À 65 ans, à la veille de la retraite, Hélène* détient environ 475 000 $ en épargne. Les calculs de sa conseillère en placements montrent qu’à 90 ans, il lui restera encore 400 000 $. « Permettez-moi d’être sceptique », lance-t-elle.

La situation

Après avoir perdu en 2019 l’emploi qu’elle occupait depuis 16 ans, elle a touché l’assurance-emploi pendant quelques mois, puis a retrouvé un emploi à temps partiel en mai 2021.

Mais le temps de la retraite est maintenant venu. « Je pense que je suis prête », constate-t-elle.

« À partir de juillet 2022, je devrais commencer à décaisser mes REER [régime enregistré d’épargne-retraite]. Je n’ai pas encore demandé mes rentes gouvernementales. »

Elle ne recevra aucune rente de retraite d’employeur.

« Tout l’argent que j’ai mis de côté a été accumulé par moi. Mon dernier employeur offrait un pourcentage de mon salaire en REER et je contribuais à la même hauteur. J’ai aussi fait beaucoup d’heures supplémentaires pour arriver à mettre de l’argent de côté. Et j’ai toujours fait un budget. »

Sa voiture est payée. Elle n’a aucune dette. Elle occupe à Montréal un petit logement de quatre pièces pour lequel elle verse un loyer de 800 $. Rien n’est jamais garanti, mais elle estime peu probable que le propriétaire, qui a acquis l’immeuble récemment, joue le jeu de la rénoviction : il a rénové son appartement sans hausser outrageusement son loyer.

Elle estime son coût de vie à la retraite à 35 000 $.

Les chiffres

Hélène, 65 ans

  • RRQ à 65 ans : 1114 $/mois
  • PSV à 65 ans : 7780 $
  • Aucune rente de retraite d’employeur

Épargnes

  • REER : 415 000 $
  • CELI : 60 000 $
  • Aucune propriété
  • Aucune dette

« C’est assez raisonnable, estime-t-elle. Mon grand luxe, c’est de voyager. Je fais un voyage par année. Mais ce n’est pas jusqu’à 90 ans. »

S’il lui fallait payer un jour un loyer plus élevé, ce serait le budget voyage qui écoperait.

Hélène a évalué ses revenus de retraite avec l’outil Simulretraite de la Régie des rentes du Québec (RRQ).

« Ça m’amenait jusqu’à 90 ans. » Ses épargnes étaient alors épuisées.

La projection de retraite de la conseillère de son institution financière était beaucoup plus optimiste.

« Elle m’a dit qu’à la fin, il me resterait 400 000 $. Je pars avec 475 000 ! Ça ne se peut pas ! »

« On s’est parlé un peu et elle m’a dit : peut-être que vous feriez mieux de voir un fiscaliste. »

La conseillère lui a suggéré de commencer à retirer dès maintenant ses rentes gouvernementales – prestations de la Sécurité de la vieillesse et RRQ.

« Moi, j’avais espéré attendre pour les prendre le plus tard possible pour que ça soit indexé. Est-ce que je devrais attendre ? »

Voyons voir.

La réponse

Hélène demande donc un deuxième avis professionnel sur l’état de santé de sa future retraite.

Le planificateur financier et fiscaliste Martin Dupras, du cabinet ConFor financiers, a fait l’auscultation.

Il vise un revenu uniforme, indexé à l’inflation, jusqu’au 96e anniversaire d’Hélène, âge auquel elle n’aura plus que 25 % de probabilité d’être encore en vie.

Il applique à ses épargnes, qui totalisent 475 000 $, un rendement net moyen de 4 %.

Un rendement qui peut étonner, par les temps qui courent ? Il s’agit d’un rendement moyen sur une période prolongée pour un portefeuille équilibré, indique-t-il, « dans un environnement de frais de gestion qui ne dépasse pas 1,5 % ».

Pour des fonds négociés en Bourse (FNB), par exemple.

Il base ses hypothèses sur les Normes de projection de l’Institut québécois de planification financière.

« Un portefeuille équilibré devrait produire ce rendement à long terme », souligne-t-il.

La même réflexion s’applique à l’inflation, qu’il fixe à 2,1 %. Elle sera vraisemblablement plus élevée pendant deux ou trois ans, mais à long terme, la moyenne se rapprochera du chiffre retenu pour la projection.

Les rentes à 65 ans

Voici les résultats.

À 65 ans, la rente de la RRQ procurerait 13 400 $ par année et les prestations de la Sécurité de la vieillesse (PSV) y ajouteraient près de 7800 $.

Appuyées par les actifs, ces rentes « permettront à Hélène de maintenir un pouvoir d’achat de 34 000 $ pour toute la durée de la projection », constate le planificateur financier.

Tout juste sous le coût de vie de 35 000 $ estimé par Hélène.

Dans ce scénario, les revenus se partagent à peu près également entre les rentes et les actifs, qui s’épuisent à 96 ans. À 90 ans, ils s’élèvent encore à quelque 225 000 $.

Dans la projection de la conseillère consultée par Hélène, notre lectrice détenait encore 400 000 $ à 90 ans.

Comment expliquer cet écart ? Probablement une question d’hypothèses de départ, subodore Martin Dupras.

« Une projection sur 30 ans est tellement sensible aux hypothèses, souligne le planificateur. J’ai retenu un rendement net de 4 %. Si elle a pris 4,25 % ou 4,5 %, les chances sont bonnes qu’effectivement, il y aurait eu encore 400 000 $ à 90 ans. »

Les rentes à 70 ans

Notre planificateur a refait l’exercice en reportant les rentes gouvernementales d’Hélène à 70 ans.

Selon son relevé, la rente de la RRQ serait portée à 17 730 $. La PSV atteindrait 10 580 $. Cette fois, elle peut maintenir un train de vie indexé de 35 000 $ jusqu’à 96 ans. Les épargnes totalisent encore 220 000 $ à 90 ans, pour s’épuiser six ans plus tard.

Le pouvoir d’achat, supérieur de 1000 $ au premier scénario, équivaut aux besoins d’Hélène.

« Mais ce n’est pas là le principal gain. Le principal gain est en gestion de risque », insiste notre planificateur.

« Si elle reporte ses rentes à 70 ans, c’est environ un tiers des revenus subséquents qui proviennent de ses actifs. Son risque d’investissement est bien plus faible que dans le scénario initial, où la répartition des revenus est d’environ 50-50. »

« Des lecteurs diront peut-être que si Hélène meurt plus tôt, elle est perdante, ajoute-t-il. Mais si elle meurt plus tôt, elle ne saura pas qu’elle a perdu : elle sera morte ! »

Elle s’en préoccupera d’autant moins que n’ayant pas d’enfants, elle n’aura pas le souci de leur laisser un héritage.

« Comme conseiller et comme consommateur, le risque de ne pas mourir assez vite m’inquiète bien plus. Mourir tôt, c’est dommage, mais financièrement, ce n’est pas un grand risque. C’est de mourir tard qui est un risque important à la retraite. »

Si elle reporte ses rentes gouvernementales à 70 ans, Hélène devra d’ici là puiser plus profondément dans ses épargnes de retraite, à une époque d’inflation élevée et de rendements boursiers préoccupants. Faut-il s’en inquiéter ?

« Quand on est rendu à faire du décaissement, on doit toujours avoir l’équivalent de 12, 16 ou même 24 mois de revenus qui ne sont pas trop exposés aux risques, justement pour éviter d’avoir à faire des retraits et de cristalliser des pertes », répond-il.

Hélène devrait donc réévaluer sa répartition d’actifs pour maintenir devant elle ce coussin de revenus.

Certains pourraient penser que retarder les rentes de cinq ans est une lourde décision. Mais Hélène ne s’y engage pas par contrat notarié. « Qu’elle ne reporte ses rentes que d’une année, avise Martin Dupras. L’an prochain, elle révisera la situation. »

Et ainsi d’année en année. Rien ne l’empêchera de demander à retirer ses rentes dans deux ou trois ans, si les circonstances s’y prêtent ou l’incitent.

« L’inverse n’est pas vrai. Le jour où tu les prends, c’est irréversible. »

* Bien que le cas mis en lumière dans cette rubrique soit réel, les prénoms utilisés sont fictifs.

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