Les maisons sont chères, très chères. Les jeunes acheteurs peinent à amasser le capital requis pour déposer une mise de fonds. Pour « passer à la banque », ils se tournent de plus en plus vers papa-maman. Conseils pratiques – et pièges à éviter – à l’intention des parents qui veulent aider leur enfant à accéder à la propriété.

Le don plutôt que l’endossement

« Hors de tout doute, le don en argent est la meilleure chose à faire », explique le planificateur financier Sylvain De Champlain.

Et pourquoi donc ? « C’est une façon concrète [pour les parents aidants] d’avoir un impact direct et immédiat sur les finances personnelles de leur enfant », précise le président-fondateur du Groupe financier De Champlain, à Anjou.

Dans sa pratique, il voit de plus en plus de clients lui demander conseil pour permettre à leur fils ou à leur fille d’accéder à la propriété.

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« Je dirais même que c’est un phénomène relativement récent », observe-t-il.

Il fait valoir que les baby-boomers sont la première génération à disposer des liquidités nécessaires pour être en mesure d’intervenir au moment d’une transaction immobilière en faveur de leur progéniture.

« Ce ne sont pas tous les parents qui ont les moyens de donner une somme pouvant varier entre 25 000 et 50 000 $, relativise-t-il. Mais ceux qui peuvent se le permettre en retirent une grande satisfaction. »

Le planificateur d’expérience s’empresse de faire une mise en garde aux parents qui seraient tentés de « trop donner » sans tenir compte de leur propre santé financière.

« Il m’arrive de dire à mes clients : “attention de ne pas aider votre enfant à votre détriment !” Parce qu’il y a un risque à se laisser emporter par un élan de générosité bien légitime. »

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Sylvain De Champlain, président-fondateur du Groupe financier De Champlain

On vit de plus en plus vieux, on peut vivre bien au-delà de 95 ans. Il faut en tenir compte lorsqu’on donne à son enfant. Un don, ça se planifie, tout comme la retraite.

Sylvain De Champlain, président-fondateur du Groupe financier De Champlain

Des solutions

Chose certaine, relève de son côté le planificateur financier Martin Davidson, les parents sont de plus en plus « allumés » sur cet enjeu sociétal.

« Il y a 17 ans, à mes débuts dans la profession, on ne parlait pas de ça, sinon très peu, évoque le directeur de succursale chez IG Gestion de patrimoine, à Shawinigan. C’est à peine si je traitais un dossier par année. Les choses ont changé considérablement. Depuis deux ans, il ne se passe pas un mois sans qu’un de mes clients me demande de l’aider à trouver une solution. »

La question qui revient le plus souvent est la suivante : « Mon fils – ou ma fille – passe serré au financement hypothécaire. »

Et que leur propose-t-il ?

« Un don de son vivant, répond-il. C’est la meilleure option. Et c’est aussi la plus simple qui soit, celle qui demande le moins de paperasse à remplir. »

À l’inverse, il déconseille fortement à ses clients de se porter garants de leur enfant pour satisfaire aux conditions de l’institution prêteuse.

« Mais c’est souvent le réflexe des banques de proposer au jeune d’aller voir son père, sa mère, ses parents [pour qu’ils viennent en renfort] », soumet-il.

Le problème avec l’endossement, c’est que le parent peut être poursuivi par l’institution financière si son enfant fait défaut de payer son hypothèque, ou pire encore, s’il fait faillite.

Martin Davidson, planificateur financier et directeur de succursale chez IG Gestion de patrimoine, à Shawinigan

Un point de vue partagé par Sylvain De Champlain : « Il n’y a aucun avantage à être cosignataire pour le prêt de son enfant, c’est à éviter à tout prix ! Si le fils ou la fille perd son emploi ou n’arrive plus à payer ses taxes foncières, qui va payer à sa place ? C’est papa-maman. On ne veut pas ça. »

Des craintes légitimes

Martin Davidson ne cache pas que certains de ses clients, pourtant bien intentionnés, vont lui faire part de leurs craintes, tout à fait légitimes, sur les risques de donner de leur vivant.

« Je dirais que leur plus grande appréhension, c’est de manquer d’argent, expose-t-il. On va me dire : “Est-ce que je vais en avoir assez pour ma retraite si je donne 50 000 $” [pour la maison que souhaite acheter fillette ou fiston ?] Il y a aussi le fait que les parents veulent être équitables avec tous leurs enfants. Ils sont prêts à donner, mais ils tiennent à ce que les dons soient distribués de façon égale. »

Un de ses clients, septuagénaire, vient tout juste de commencer à faire des dons planifiés à ses deux fils, âgés de 39 ans et de 41 ans. Dans ce cas bien précis, les fils possèdent leur maison.

« Ça va leur permettre de rembourser plus rapidement leur hypothèque, ou encore, de payer les rénovations », souligne le retraité qui préfère ne pas être nommé.

Et comment s’y prend-il pour verser ces sommes « de quelques dizaines de milliers de dollars » ?

« Sur les conseils de mon planificateur financier, dit-il, j’ai décidé d’étaler les dons sur une période de cinq ans. Je sors une partie de mes placements et je transfère cette somme dans leur compte à eux. Ça se fait une fois par année. »

Il va sans dire que ses fils sont reconnaissants. « Ça les aide, c’est bien sûr. Il y a un plaisir à donner de son vivant. Je peux voir à quoi servent ces sommes. Et mes gars prennent soin de moi. Je ne suis pas perdant. »

Mais avant d’aller de l’avant, il a tenu à se faire rassurer par son planificateur financier qui lui a dit : “Vous avez assez d’argent pour vous rendre à 100 ans !” »

Petit détail qui a une grande importance : avant d’accepter, ses fils ont eu un entretien avec Martin Davidson, qui a pris le temps de leur expliquer en détail la démarche de leur père, son client.

« Ils ne voulaient [surtout pas] que ça me cause des ennuis financiers. »

C’est ainsi que les choses se sont passées. Simplement. En toute transparence.

Quand il va prendre son café avec ses bons amis, il n’hésite pas à aborder cette question, encore délicate, parfois même taboue, concernant les dons de son vivant.

Avec humour, il y va de cette petite phrase d’une grande pertinence : « Je pense que c’est mieux de commencer à donner de son vivant plutôt qu’après ! »

Un coup de pouce parental souvent indispensable

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Qu’est-ce qui amène les parents à donner 50 000, voire 100 000 $ ? Et pourquoi les 25-35 ans réclament-ils l’intervention financière de papa-maman ? Nous avons posé la question à deux courtiers hypothécaires, dont c’est le travail d’obtenir du financement hypothécaire à meilleur taux auprès des institutions prêteuses.

« Généralement, mes jeunes clients affichent un bon dossier [de crédit], estime Philippe Béland, courtier indépendant à Laval, et membre du Consortium hypothécaire. Ce sont souvent des professionnels tout juste sortis de l’université. Ils sont à loyer et ils veulent acheter une maison. »

Or, en raison de la frénésie immobilière – et de l’explosion du prix des propriétés –, ces premiers acheteurs comprennent qu’ils ne pourront pas réaliser leur rêve sans un sérieux coup de pouce financier de leurs parents.

Ils ne disposent pas de la somme permettant de verser la mise de fonds minimale de 5 % et ils voient les prix monter en flèche. Ils sont bien renseignés et ils anticipent une hausse des taux d’intérêt hypothécaires.

Philippe Béland, courtier indépendant et membre du Consortium hypothécaire

Dans certains cas, il constate que les parents vont eux-mêmes prendre la décision de faire un don plus substantiel afin que leur jeune n’ait pas à faire assurer son prêt par la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL). Ils vont ainsi faire un don représentant 20 % de la somme à emprunter, soit 80 000 $ pour une maison de 400 000 $.

Beaucoup de questions à poser

Dans son bureau de Gatineau, le courtier Patrick Dumond, chez Multi-Prêts, reçoit de jeunes acheteurs parfois accompagnés de leurs parents.

« Les parents posent beaucoup de questions, résume-t-il. Ça fait un bon bout de temps qu’ils ont acheté leur maison et ils veulent que leur jeune fasse le bon choix, avec le bon financement. »

Au-delà de la somme qu’ils sont prêts à donner, ils sont disposés à prendre en considération les diverses options qui sont sur la table. « C’est le parent qui fait le don, mais c’est l’enfant qui décide à la fin ! », dit-il avec humour.

On va lui demander, par exemple, si c’est une bonne chose d’acheter la maison « conjointement » avec son enfant. On évaluera également la possibilité, pour le parent, de vendre la maison familiale à son enfant moins cher que sa véritable valeur marchande.

« On parlera alors d’un don d’équité qui pourrait atteindre 80 000 $, et même davantage, dit-il. Il n’y a pas d’échange d’argent puisque l’équité est prise en considération entre le prêteur [la banque] et l’acquéreur [le jeune]. »

Mais pour vendre le nid familial à son enfant, il faut être prêt à déménager… et à acheter une autre propriété.

« Ça s’applique [généralement] lorsque les parents sont prêts à vivre dans une maison de plus petite dimension », soulève-t-il.

C’est un pensez-y-bien…