Dans l’infolettre L’argent et le bonheur, envoyée par courriel le mardi, notre journaliste Nicolas Bérubé offre des réflexions sur l’enrichissement, la psychologie des investisseurs, la prise de décisions financières. Ses textes sont repris ici le dimanche.

Je suis allé à La Ronde récemment avec ma famille. Ça faisait plus de 20 ans que je n’y avais pas mis les pieds, et on s’est bien amusés — pratiquement aucune attente pour les manèges, merci l’automne.

Durant l’embarquement pour les manèges les plus imposants, j’ai pu remarquer comment les employés travaillaient pour assurer la sécurité des passagers.

Avant de lancer le manège, la personne derrière les commandes doit voir ses assistants disposés en plusieurs endroits dans la zone de départ lever le poing en l’air. S’il y a quatre assistants, l’opérateur doit compter quatre poings levés. S’il n’en voit pas quatre, il ne déclenche pas le départ.

C’est une façon simple et logique de s’assurer que tout le monde est d’accord : si un employé ne lève pas le poing parce qu’il est occupé à régler un problème, le manège ne peut tout simplement pas bouger.

Je réalise qu’en investissement, de nombreuses personnes fonctionnent de cette façon – peut-être même sans s’en rendre compte.

On attend que tous les indicateurs soient au vert avant d’investir. Si quelque chose cloche — le spectre d’une récession, une correction boursière, une hausse des taux d’intérêt, une inflation élevée —, alors on n’agit pas.

Or, ce qui fonctionne très bien pour les manèges de La Ronde ne fonctionne pas en investissement.

Attendre que les mauvaises nouvelles se dissipent avant d’investir ou, pire, vendre nos placements le temps de « laisser passer la tempête » est une façon très efficace de s’appauvrir.

Récemment, un lecteur qui a une grosse somme à investir me disait avoir envie d’attendre. « J’ai l’impression que tous les experts s’entendent à des degrés divers pour dire que la baisse va se poursuivre encore un certain temps, dit-il. Je me dis : pourquoi ne pas attendre encore un peu afin d’acheter encore plus au rabais ? »

Son réflexe est parfaitement compréhensible, logique et, j’ajouterais, humain. Le hic, c’est que le marché ne s’intéresse pas à ce qui est compréhensible, logique ou humain.

Le hic, c’est que prévoir les baisses du marché ne fonctionne pas.

La quasi-totalité des experts qui s’expriment sur les marchés n’avait pas prévu l’ampleur de la baisse cette année. La quasi-totalité des experts ne croyait pas non plus que la Banque du Canada hausserait son taux directeur six fois jusqu’ici, ni que l’inflation resterait très élevée, ni que les prix de l’immobilier chuteraient.

Mais c’est ce que nous vivons aujourd’hui.

D’ailleurs, l’indice boursier Dow Jones, qui représente 30 grandes sociétés américaines, vient de terminer le mois d’octobre en hausse de 13,96 %, sa meilleure progression mensuelle depuis janvier 1976.

Exactement comme les experts l’avaient prédit, n’est-ce pas ?

C’est très contre-intuitif, j’en conviens, mais en matière d’économie, et surtout de macroéconomie (taux de chômage, inflation, direction des marchés, direction des taux), les prévisions ne nous sont pas d’une grande utilité.

« Presque tous ceux qui s’intéressent à la Bourse veulent que quelqu’un leur dise ce qu’il pense que le marché va faire, a écrit John Bogle, fondateur de la firme de produits financiers Vanguard. La demande étant là, elle doit être comblée. »

Rappelons-nous la situation que nous vivions en mars 2020, au début de la pandémie de COVID-19. La fermeture des frontières. La fermeture des écoles.

Les marchés financiers avaient perdu 30 % de leur valeur en un peu plus d’un mois, du jamais-vu depuis les années 1930.

L’idée la plus répandue était que la crise ne faisait que commencer (c’était vrai) et que le gros des impacts humains et économiques ne s’était pas encore fait sentir (c’était aussi vrai).

Pourtant, les marchés ont connu leur point le plus bas de la crise en… mars 2020, en plein pendant le psychodrame du papier hygiénique.

Un investisseur qui aurait vendu ses actions canadiennes en panique en mars 2020 pour « laisser passer la tempête » aurait raté une hausse de 6 % pour l’année, et une remontée de 64 % du creux de la crise boursière jusqu’à aujourd’hui — même en tenant compte des baisses qu’on vit sur les marchés cette année.

De toute façon, attendre les « rabais » avant d’investir ne donne pas le rendement exceptionnel auquel on pourrait s’attendre.

Dans mon plus récent livre, De zéro à millionnaire, je cite une analyse de l’auteur financier Nick Maggiulli, qui a calculé qu’entre 1970 et 2019, le rendement annuel d’une personne extrêmement chanceuse qui n’aurait investi dans le marché américain que lorsque celui-ci avait atteint son point le plus bas après une chute aurait été supérieur de 0,4 % à celui d’une personne qui n’aurait fait qu’investir de l’argent chaque mois, sans se préoccuper des hausses et des baisses.

La conclusion est claire : la meilleure façon d’investir est de se fermer les yeux, de se boucher les oreilles, de faire ses placements et d’essayer de les oublier.

Comme tout ce qui touche l’investissement, c’est simple, mais ce n’est pas facile.

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