La majorité des Québécois sont maintenant à l’aise de parler d’argent avec leur tendre moitié — sujet tabou depuis toujours dans les couples —, révèle un nouveau sondage CROP réalisé pour la Chambre de la sécurité financière (CSF), mais pas assez pour prévoir un plan financier en cas de séparation.

Discuter d’argent au sein du couple était jusqu’à tout récemment un terrain miné. Les temps changent, comme en témoigne le sondage de la Chambre de la sécurité financière (CSF), notamment depuis que les nouvelles générations se sentent plus libres et décomplexées de parler salaires et placements.

Parmi les répondants au sondage, le score est d’ailleurs très élevé. Pas moins de 90 % des personnes interrogées sentent qu’elles parlent de finances d’égal à égal avec leur conjoint ou leur conjointe. Parler de dettes avec sa tendre moitié n’est pas un enjeu pour 71 % des gens qui se disent à l’aise de le faire, tout comme de discuter d’investissements (70 %).

Un élément demeure cependant difficile à aborder : un plan financier en cas de séparation.

« C’est une bonne nouvelle que les répondants au sondage discutent de finances. Ce qui est étonnant, c’est qu’ils n’ont pas parlé des conséquences d’une séparation sur leurs finances », soutient en entrevue MMarie Elaine Farley, présidente et chef de la direction de la CSF.

L’ouverture à la discussion a donc des limites. Quel couple amoureux a envie de planifier une éventuelle rupture ? Concocter un plan financier en cas de séparation en rebute beaucoup. D’ailleurs, la moitié des Québécois (50 %) n’ont jamais pensé aux conséquences économiques d’une séparation.

« Quand ça va bien, on n’y pense pas, alors que c’est plus facile de parler de ces sujets-là. Quand on sait qu’un couple sur deux risque de subir une séparation, ne pas en parler peut avoir de graves conséquences », avertit MMarie Elaine Farley.

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Me Marie Elaine Farley, PDG de la Chambre de la sécurité financière

« Surtout qu’il y a de fausses croyances au sujet du régime qui s’applique entre les conjoints, remarque-t-elle. Souvent, les gens en union libre vont penser qu’ils ont les mêmes droits que les couples mariés, alors que ce n’est pas le cas. C’est important d’alerter et de sensibiliser les consommateurs pour qu’ils en soient conscients et qu’ils puissent poser les bonnes questions à leur planificateur financier. »

Un mariage dure en moyenne 15 ans, selon les dernières données de Statistique Canada, qui n’a pas d’informations précises sur les séparations de couples en union libre. Avec la hausse des taux d’intérêt et celle de la valeur des maisons, se séparer devient encore plus complexe que par le passé. Bon nombre d’ex-conjoints n’ont plus les moyens de racheter la part de la maison familiale tandis que les logements de cinq pièces et plus sont difficilement accessibles et chers.

Économiser en cachette

Si la culture populaire dépeint souvent des exemples de conjoint qui dépense en cachette, le sondage met de l’avant un fait dont on parle rarement : économiser en cachette. Ainsi, 27 % des répondants avouent épargner à l’insu de leur conjoint ou de leur conjointe. Chez les plus jeunes (18-34 ans), ce chiffre grimpe à 50 % et parmi les plus fortunés, il atteint 56 %. Une personne sur deux (43 %) met de l’argent de côté secrètement lorsque son conjoint gagne juste un peu plus, indique le rapport.

« Nous n’avons pas de données sur les raisons pour lesquelles certaines catégories de gens sont plus portées à mettre de l’argent de côté secrètement et il peut certainement y avoir de bonnes raisons de le faire. Néanmoins, il est clair que certaines personnes tentent ainsi d’anticiper les conséquences économiques d’une éventuelle rupture », explique Hélène Belleau, Ph. D., sociologue et professeure titulaire à l’INRS, qui a participé à l’analyse de ce sondage.

Ce phénomène soulève des questions, car encore en 2022, une majorité de femmes en couple déclarent avoir des revenus moins élevés que leur conjoint de sexe masculin.

Cet écart de salaire peut avoir une incidence quand vient le temps de payer les dépenses de la famille. Les résultats du sondage démontrent que 57 % des couples mettent leurs revenus en commun, et encore plus (70 %) lorsqu’ils gagnent à peu près le même salaire.

Manque d’empathie financière ?

Cependant, le tiers des couples qui habitent ensemble opte pour la répartition des dépenses, soit en payant la moitié en parts égales (47 %), soit en contribuant proportionnellement à ses revenus (46 %). Or cette façon de répartir les dépenses amène la personne qui gagne le moins à dépenser au-dessus de ses moyens, prévient Marie Elaine Farley de la CSF.

« Prenons un couple qui veut aller dans un tout-inclus dans le Sud, où l’un gagne 100 000 $ et l’autre, 200 000 $, illustre la spécialiste. La personne qui gagne le plus gros salaire va choisir un forfait en proportion de ses revenus, à 5000 $, alors que l’autre membre du couple aurait choisi le forfait à 3000 $. Ils vont séparer en proportion de leurs revenus, mais la proportion de ce qui est partagé va augmenter. »

La même question peut se poser lors de sorties au restaurant. Est-ce que le conjoint ou la conjointe au revenu plus élevé manque d’empathie financière, de délicatesse, de civisme ou fait preuve d’égoïsme ? Encore une fois, il y a matière à réflexion.

La Chambre a commandé ce sondage pour comprendre les dynamiques financières actuelles au sein des couples afin que ses 32 000 membres puissent mieux les conseiller.