Lorsque la pandémie a frappé, de nombreux citadins ont voulu fuir la ville. Ils se sont vus sur le bord d’un lac ou au creux des montagnes. Si les chalets se sont envolés, bien des gens ont plutôt acheté un terrain en vue de construire la propriété de leurs rêves. Mais avec les coûts des matériaux qui ont grandement augmenté et la main-d’œuvre qui se fait rare, certains ont repoussé le projet et se demandent maintenant comment ils vont y arriver.

France Gagnon aimait partir à pied pour prendre un verre sur une terrasse, souper dans un restaurant ou aller voir un spectacle dans un festival. « Mais, avec la pandémie, on ne pouvait plus faire ça, et il ne restait que les inconvénients de vivre en ville, comme être pris dans la congestion routière pour faire une promenade à moto, ou aller skier », raconte-t-elle dans son condo de Montréal.

Son conjoint et elle ont donc acheté un terrain dans la campagne estrienne afin de se construire une maison pour y passer leur retraite qui approche.

« Nous avons prévu un certain budget, puis, lorsqu’on a fait les plans, on s’est rendu compte qu’on voulait quelque chose d’assez gros pour être capables de garder nos enfants à dormir lorsqu’ils viendraient nous visiter », explique-t-elle.

Ils prévoyaient commencer par construire seulement un garage avec un loft au-dessus, pour ensuite y ajouter les autres parties de la maison tranquillement par eux-mêmes. « Mais la Ville ne le permet pas, alors tout faire construire d’un coup coûtera plus cher », indique France.

Ils opteront pour une coquille de maison préusinée et s’occuperont ensuite de faire l’intérieur eux-mêmes et en embauchant des professionnels, notamment pour la plomberie et l’électricité.

Nous évaluons que le projet total nous coûtera tout de même presque 250 000 $ de plus que ce qu’on voulait au début.

France Gagnon

« Mais au moins, l’entrepreneur que nous avons choisi pour la coquille nous a été chaudement recommandé, alors cela nous rassure », précise France.

France envisage aussi de retarder légèrement son départ à la retraite, son employeur lui ayant fait une offre intéressante de travail à temps partiel jusqu’en 2025.

Alors que le terrain n’est pas encore défriché et qu’il n’a pas les infrastructures de service, les membres du couple sont toutefois bien conscients qu’il y a beaucoup d’étapes à traverser et beaucoup d’imprévus possibles avant qu’ils puissent se détendre au bord du foyer. Ils regardent donc aussi les maisons de campagne en vente dans le secteur et s’ils en trouvent une, ils revendront leur terrain.

Des éléments complexifient le financement du projet

France et son conjoint ne sont pas les seuls dans cette situation. « Il y a vraiment eu pendant la pandémie un sentiment d’urgence de partir de la ville qui est moins là maintenant, le marché s’est légèrement rétracté, alors on n’est plus dans la même folie de la surenchère et des offres multiples », constate Marie-Piers Barsalou, courtière immobilière agréée chez Sotheby’s International Realty Québec, dans les Cantons-de-l’Est.

Elle précise toutefois que les prix ont augmenté de 35 % dans la région pendant la pandémie. Elle s’attend maintenant à ce que des personnes qui ont fait une acquisition rapidement avant de réaliser une bonne évaluation des coûts de construction remettent leur terrain en vente.

Hadi Ajab, planificateur financier indépendant et représentant en épargne collective rattaché aux Services en placements PEAK, voit déjà des personnes dans sa clientèle réévaluer leur projet de construction. « Leurs raisons dépendent de la façon dont ils devront financer leur projet », précise-t-il.

Il indique que ceux qui le financent avec leurs économies ont généralement vu la valeur de leurs placements baisser. Et ceux qui veulent obtenir un prêt hypothécaire ont vu les taux d’intérêt monter. Enfin, ceux qui veulent vendre leur propriété actuelle pour construire la nouvelle doivent aussi vivre avec les prix qui commencent à baisser sur le marché.

« Tout cela alors que le prix des projets de construction a augmenté ces dernières années, précise Hadi Ajab. Quel que soit le mode de financement, il faut réaliser un plan financier pour s’assurer que c’est encore réalisable et souhaitable. »

L’évaluation la plus juste possible des coûts

Même s’il y aura toujours une part d’imprévu, il est essentiel de réaliser une évaluation détaillée des coûts, d’après Hadi Ajab. Il précise qu’il y a de grandes étapes à considérer dans la construction. D’abord, celle des plans, des devis, des permis, du déboisement, de l’excavation et des fondations. « Pour avoir des murs de fondation et un plancher de béton, c’est grosso modo 30 % des coûts totaux du projet », indique-t-il.

Puis il précise que la portion plomberie, électricité, murs, plafonds, fenêtres, toiture et finition extérieure représente environ 40 % des coûts. Et il y a encore 30 % pour les escaliers extérieurs, les équipements sanitaires, les comptoirs, les armoires, etc.

« Il faut prévoir le coût de chaque élément et sous-élément le plus minutieusement possible en considérant les matériaux et la main-d’œuvre, il faut obtenir deux ou trois soumissions fermes qui incluent les dates de livraison, les modalités de paiement, et il faut avoir des contrats écrits qui laissent le moins de place à l’interprétation. »

Il conseille aussi de faire une petite recherche afin de s’assurer que les entrepreneurs choisis sont bien enregistrés et ont les permis nécessaires afin d’avoir des recours en cas de problème.

Enfin, il insiste sur le fait qu’il faut respecter son budget. « Si on a prévu 400 000 $ et que, finalement, on se dirige vers un projet qui coûtera 500 000 $, il faut revenir à la table à dessin et réévaluer certains choix, affirme-t-il. L’argent ne pousse pas dans les arbres. Il ne faut pas que la construction de sa maison de campagne devienne un cauchemar. Cela doit être un rêve qui se réalise. »

Évolution des prix des matériaux

Contrairement à ce que bien des gens peuvent penser, les prix de nombreux matériaux dans les grandes enseignes ont baissé dernièrement, constate Richard Darveau, président de l’Association québécoise de la quincaillerie et des matériaux de construction (AQMAT). « Et ce, alors que l’indice des prix à la consommation [IPC], donc l’inflation, a grandement augmenté », précise-t-il.

Il donne l’exemple du 2 x 4. « À un certain moment pendant la pandémie, il a atteint 12 ou 13 $, indique-t-il. À la fin juillet, il était à 5 $. Les prix ont beaucoup baissé, mais je ne pense pas qu’on reviendra à des prix comme ce qu’on avait avant la pandémie, autour de 2 ou 3 $. »

INFOGRAPHIE LA PRESSE

Quatre éléments financiers à considérer

Au-delà des coûts de la construction d’un chalet, il y a plusieurs éléments à considérer pour réaliser son projet.

Respectez-vous les ratios pour être admissible à un prêt ?

Les institutions financières tiennent compte de deux formules pour évaluer combien le ménage peut emprunter. D’abord, il y a le ratio de l’amortissement brut de la dette. « Il est fortement recommandé de s’en tenir à un maximum de 32 % de son revenu brut consacré aux frais liés à l’achat immobilier, donc les versements hypothécaires, les taxes municipales et scolaires, le chauffage et l’électricité, pour être capable de payer ses autres dépenses », affirme Hadi Ajab, planificateur financier indépendant et représentant en épargne collective rattaché aux Services en placements PEAK. Puis, il y a le ratio de l’amortissement total de la dette qui ajoute les autres dettes, comme le prêt auto, le solde sur les cartes de crédit, etc. « Il est fortement recommandé de s’en tenir à un maximum de 40 %, même si des institutions peuvent aller au-delà », précise-t-il.

Voyez le calculateur de l’amortissement de la dette

Connaissez-vous le fonctionnement d’un financement pour une autoconstruction ?

« C’est loin d’être la même chose qu’un prêt hypothécaire traditionnel qui a la propriété comme garantie », précise le planificateur financier. Comme la propriété n’existe pas encore, l’institution financière ne donne pas tout l’argent d’un coup. « Elle ira par étapes, en demandant des détails sur les travaux réalisés, en envoyant des inspecteurs et en faisant notarier chaque déboursé », ajoute-t-il, en précisant que ce ne sont pas toutes les institutions financières qui accordent ce genre de prêt.

Avez-vous accumulé 10 % de plus ?

« Il faut toujours avoir en liquidités au moins 10 % de plus que le coût du projet, y compris le prix du terrain, en plus de la mise de fonds, affirme Hadi Ajab. Cela servira à acheter les matériaux au départ, à payer des dépôts, etc. La majorité des institutions financières l’exigent et la vraie vie l’exige aussi. »

Avez-vous évalué ce que ce projet vous enlèvera ?

Se construire une maison à la campagne est un grand projet de vie. Et il est onéreux. « Choisir de sortir ses économies pour réaliser ce projet est une grande décision, affirme Hadi Ajab. Il faut regarder ce que ce choix vous obligera à laisser de côté. Pourrez-vous continuer à voyager, à vous payer de bons restaurants ? Il faut être certain que c’est vraiment ce que vous voulez. Parce que nécessairement, ce choix signifie que vous renoncerez à certaines choses. »