenus nets et disponibles (après impôts et charges sociales, cotisations en épargne enregistrée, débours liés aux dettes) pour en venir à leurs dépenses totales de style de vie familial.

« C’est important d’avoir le portrait le plus complet possible de leur situation budgétaire afin de bien prévoir son évolution d’ici 10 ans, ainsi que la faisabilité financière de leur projet de semi-retraite à 55 ans et d’une retraite complète à 60 ans, note M. Gohier.

« Pour le moment, avec les informations fournies de revenus bruts d’emploi et de dépenses de train de vie familial, je pense qu’il pourrait y avoir une sous-estimation des débours totaux par rapport aux revenus nets de Sébastien et Julia. »

Selon les estimations de M. Gohier, le montant de revenus nets et vraiment disponibles de Sébastien et Julia — aux environs de 85 000 $, après les impôts et charges sociales, les cotisations en épargne enregistrée et les débours liés aux dettes — équivaut au montant de leurs dépenses courantes de train de vie familial.

« Sébastien et Julia semblent avoir peu de marge de manœuvre budgétaire à court terme afin, par exemple, d’envisager des cotisations additionnelles de “rattrapage” dans le REER et le CELI de Julia », indique M. Gohier.

Le resserrement de la gestion budgétaire par Sébastien et Julia est nécessaire afin qu’ils puissent mieux évaluer la faisabilité d’une réduction significative de leurs débours avant le début de leur semi-retraite et la baisse de leurs revenus d’emploi.

En considérant que leur bilan financier continue d’évoluer au rythme actuel (croissance de l’actif en épargne-retraite, réduction du passif de dettes), Charles-Antoine Gohier estime que la semi-retraite à 55 ans serait financièrement envisageable pour Sébastien et Julia, à condition que leur budget de train de vie soit alors réduit à 60 000 $ par année, environ 25 000 $ de moins que son niveau actuel.

Si Sébastien et Julia décidaient d’opter pour la retraite complète à partir de 60 ans, M. Gohier estime aux environs de 70 000 $ le budget de train de vie qui serait alors viable financièrement en fonction des revenus provenant de leur actif en épargne-retraite, ainsi que des rentes du régime de retraite privé de Sébastien et des régimes publics (RRQ provincial, PSV fédérale).

Quant aux cotisations de « rattrapage » envisagées par Sébastien pour les comptes d’épargne enregistrés (REER, CELI) de sa femme Julia, Charles-Antoine Gohier doute fortement de leur pertinence fiscale et financière au cours des prochaines années.

Il suggère plutôt à Sébastien et Julia de donner la priorité à ces prochaines étapes de leur planification financière et fiscale :

  • combler toutes les cotisations encore disponibles dans le régime d’épargne-études (REEE) de leur enfant cadet de 15 ans ;
  • accélérer le remboursement de leurs dettes à coût d’intérêt plus élevé (cartes de crédit, marges de crédit hypothécaires, prêt auto) afin de réduire et d’éliminer plus rapidement ces débours financiers dans l’ensemble de leur budget familial, en avance de leur projet de retraite hâtive ;
  • concernant le souhait de Sébastien de contribuer au renflouement du REER de Julia, tout en évitant des complications fiscales lors du décaissement de retraite, privilégier l’établissement d’un nouveau « REER de conjoint » au nom de Julia et auquel Sébastien pourrait cotiser jusqu’à son propre montant d’allocation annuelle, tout en optimisant son crédit d’impôt grâce à son revenu imposable plus élevé que celui de Julia.

« Selon les règles fiscales concernant le REER, Sébastien ne devrait pas effectuer un simple don annuel à Julia pour qu’elle puisse ensuite contribuer à son propre REER, au risque d’engendrer des pénalités concernant les dons monétaires entre conjoints à des fins de cotisations en REER », rappelle Charles-Antoine Gohier.

« En attendant d’établir un REER de conjoint au nom de Julia, et d’y effectuer directement ses contributions, Sébastien ferait mieux d’augmenter sa part des dépenses familiales afin que Julia ait plus de liquidités pour rehausser ses propres cotisations à son REER personnel. »

* Bien que le cas mis en lumière dans cette rubrique soit réel, les prénoms utilisés sont fictifs.

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