Dans quelles régions du Québec une mère en union libre court-elle les plus grands risques financiers en cas de séparation ? C’est ce que montre la carte réalisée par une équipe de l’INRS, dont nous proposons ici une adaptation.

Les mères désavantagées

Pour chaque région, la chercheuse Hélène Belleau et son étudiante à la maitrise Prisca Benoit présentent la proportion des unions libres chez les couples avec enfants (sur la carte), ainsi que l’écart de salaire entre les femmes et les hommes qui vivent en couple avec enfants (tableau ci-dessous). À l’inverse de la manière traditionnelle, elle illustre cet écart du point de vue des femmes, en indiquant dans quelle proportion le revenu des hommes est supérieur au leur. Or, plus cet écart est grand, plus une mère en union libre court le risque d’être financièrement désavantagée en cas de séparation.

Renverser le problème

C’est en Abitibi-Témiscamingue et sur la Côte-Nord que les mères en union libre courent les plus grands risques financiers si elles se séparent.

Plus de 60 % des couples avec enfants y vivent en union libre, mais surtout, ce sont les régions qui montrent le plus grand écart de revenus entre les femmes et les hommes qui vivent en couple avec au moins un enfant mineur.

La carte qui en fait foi est le fruit de la compilation effectuée par Hélène Belleau, professeure titulaire à l’INRS et spécialiste des questions de famille, de couple et d’argent.

« Dans le but explicite de prendre le point de vue des femmes… et de susciter la discussion », dit-elle, la chercheuse a renversé la façon traditionnelle de présenter les écarts salariaux entre hommes et femmes.

Plutôt que de comparer le salaire des femmes à celui des hommes, la carte indique dans quelle proportion le revenu des hommes est supérieur à celui des femmes. En d’autres mots, dans ce rapport ou ce ratio, c’est le revenu des femmes plutôt que celui des hommes qui sert de dénominateur.

Ce qui permet en même temps d’asséner des pourcentages plus incisifs, quoique tout aussi exacts.

Voici un exemple à l’échelle québécoise.

Salaire médian des hommes et des femmes en couple avec enfants

PHOTO PHIL BEENARD, FOURNIE PAR L’INRS

Hélène Belleau est professeure titulaire à l’INRS, directrice du Centre Urbanisation Culture Société et spécialiste des questions de famille, couple et argent.

Quand une femme compare son revenu avec celui de son conjoint, dire que son conjoint gagne une fois et demie son salaire, c’est différent de dire qu’elle gagne le tiers de moins que son conjoint. C’est une question de pouvoir d’achat de l’un par rapport à l’autre.

Hélène Belleau, professeure titulaire à l’INRS et spécialiste des questions de famille, de couple et d’argent

Pour chaque région, la chercheuse et son équipe ont établi la proportion des salaires hommes/femmes chez les couples avec enfants.

En Abitibi-Témiscamingue, ces femmes gagnent en moyenne la moitié du salaire des hommes (49 % du salaire médian masculin). Inversons : les hommes gagnent deux fois plus que les femmes : 99 % de plus. Sur la Côte-Nord : 93 % de plus.

Que se passe-t-il dans ces régions ?

« L’explication est assez simple, indique Hélène Belleau. Dans ces régions, il y a beaucoup d’exploitation des ressources naturelles, des minières, des grandes forestières. »

Les emplois typiquement masculins sont beaucoup mieux payés que les emplois féminins, qui se retrouvent davantage dans les services. Il faut également penser que les hommes travaillent souvent loin de chez eux et partent probablement plusieurs jours, ce qui fait en sorte que les femmes ont davantage la charge des enfants.

Hélène Belleau

Moins de possibilités d’étirer ou de multiplier les heures de travail, donc.

À l’autre extrémité du spectre, c’est dans la région Gaspésie–Îles-de-la-Madeleine (+ 33 %) et en Outaouais (+ 34 %) que l’écart des hommes sur les femmes est le moins grand.

Un autre facteur porte sur la proportion des unions libres chez les couples avec enfants. Ici encore, l’Abitibi-Témiscamingue et la Côte-Nord font partie du peloton de tête, celui des régions où la proportion est supérieure à 60 %. À l’autre extrémité du spectre, Montréal affiche une proportion de 23 %.

Croisez ces données et vous obtenez une carte des risques courus par les mères en union libre en cas de séparation.

« Mariez-vous avant d’avoir des bébés »

Hélène Belleau ne conseillera pas aux couples en union libre de fuir l’Abitibi-Témiscamingue ou la Côte-Nord. Ce n’est pas la leçon à tirer de cette carte. « Mais je dirais aux gens : mariez-vous avant d’avoir des bébés », avise la chercheuse. « C’est pas mal plus simple. »

Car c’est là que se trouve le message sous-jacent.

Les couples mariés religieusement ou civilement sont soumis par le Code civil au partage du patrimoine familial. Les couples en union libre en sont libérés, justement. La mère en union libre n’a aucune garantie que la maison familiale du couple ou les épargnes et régimes de retraite engrangés durant l’union seront partagés équitablement lors d’une séparation, alors qu’elle a souvent sacrifié des années de travail ou a refusé de l’avancement pour prendre soin des enfants.

Qui garde la maison ?

« En union libre, au moment d’une séparation, les deux conjoints sont considérés pratiquement comme des étrangers, relève Hélène Belleau. Il n’y a pas de protection de la maison familiale, il n’y a pas de pension alimentaire pour le conjoint. »

Le destin de la maison familiale dépend dès lors de la bonne volonté et des moyens respectifs des ex-conjoints.

« On s’est aperçu que lorsque survient une séparation dans un couple marié, il y a autant d’hommes que de femmes qui gardent la maison après la séparation. Mais chez les couples en union libre, il y a deux fois plus d’hommes que de femmes qui la conservent. »

Le plus souvent, les conjoints, qu’ils soient mariés ou non, achètent pourtant leur maison en commun. « Est-ce que c’est parce que les femmes en union libre n’ont pas les moyens de racheter leur part ? Ça se peut. Mais on ne sait pas pourquoi. Ce sera l’objet de ma prochaine enquête ! », lance-t-elle.

L’épargne à long terme

Autre couche de difficulté : les épargnes de retraite.

« On s’est aperçu que chez les couples mariés, 48 % des gens vont épargner ensemble à plus long terme, alors que chez les couples en union libre, c’est 26 %. Ça veut dire que même quand ils disent qu’ils gèrent ensemble au quotidien, dans les faits, à plus long terme, ils gèrent chacun pour soi. Quand arrive une séparation, quand il y a eu des enfants et que la conjointe a réduit son temps de travail, ça lui coûte très cher parce que pendant toutes les années qu’elle a passées à s’occuper des enfants, elle n’a pas pu épargner. »

Ce qui explique en bonne partie pourquoi le revenu de retraite des femmes est moins élevé que celui des hommes.

Un contrat de vie commune ?

Un contrat de vie commune pourrait corriger les inégalités. Le risque ici réside dans l’inconstance des intentions. « Il y en a beaucoup qui en ont le projet, mais il y en a très peu qui le font », souligne Hélène Belleau.

Les planificateurs financiers, les conseillers, les avocats, les notaires conseillent beaucoup aux gens de faire des contrats de vie commune. Malheureusement, au Québec, c’est moins de 5 % [des couples en union libre] qui le font. Alors qu’on est les leaders mondiaux en union libre. Il y a quelque chose qui ne marche pas.

Hélène Belleau, professeure titulaire à l’INRS et spécialiste des questions de famille, de couple et d’argent

Par ailleurs, le contrat de vie commune peut être contesté.

« Si c’est la conjointe qui n’a pas d’argent qui doit faire la démonstration qu’elle a perdu au change dans la vie familiale, en a-t-elle les moyens ? Pour la plupart des gens, les coûts de ce genre de poursuite sont tellement énormes qu’on ne le fait pas. »

Certaines mères ne voudront pas entreprendre une contestation de crainte de s’antagoniser l’ex-conjoint et de nuire indirectement au bien-être des enfants.

Malgré tout, mieux vaut un contrat de vie commune que rien du tout.

Un choix libre et éclairé ?

« Les juristes ont longtemps dit qu’il faut laisser aux gens le choix de se marier ou non, constate Hélène Belleau. C’est tout à fait sensé, mais est-ce que c’est un choix libre et éclairé ? »

Faisons d’abord la lumière sur le point de l’éclairement.

« Ce qui ressort de nos recherches, dit-elle, c’est que ce choix n’est pas éclairé. La moitié des couples en union libre croient dur comme fer que c’est pareil d’être marié ou en union libre. »

Chez les couples en union libre

45 % croient avoir le même statut légal que les gens mariés

49 % croient qu’au moment d’une rupture, le partage des biens se fait à parts égales

40 % croient que le conjoint le plus pauvre a le droit de demander une pension alimentaire

Source : Belleau, Lavallée et Seery, 2017

Ils ont tort.

« La raison de cette méconnaissance est liée au rapport d’impôts et aux lois sociales, je crois », avance la chercheuse.

Les couples en union libre qui vivent ensemble depuis un an seront traités par le fisc comme s’ils étaient mariés. Si une personne en union libre demande des prêts et bourses ou de l’aide sociale, les instances gouvernementales s’enquerront de la situation de son conjoint.

« Les gens ont l’impression que marié ou en union libre, c’est pareil », soutient-elle. Car « c’est l’information qu’envoie l’État ».

Le choix de se marier ?

À défaut d’être éclairé, le choix de se marier ou non est-il libre ?

Les recherches menées par Hélène Belleau et ses collègues montrent que chez 25 % des couples en union libre, un des deux conjoints ne voulait pas se marier.

Dire non au mariage

25 %

Dans 25 % des unions libres, l’un des conjoints veut se marier et l’autre, non.

8 fois sur 10

Chez les couples en divergence d’opinions, huit fois sur dix, c’est l’homme qui refuse le mariage.

Source : Belleau, Lavallée et Seery, 2017

Chez certains couples, « c’est le conjoint qui refuse le mariage qui a le gros bout du bâton », soulignent Hélène Belleau et ses collègues, dans un document de présentation.

Huit fois sur dix, c’est l’homme qui ne veut pas se marier. Et si les femmes veulent se marier, c’est à cause du côté romantique de la chose, de la signification sociale, de la robe blanche. Ce n’est pas nécessairement une question juridique.

Hélène Belleau, professeure titulaire à l’INRS et spécialiste des questions de famille, de couple et d’argent

Pour motiver leur refus, les hommes évoquent souvent le coût du mariage.

Hélène Belleau et ses collègues ont calculé qu’en réduisant les frais aux plus strictes démarches réglementaires, un mariage civil pouvait coûter seulement 150 $.

En somme, le choix de se marier ou non « n’est pas vraiment là pour tout le monde », conclut la chercheuse. « On s’attend à avoir une réforme du droit de la famille à l’automne pour les conjoints de fait. Le problème, c’est que les juristes se basent souvent sur ce qu’ils pensent être la réalité plutôt que sur les vraies données sociologiques et les statistiques. »

Il faudra marier le droit et les faits.

Une version antérieure de ce texte nommait érronément l'une des chercheuses. Les sources de certains graphiques ont également été précisés.