En finances, les préjugés inconscients en faveur de l’image rassurante du veston-cravate sont tenaces. Pourtant, il y a plein d’avantages au fait que les femmes prennent plus de place en planification financière et en gestion de portefeuille. Avis d’experts, études et fonds féministes.

Aucune bonne raison

Pourquoi, ces idées préconçues ? Chantal Lamoureux, PDG de l’Institut québécois de planification financière (IQPF), a cherché des réponses dans les études réalisées par son organisme. Est-ce que la perception qu’ont les femmes de leur niveau de connaissances en finances pourrait avoir un effet ? s’est-elle questionnée.

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Chantal Lamoureux, PDG de l’Institut québécois de la planification financière (IQPF)

Dans nos sondages, 42 % des femmes considèrent qu’elles ont de bonnes connaissances contre 51 % des hommes. Est-ce que ça peut engendrer certains préjugés ? Les femmes sont moins bonnes, car elles se trouvent moins bonnes. Le pourcentage d’hommes et de femmes est le même pour ceux qui disent avoir de très bonnes connaissances.

Chantal Lamoureux, PDG de l’Institut québécois de planification financière

Chantal Lamoureux a aussi analysé les résultats de l’examen pour le diplôme de planificateur financier. Conclusion : aucune différence entre les hommes et les femmes. « Quand on regarde nos 25 meilleures notes, il y a autant d’hommes que de femmes. Pour ce qui est de la moyenne des notes, c’est à peu près la même chose aussi. »

Dans leur profession, les planificateurs financiers doivent accompagner les gens. La PDG de l’IQPF ressort une étude de Korn Ferry sur l’intelligence émotionnelle qui avait fait grand bruit en 2016. Le cabinet international de conseil en gestion de talents a analysé les données de 55 000 professionnelles dans 90 pays. Résultats : les femmes ont des compétences légèrement plus élevées que les hommes pour le mentorat, le coaching, la sensibilisation organisationnelle, l’adaptabilité et le leadership.

« Parfois, on a le préjugé que les femmes ont moins de maîtrise de soi, mais l’étude fait ressortir qu’elles en ont autant que les hommes. C’est la même chose pour la gestion du stress et des risques. »

« Les femmes ont des comportements différents de ceux des hommes, des tactiques et des qualités différentes, explique la planificatrice financière Chantal Matos, directrice-conseil pour la Société de gestion privée des Fonds FMOQ, qui a travaillé plusieurs années dans des équipes, où elle était la seule femme à la table. Les femmes sont beaucoup plus à l’écoute et empathiques. Ce qui est très utile pour notre profession qui requiert qu’on soit au courant des situations personnelle et financière des gens. »

La situation en chiffres

  • 38 % des diplômés de l’Institut québécois de planification financière (IQPF) sont des femmes.
  • 16,8 % de femmes dans le Grand Montréal détiennent le titre de CFA (Chartered Financial Analyst), la plus haute distinction du secteur de la finance.
  • 27,3 % de candidates sont inscrites aux examens du CFA pour 2022.
  • 10 % ou moins des gestionnaires de fonds ou d’analystes en investissement sont des femmes. (Enquête mondiale menée dans 16 pays pour BNY Mellon Investment Management, 2021)
  • 11 % seulement des partenaires investisseurs dans les sociétés de capital-risque aux États-Unis sont des femmes. (Étude Université Harvard, 2019)

Les avantages

« Une équipe diversifiée permet de reconnaître les besoins du marché, de considérer les occasions qu’on ne verrait pas en étant un groupe homogène, dont les membres sont tous allés à la même école et pensent tous de la même façon », observe Jérôme Nycz, vice-président directeur, de BDC Capital.

Si une femme entrepreneure en devenir, qui lève des fonds, fait une présentation et qu’on a une femme dans le comité d’investissement, il va y avoir un questionnement sur la validité du produit ou du service qui va aller plus loin que les stéréotypes des gens qui ne comprennent pas les besoins.

Jérôme Nycz, vice-président directeur, de BDC Capital

Les sociétés de capital-risque avec 10 % de femmes réalisent des investissements plus fructueux en ce qui concerne les sociétés de portefeuille, ont des rendements de fonds 1,5 % plus élevés et enregistrent 9,7 % de sorties plus rentables, révèle une étude de l’Université Harvard de 2019.

Selon une étude d’Hargreaves Lansdown, menée d’août 2014 à août 2017, les portefeuilles des femmes ont crû de 0,81 % de plus par an, en moyenne, que ceux détenus par des hommes.

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Chantal Matos, directrice-conseil pour la Société de gestion privée des Fonds FMOQ

« En ce qui concerne la répartition d’actif et la tolérance aux risques, les hommes vont avoir tendance à changer de produits et de stratégies souvent, tandis que les femmes vont garder leur objectif et leur stratégie à long terme. Elles font moins de transactions et vont moins bouger les portefeuilles », explique Chantal Matos, directrice conseil chez Gestion privée Fonds FMOQ.

Les écueils sur la route

Le manque de modèles féminins dans l’industrie du capital-risque rend encore plus difficile pour les femmes d’y aspirer, d’y entrer et de réussir dans ce domaine. Être la seule femme dans un monde d’hommes place les femmes dans une position désavantageuse sur les plans informationnel, psychologique et relationnel, indique une vaste étude de l’Université Harvard de 2019.

  • Près de 9 gestionnaires d’actifs sur 10 (86 %) admettent que le client visé par leurs produits est un homme. (Étude mondiale BNY Mellon Investment Management, 2021)
  • Près des trois quarts des gestionnaires d’actifs (73 %) pensent que le secteur de l’investissement serait en mesure de convaincre plus de femmes d’investir si le secteur lui-même avait plus de femmes gestionnaires de fonds. (Étude mondiale BNY Mellon Investment Management, 2021)

Trois fonds féministes

Fonds pour les femmes en technologie de BDC Capital

  • Création en 2018
  • 200 millions
  • Géré par une femme gestionnaire principale avec une équipe de cinq femmes et un homme
  • C’est l’un des plus importants fonds de capital de risque au monde qui investit dans 30 entreprises technologiques gérées par des femmes. Il vise à avoir un effet durable sur l’écosystème des technologies canadiennes.
  • « Le fonds a pour mandat d’aider des entrepreneures en technologie, de la phase de démarrage à la croissance jusqu’à la sortie, par l’entremise d’un appel public ou la vente de l’entreprise, explique Jérôme Nycz, vice-président directeur de BDC Capital. On est rendus à 170 millions sur 200 millions, alors on pense à créer un deuxième fonds. On cherche d’ailleurs une ou deux personnes pour le gérer. »

SociéTerre Diversité Fonds Desjardins

  • Création en 2020
  • 188 millions
  • Géré par une femme gestionnaire principale et deux hommes
  • Ce fonds commun investit dans des entreprises qui ont une représentation féminine au conseil d’administration 46 % plus importante que pour des entreprises comparables et une représentation féminine aux comités de direction 67 % plus importante que pour des entreprises comparables.
  • « L’approche d’investissement a été conceptualisée par une gestionnaire de portefeuille, explique Marie-Justine Labelle, cheffe d’équipe, investissement responsable, chez Desjardins. On a créé ce fonds thématique, parce qu’on a vu qu’il y avait un intérêt pour la cause. Sur le plan de l’investissement responsable, les femmes, les diplômés universitaires et les jeunes ont tendance à investir plus. Sur le plan de l’intérêt, c’est 75 % des Canadiens qui se disent intéressés par l’investissement responsable.

Fonds mondial de leadership féminin Mackenzie

  • Création en 2017
  • Géré par trois femmes et un homme
  • 40 millions
  • Le fonds investit dans des titres de capitaux propres de sociétés provenant de partout dans le monde qui favorisent la diversité des genres et le leadership des femmes.
  • « Outre les placements dans les sociétés dans lesquelles les investisseurs vont s’engager qui vont vraiment favoriser l’égalité et la diversité, ils ont aussi un rôle de militant à travers ça. Pour vraiment nouer un dialogue avec les entreprises, promouvoir et améliorer les niveaux d’égalité salariale et de leadership féminin. Le fonds s’adresse à tous ceux qui veulent favoriser la diversité et l’inclusion », explique Karine Abgrall-Teslyk, vice-présidente, cheffe des services bancaires aux particuliers de la Banque Laurentienne.