Entre le désir de gâter ses proches, des pulsions dépensières plus ou moins conscientes et un budget sous pression, comment se retrouver autour du sapin l’esprit tranquille ?

Les rabais du Vendredi fou et du Cyberlundi n’ont pas attendu les premières neiges cette année. Sitôt les citrouilles rentrées, les promotions des Fêtes ont déferlé dans nos courriels et se sont immiscées dans nos fils de réseaux sociaux, créant ainsi une immense envie d’acheter alors que les réunions de famille se planifient pour Noël. Plusieurs personnes ont toutefois moins de moyens que par les années passées.

« Nous avons une situation dans laquelle des vents contraires soufflent », précise tout de go Myriam Ertz, professeure au département des sciences économiques et administratives de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC).

« Dans la psychologie des consommateurs, généralement, il y a ce qu’on appelle des rituels de consommation, qui se superposent parfois à des rituels religieux. Comme à Noël ou à Pâques. »

Les rituels de consommation qui coïncident avec des rituels religieux sont particulièrement puissants. Peu importe les obstacles que pourraient rencontrer les consommateurs, ils vont consommer pour célébrer le rituel. Ils vont trouver les moyens.

Myriam Ertz, professeure au département des sciences économiques et administratives de l’UQAC

Cette année, l’inflation va peut-être diriger une partie des gens vers des rabais ou des produits de seconde main, estime la professeure Ertz, mais plusieurs filent toutefois vers une surcharge du crédit pour conserver leur niveau de vie préinflation.

77 % des Québécois pensent dépenser le même total ou plus pour les achats des Fêtes en 2022 par rapport à l’année dernière.

Source : Rapport sur les achats des Fêtes 2022 d’Accenture

Un sondage du Conseil canadien du commerce de détail révèle que les Québécois prévoient dépenser 588 $ cette année, uniquement pour les cadeaux.

Pressions très fortes

Vous l’avez peut-être déjà noté, les réseaux sociaux commencent à nous montrer de superbes images de familles parfaites qui achètent leur sapin ou font des maisons de pain d’épice le dimanche après-midi, au chalet.

« Cet élément vient ajouter à la pression commerciale et financière », dit Myriam Ertz qui prévient que ce genre d’images, qu’elles viennent des pairs ou d’influenceurs, est en fait une habile scénarisation.

Pour ajouter un souffle à cette tempête déjà parfaite, nos habitudes de consommation ont évolué rapidement durant la pandémie. Le travail à la maison a simplifié la vie du commerce en ligne, puisque l’on peut commander et recevoir des biens sur les heures de travail. Les promotions se mêlent aux envois professionnels et deviennent une efficace source de distraction.

« On a rapproché le marché à deux doigts du consommateur », dit Myriam Ertz, qui explique que la distance entre le marchand et le client n’existe plus avec les technologies d’information et de communication. Et que la publicité intégrée rend ces offres dangereusement efficaces.

« Les stratégies commerciales de ciblage sont beaucoup plus performantes, précise-t-elle. Elles sont hautement personnalisées, ce que l’on ne voyait pas dans le passé. »

La société de consommation repose sur deux tréteaux : le premier, c’est la publicité et tout ce qui touche à la promotion, le deuxième, c’est le crédit. Vous enlevez ça, vous n’avez pratiquement plus rien, plus de société de consommation. Car les gens ne sauront pas quoi acheter et ils n’auront pas les moyens pour le faire.

Myriam Ertz

Freud à la rescousse

« Les gens dépensent sur leurs cartes de crédit et repoussent le problème plus loin. Le moment de bonheur qu’ils ont à l’achat devient des paiements sur les intérêts à n’en plus finir », rappelle Éric Mac Nicoll, président de Kaira Technologies, qui offre de l’accompagnement et de l’éducation en finances personnelles.

1257,84 $

C’est la dette moyenne sur la carte de crédit que les Canadiens pensent accumuler d’ici janvier 2023

Source : Hardbacon, sondage sur les achats des Fêtes, 16 novembre 2022

« Une des problématiques est qu’on ne se connaît pas », poursuit Éric Mac Nicoll, qui propose que l’on débute tous par se poser cette question simplissime : « Qu’est-ce que l’argent veut dire pour nous ? »

La réponse est parfois plus complexe qu’il n’y paraît, dit-il, et ramène souvent à notre enfance.

Kaira a bâti une application qui permet de définir nos comportements avec l’argent selon quatre profils. Par exemple, l’hédoniste qui dépense tout ce qu’il gagne pour se faire plaisir.

« Évidemment, on est plus qu’une chose dans la vie, nuance le fondateur de Kaira, mais des situations nous amènent à faire ressortir davantage un de nos profils. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Éric Mac Nicoll, président de Kaira Technologies

Dans une période de consommation comme le Black Friday, c’est ce profil qui va prendre le devant. On va se mettre à consommer ou avoir un comportement qui n’a aucun sens vu de l’extérieur, mais qui, pour nous, est la logique ultime.

Éric Mac Nicoll, président de Kaira Technologies

En plus de certains traits de personnalité et de nos histoires qui favorisent la dépense, il y a une pression du groupe.

Selon Laurence Godin, professeure au département des sciences de la consommation de l’Université Laval, le milieu de vie influence notre comportement avec l’argent.

« Il y a des milieux particuliers, les quartiers où les gens vivent, les milieux socioprofessionnels où la pression est clairement plus forte et où les normes font en sorte que le niveau de consommation est plus élevé, indépendamment du revenu », dit-elle.

Car selon cette sociologue, l’histoire révèle que, à revenu égal, des gens de milieux socioéconomiques différents vont avoir des priorités complètement différentes.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Laurence Godin, professeure au département des sciences de la consommation de l’Université Laval

C’est une question identitaire, une question d’appartenance sociale, de culture. C’est pour ça qu’on peut voir que dans certains milieux, ne pas se donner de cadeau ne posera pas de problème. Alors que dans d’autres, ça serait venir briser un tabou.

Laurence Godin, professeure au département des sciences de la consommation de l’Université Laval

Vers un nouveau Noël

Un changement de comportement, que ça soit en finances personnelles ou au gym, prend des mois, rappelle Éric Mac Nicoll. Entre-temps, la prudence est de mise, particulièrement en cette période d’intenses stimuli.

« La générosité peut aussi nous mettre dans le trouble parce qu’on veut gâter les autres sans se poser la question s’ils en ont besoin ou si on en a les moyens », estime Éric Mac Nicoll, qui suggère d’aborder la question de l’argent en famille avant les Fêtes. « Il faut être honnête avec soi-même et il faut être honnête avec les autres », dit-il.

Selon lui, bien des membres d’une famille risquent d’être soulagés cette année si quelqu’un se décide à revoir la règle de la pluie de cadeaux pour tous. Car, rappelle ce spécialiste des finances personnelles, il ne faut pas présumer que les gens qui gagnent de bons salaires sont exempts de soucis financiers.

Laurence Godin croit aussi que la situation économique devrait libérer la parole. « Les familles peuvent s’entendre entre elles sur ce à quoi elles peuvent s’attendre des Fêtes comme cadeaux et comme forme de reconnaissance, dit-elle. On peut s’imaginer que tout ça peut s’exprimer par le fait de préparer un bon repas ensemble. »

Selon la professeure Myriam Ertz, la proportion de gens qui vont reconsidérer leur Noël et leur consommation est équivalente à la proportion de gens qui ont déjà des comportements d’achats responsables.

« La motivation à la sobriété ou à un Noël moins matérialiste doit être intrinsèque, dit-elle. C’est-à-dire que les gens doivent être vraiment motivés pour ça. Si c’est forcé, s’ils deviennent plus sobres parce qu’ils n’ont pas les moyens d’acheter, c’est une motivation extrinsèque. Ça veut dire qu’à partir du moment où ils auront de nouveau de l’argent, ça va recommencer comme avant.

Comment vous comportez-vous avec votre argent ?

De concert avec Philippe Longpré, directeur du département de psychologie de l’Université de Sherbrooke, Kaira Technologies a défini quatre types de comportements avec l’argent. Selon Éric Mac Nicoll, président fondateur de Kaira, « la prise de conscience est nécessaire dans un changement de comportement, puisqu’il est impossible de changer quelque chose qu’on ne connaît pas, à la base ».

L’autonomie

Avoir une bonne situation financière est important, parce que c’est la clé de la liberté.

La réussite

L’argent est symbole de succès et permet d’afficher son statut social. La personne qui a ce profil va mettre son argent là où les autres vont pouvoir le voir.

La générosité

C’est celui ou celle qui fait passer les autres d’abord et qui va dépenser beaucoup pour assurer le bonheur et le bien-être de ses proches.

Le plaisir

L’argent, c’est fait pour être dépensé. On a une seule vie à vivre, n’est-ce pas ?

Cinq trucs pour arriver à Noël l’esprit tranquille

La blogueuse et consultante en consommation responsable Cindy Trottier offre ses conseils pour des Fêtes moins chères, mais aussi agréables !

Faites une liste

Il ne faut pas voir les soldes du Cyberlundi comme le diable, dit Cindy Trottier, mais bien s’y préparer. Faites une liste et achetez au meilleur prix le modèle que vous avez choisi. Soyez fidèle à votre liste.

Demandez à vos proches ce qu’ils veulent

Ils vous répondent qu’ils n’ont besoin de rien ? C’est probablement vrai. Passez plutôt du temps en famille.

Cuisinez !

On sous-estime la valeur d’un cadeau fait maison et du réconfort que procure une boîte de biscuits qui sent la cannelle et le clou de girofle. Surtout si la personne qui les reçoit sait que vous manquez de temps pour tout et que vous en avez trouvé pour elle.

Offrez une sortie… en février !

On le dit et le redit, il n’y a rien comme les moments passés avec ceux et celles qu’on aime. Une sortie choisie avec soin pour la personne à qui le cadeau est destiné fera mouche. Ça peut être un film au cinéma, popcorn compris, avec une date déterminée qui n’en fera pas une sortie hypothétique. Par contre, on peut la mettre un peu plus tard, ce qui permet d’étaler les dépenses.

Échangez

Plusieurs groupes Facebook d’échanges existent déjà. Cindy Trottier fait partie du groupe Buy Nothing de son quartier. Principe ultrasimple : votre beau-frère veut un four à pain ? Vous demandez aux membres du groupe. Les chances sont assez élevées que le four vous tombe du ciel…