Faire son premier budget a souvent moins à voir avec les chiffres et plus avec les émotions. C’est une prise (ou une reprise) en main de ses finances. Et de sa vie. Des lecteurs qui n’avaient jamais fait l’exercice ont accepté de se lancer ; nous les accompagnons.

Les finances comme un casse-tête

Marie-Claude était terrorisée à l’idée de faire son premier budget. Cette professionnelle de la santé avait une sérieuse aversion pour les questions financières.

Avait, car les choses changent. Plus vite qu’elle n’aurait pu l’imaginer.

Marie-Claude a eu 50 ans cette année et s’apprête à effectuer un tournant important dans sa vie. Pour une raison qu’elle ne s’explique pas, elle a toujours détesté les questions budgétaires. Ça ne veut pas dire qu’elle n’a pas d’épargne. Sa retraite est, en partie, planifiée. Elle n’estime pas surconsommer, elle n’a pas de dette. Mais lorsqu’il était temps de renouveler l’hypothèque de la maison de la Rive-Sud, elle ne comprenait pas le langage du banquier et n’avait pas du tout envie de l’apprendre. Bien au contraire. Ce qui n’était pas très grave, car son conjoint maîtrisait parfaitement le discours. « Ça me frustrait quand même de ne pas comprendre ce qui se disait devant moi », confie-t-elle toutefois.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Marie-Claude

Voici que le conjoint devient l’ex-conjoint, que Marie-Claude vient de se trouver une nouvelle maison dans laquelle elle vivra à temps partagé avec ses trois grands enfants. Elle veut saisir cette occasion pour faire des choix avisés. Voir où et comment dépenser dans cette nouvelle vie qui comptera inévitablement de nombreux défis, et comment se garder de la place dans son budget pour des projets qui lui tiennent à cœur, dont celui-ci : « J’aimerais voir l’Europe — peut-être avec ma mère et ma sœur. »

La situation

Marie-Claude va devoir faire preuve d’une grande force d’adaptation. Son premier budget sera « ses premiers » budgets, car elle devra revoir ses dépenses avec sa nouvelle réalité qui compte beaucoup d’inconnues. Elle devient propriétaire seule pour la première fois et devra assumer toutes les dépenses liées aux rénovations, en plus des dépenses courantes. Elle doit aussi mieux comprendre ses finances, ce qu’elle a entrepris avec aplomb et une grande détermination.

Que dit Youcef ?

Youcef Ghellache est professeur de finances et il a donné un devoir à Marie-Claude, dès leur première rencontre : réunir toutes les données concernant ses finances.

Pas question de les comprendre à cette étape, juste les réunir.

Ce qu’elle a fait.

Ensuite, Youcef lui a fourni un modèle de budget très simple avec un tableau Excel pour bien comprendre ses revenus et ses dépenses.

« Le conseil que je donne toujours est de séparer les dépenses fixes des dépenses variables », explique-t-il.

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Youcef Ghellache, spécialiste en finances personnelles, professeur au collège Montmorency

Faire l’inventaire de nos dépenses fixes, c’est l’exercice le plus facile. On prend ses relevés et on se pose déjà les premières questions : est-ce que j’ai besoin de ça ? Est-ce que je peux réduire ça ? Est-ce que je peux éliminer ça ?

Youcef Ghellache, spécialiste en finances personnelles, professeur au collège Montmorency

« Pour bien établir ses dépenses, il faut regarder les trois derniers mois. On ne veut pas tomber dans l’extrême et couper du jour au lendemain tous les plaisirs. Ça ne marche pas, ça. Il faut plutôt voir comment réduire certains postes de dépenses variables. Essentiellement, c’est la nourriture, les sorties, le transport, les voyages peut-être, l’électronique. »

Dans le cas de Marie-Claude, Youcef recommande de compartimenter les dépenses et l’épargne, d’y aller avec des tiroirs pour éventuellement avoir un compte d’épargne, un autre pour son projet de voyage, un pour les rénovations et l’entretien de la maison afin de ne pas être démunie si le toit fuit le printemps venu. Même principe pour le fonds d’urgence (qui équivaut à trois mois de dépenses), les REER, les placements à venir, etc.

C’est aussi un bon moment pour faire le point sur son testament et ses assurances vie et invalidité.

Mais pas tout en même temps...

Youcef lui conseille de voir son budget en évolution. Il lui recommande également de s’intéresser au mode de vie minimaliste où la frugalité est valorisée et les choix écologiques deviennent des options très économiques. Par exemple, par l’entremise d’un blogue comme Vivre avec moins. « Ça nous montre qu’on peut faire des choix intelligents en ayant moins d’objets, en réduisant les dépenses variables. »

Les pôles de dépenses de Marie-Claude vont beaucoup bouger. Elle devra s’adapter. Elle le sait. Elle est prête.

Recommandation lecture de notre professeur de finances : La retraite à 40 ans, de Jean-Sébastien Pilote. L’idée est simplement de se familiariser avec certains concepts, dans un cadre qui n’est pas aride.

Elle pourra pousser plus loin si elle le souhaite. Ce qui ne serait plus surprenant, car après seulement quelques semaines à prendre ses finances en main, Marie-Claude a gagné une assurance époustouflante. Elle commence à mieux maîtriser le langage du banquier. Déjà, son attitude a complètement changé.

Comment cela est-il possible ?

« Je vais vous donner une image, dit-elle. Avant, j’avais deux-trois casse-têtes de mille morceaux tout mélangés et je n’avais pas les modèles. Je ne savais pas ce que je devais faire. C’est comme ça que je me sentais chaque fois que je devais m’asseoir pour parler d’argent. Ça m’angoissait. Maintenant, j’ai les boîtes et je commence à démêler les casse-têtes. Ils ne sont pas faits, mais je sens que je peux avancer. »

L’urgence du calme

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Vincent et Mélanie

Mélanie et Vincent vivent dans une belle maison qu’ils ont construite sur une terre familiale, en Montérégie. Le couple, mi-quarantaine, a trois adolescents qui sont davantage autonomes. Les parents sont prêts à passer à autre chose. Ils ne manquent ni de moyens ni de rêves. Mais par où commencer ?

Vincent est entrepreneur et adore son métier qu’il veut poursuivre.

Mélanie travaille dans le commerce familial, tout près de la maison. Elle aspire à une vie plus verte et plus lente. Des sentiers en nature pour aller se promener avec son Chef, le jeune golden retriever qui fait maintenant partie de la famille. Elle a ce qu’elle définit comme étant « l’urgence du calme ». Les mots, dits tout doucement, sont bien choisis. Assumés.

C’est Vincent qui nous a contactés pour participer au projet Premier budget et on pourrait s’étonner que ce couple n’ait jamais fait de budget. « On n’a jamais eu besoin d’en faire », dit-il. Lorsque chacun veut quelque chose, il se le procure. Neuf ou usagé, selon ce qui est l’achat le plus intelligent. Mais cette fois, le questionnement dépasse toutes les choses matérielles puisque c’est du restant de la vie de Vincent et de Mélanie qu’il est question. Ils sont très conscients, l’un et l’autre, de l’importance de faire les bons choix. Leur démarche est commune, mais différente dans la façon de l’aborder.

Ils viennent d’acheter un terrain dans les Cantons-de-l’Est pour s’y établir éventuellement. Ils pensent à la retraite, qu’ils souhaitent plus tôt que tard. « Mais tu ne peux pas bien planifier ta retraite si tu ne sais pas de combien tu auras besoin », dit Vincent.

« On a la possibilité de faire ce qu’on veut aujourd’hui, affirme-t-il. Mais c’est quoi, ce qu’on veut ? »

Les deux parents ont quelques plans B, mais sont toujours à la recherche de leur plan A.

La situation

Mélanie et Vincent doivent d’abord définir leurs objectifs avant de faire une planification financière qui serait, sinon, imprécise. Ils doivent aussi rapatrier toutes leurs informations afin d’avoir un portrait plus clair de leur situation économique dont les détails leur échappent actuellement.

Que dit Youcef ?

« Avez-vous déjà fait un vision board ? », demande Youcef Ghellache, devant le regard interloqué de Vincent.

C’est certain que l’on ne s’attend pas d’un professeur de finances qu’il donne comme premier devoir un exercice d’arts plastiques.

En créant un tableau des visions commun où chacun pourrait mettre en évidence ses rêves, ses projets, mais avec des images plus précises, cela va provoquer de saines discussions au sein du couple.

« C’est un outil qui va vous permettre de vous poser de bonnes questions et d’imaginer votre vie de rêve. »

« Ça va permettre de visualiser ce qui est important pour vous et de mettre de côté ce qui ne correspond plus à vos valeurs actuelles », dit Youcef.

Ça peut être fait en texte ou en images.

Vincent et Mélanie ont un appel fort de la nature. Mais comment cela se manifeste-t-il pour chacun d’entre eux ? Ils sont parents de trois enfants de 12, 15 et 18 ans. Veulent-ils bâtir une grande maison de campagne où les petits-enfants joueront un jour et où tout le monde aura sa place ?

Pour l’instant, Mélanie rêve d’une chaumière dans le bois où elle pourrait passer du temps plus paisible en reconnexion avec la nature. Peut-être même d’une fermette, avec des animaux.

Une fois son plan A mieux défini, le couple va assurément devoir se faire un plan d’action qui commence par son premier budget et un bilan financier.

Le budget, dans votre cas, ce n’est pas pour économiser ou essayer forcément de réduire certaines dépenses, c’est pour avoir un meilleur portrait de votre situation actuelle.

Youcef Ghellache, spécialiste en finances personnelles, professeur au collège Montmorency

On voit que Vincent trépigne à l’idée de récupérer toutes leurs données financières qui sont éparpillées entre les mains de différents professionnels.

« On perd beaucoup d’argent à ne pas gérer adéquatement nos finances », dit-il.

Il lui faut une planification plus centralisée et qu’il comprendra mieux.

Leur devoir : faire cet exercice à deux, afin qu’il n’y ait pas une grande dissension de la littératie financière dans leur couple, ce qui n’est jamais souhaitable — bien au contraire.

Pour leur planification de retraite, il faudra un plan chiffré fait en collaboration avec un professionnel.

« Il va peut-être falloir faire plus d’investissement si vous voulez plus de liberté et de temps, dit Youcef Ghellache. Forcément, ça va vous prendre des placements qui génèrent des revenus qui vont remplacer vos revenus de travail. »

Notre prévision : Mélanie et Vincent vont y prendre goût.

Mieux comprendre leur valeur nette est extrêmement apaisant, ce dont ils ont besoin à cette étape de leur vie — personnelle et financière.

Cela va leur permettre de consacrer argent et énergies à des projets qui ont plus de sens pour eux.

Le rêve d’un tout petit chez-soi

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Guillaume

Guillaume, 40 ans, vit et travaille à Montréal. Il a un bon emploi, aucune dette et met de l’argent de côté parce que depuis un bon bout de temps déjà, il rêve de s’acheter un condo.

« Je ne veux pas une grosse maison, juste un petit trois et demie. Ça devrait être possible ? », lance-t-il, presque comme un cri du cœur.

Parce que plus le temps avance et moins la possibilité de devenir propriétaire lui semble réelle. Il y a eu la flambée des prix de l’immobilier des dernières années qui a rendu les mises de fonds plus importantes, même pour les trois et demie...

« J’ai un petit pactole que j’ai pu mettre de côté de peine et de misère et je ne sais pas comment l’investir pour éventuellement acheter un condo qui serait tout à moi et qui me sécuriserait », dit-il.

Malgré le rééquilibrage du marché observé dans l’immobilier ces derniers mois, le prix des propriétés dans l’île de Montréal reste élevé. En septembre, la copropriété y a affiché un prix médian de 380 000 $.

Résultat : les jeunes sont découragés et l’accès à la propriété recule.

Guillaume, lui, reste optimiste. Mais il veut connaître ses options.

Il a un mode de vie frugal : pas de toast à l’avocat, donne-t-il en exemple, sourire en coin, alors que nous nous trouvons sur la terrasse d’un café où il y en a probablement sur le menu...

Pour se gâter, ce geek autoproclamé va acheter un jeu vidéo, peut-être des Lego, lorsqu’ils sont en solde.

Par contre, il s’est permis de changer d’appartement il y a deux mois. Son ancien logement était économique, mais « presque insalubre ». Résultat : son loyer vient de doubler, réduisant à pratiquement rien sa capacité d’épargne. D’où l’importance de faire un budget.

Il veut aussi se renseigner sur les aides pour l’accès à la propriété pour les personnes handicapées, lui qui est sourd de naissance. Là encore, la recherche d’information n’est pas simple.

La situation

Guillaume a un régime de retraite de son employeur et un régime enregistré d’épargne invalidité (REEI). Il gagne un bon salaire et connaît assez bien ses dépenses. Par contre, il doit absolument évaluer sa capacité d’épargne avec son nouveau loyer et ce qui lui en coûterait en charges mensuelles s’il veut devenir propriétaire.

Que dit Youcef ?

« Pourquoi veux-tu être absolument propriétaire ? », a demandé dès le début de la conversation Youcef Ghellache.

La réponse de Guillaume est tout aussi directe : « [Ça serait] le but ultime de mon indépendance et mon autonomie. » Être propriétaire fait partie de son cheminement. Toutefois, Guillaume admet que ça n’est pas un but à atteindre à tout prix et c’est pour cela qu’il veut y voir plus clair dans ses finances.

Premier exercice : trouver un condo qui correspond à ce que Guillaume cherche et regarder les dépenses que cela engendrerait.

Youcef prédit que, en étant propriétaire, le logement lui coûterait beaucoup plus cher que ce qu’il paie actuellement.

« Surtout avec les taux d’intérêt qui augmentent. Nous ne sommes plus dans des hypothèques avec des taux d’intérêt de 1,5 %. On ne reverra pas ça avant un petit bout, dit Youcef. Le coût de devenir propriétaire est forcément beaucoup plus élevé. Surtout sans revenus de location pour venir l’atténuer. »

« Il faut voir si tu es capable d’épargner maintenant cette différence de dépense », dit-il.

Et voir quel impact ça aurait sur sa qualité de vie.

Pour beaucoup de gens, la propriété peut devenir un piège si, au bout du compte, toutes les économies vont dans la maison et qu’ils ne peuvent plus faire aucune activité. À ce moment-là, ils ne se sentent ni plus heureux ni plus libres.

Youcef Ghellache, spécialiste en finances personnelles, professeur au collège Montmorency

On ne doit pas se lever le matin pour aller travailler et payer uniquement la maison dans laquelle on habite, dit Youcef.

Afin de bien analyser... le budget est inévitable !

Guillaume doit connaître précisément sa capacité d’épargne (avec ce nouveau loyer) et voir ce que ça représente avec la mise de fonds qu’il a actuellement.

La recette de l’économie dans son cas reste relativement simple : ou on augmente les revenus, ou on diminue les dépenses. Et c’est deux fois plus payant de réduire une dépense que d’augmenter les revenus, explique le professeur Ghellache, qui conseille de bien regarder le détail de ses dépenses. Certains outils, parfois ceux des émetteurs de cartes de crédit, proposent des graphiques en pointes de tarte qui nous montrent les dépenses en catégories. C’est trop imprécis pour faire une bonne analyse, selon Youcef.

Dans le cas de Guillaume, le diable risque d’être dans les détails. Il ne surconsomme pas. « J’ai horreur des dettes, donc je remets en question chaque dépense et je paie mes factures en entier chaque mois. »

Youcef a donné quelques semaines à Guillaume pour qu’il fasse son premier budget. Il y a de bonnes chances qu’être locataire soit plus économique pour toi, lui a-t-il dit.

Guillaume pourrait prendre la différence entre son loyer actuel et le total qu’il paierait en étant propriétaire et investir cet argent qui le mènerait, par un autre chemin que la propriété, vers l’indépendance financière. Le choix lui reviendra.