Au cours des derniers mois, les milléniaux ont investi plus que jamais dans les marchés boursiers et se sont lancés dans la surenchère pour obtenir une propriété. Ont-ils un rapport avec l’argent différent de celui des autres générations ?

Plus riches que les X

Les milléniaux héritent du plus gros transfert générationnel d’argent jamais vu jusqu’ici au Canada et aux États-Unis, soulève Marie-Josée Turcotte, CMA CPA, gestionnaire de portefeuille chez BMO Gestion privée.

« Ce phénomène vient de l’effet entonnoir de capitaux accumulés sur 50, 60, 70 ans dans des familles de moins en moins nombreuses, explique la gestionnaire de portefeuille, et l’argent se retrouve entre les mains de moins en moins d’individus et commence à être transmis. »

Parmi les clients de BMO, Marie-Josée Turcotte raconte qu’elle voit des parents donner de 25 000 $ à 100 000 $ à leurs enfants pour acheter un condo ou une maison, des grands-parents laisser en héritage à leurs petits-enfants milléniaux quelques centaines de milliers de dollars, voire des millions, et des tantes ou des oncles célibataires donner de l’argent à leurs neveux et nièces.

Leurs parents et leurs grands-parents baby-boomers, nés de 1946 à 1964, ont eu en général des conditions de vie plus faciles que les générations nées avant 1945.

« En 1996, les parents n’achetaient pas de condos à leurs enfants de la génération X », rappelle Marie-Josée Turcotte.

Plus près de leur famille

Leur rapport avec leurs parents est différent, analyse la sociologue et professeure émérite à l’Université d’Ottawa Diane Pacom. « Les baby-boomers n’aimaient pas nécessairement leurs parents. Plusieurs livres ont été écrits à ce sujet. Les milléniaux sont au contraire amis avec leurs parents. La famille est égalitaire et non hiérarchique comme autrefois. Les pères sont des copains avec leurs fils tandis que les mères et leurs filles parlent de contraception et de leurs aventures sexuelles. »

Les données d’archives de Statistique Canada indiquent que le nombre d’enfants uniques a augmenté au fil des années. En 1961, le nombre moyen d’enfants par famille était de 2,7, et il avait chuté à 1,9 en 2011.

Autres statistiques révélatrices de 1996 : 51 % des couples étaient en union libre, 63 % des familles étaient monoparentales et 45 % des couples mariés n’avaient eu qu’un seul enfant.

« Ces enfants souvent uniques ont un rapport narcissique avec le monde. Avant, les gens devaient se débrouiller, parce que c’était des familles de trois ou quatre enfants. »

Les milléniaux vivent dans des familles divorcées où les parents se sentent coupables.

Diane Pacom, sociologue

Cette réalité démographique combinée à la relation d’amitié fait en sorte que les milléniaux ont le sentiment que leurs parents seront toujours là pour les soutenir, les couvrir s’ils font des bêtises financières et les aider s’ils décident de partir en voyage au bout du monde.

« À moins de venir d’une famille très pauvre, ils prennent plus de risques, parce qu’ils ont la garantie que leurs parents vont les couvrir. »

Les emprunts pour faire des études universitaires sont plus rares, du moins au sein de la clientèle de BMO, constate la gestionnaire de portefeuille Marie-Josée Turcotte.

Les sommes dans les régimes enregistrés d’épargne-études (REEE) deviennent en revanche importantes. « Ce n’est pas rare de voir 100 000 $ dans un REEE pour une famille de deux ou trois enfants », soutient-elle.

Parieurs et spéculateurs ?

Le rapport avec la prise de risque est différent de celui de la génération X ou même des baby-boomers, affirme la sociologue Diane Pacom. Tandis que les deux autres générations investissaient en prévision de l’avenir, pour acheter une maison ou payer des études à leurs enfants, les milléniaux vivent dans le moment présent. « La Bourse et les placements, c’est plus pour le thrill de l’investissement et du gain, c’est un peu un jeu. Ils ressentent moins le besoin d’être prudents », observe-t-elle.

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Les milléniaux n’ont pas le même rapport avec la prise de risque dans leurs investissements que les générations qui les ont précédés.

La sociologue précise toutefois qu’il ne faut pas mettre tous les milléniaux nés entre 1981 et 2005 dans le même panier. Cette génération est fragmentée, dit-elle, et la façon de concevoir l’argent est loin d’être homogène. On retrouve en même temps des investisseurs avertis, qui sont déjà riches à 30 ans, et d’autres pour qui l’argent permet d’atteindre des objectifs autres que l’enrichissement personnel.

Marie-Josée Turcotte, chez BMO Gestion privée, observe de son côté un contexte et des cycles dans l’économie pour expliquer le penchant soudain des milléniaux pour la Bourse.

« Les jeunes de 25 ans en 1996 investissaient aussi. Ils avaient moins d’argent, mais le phénomène de spéculation était là quand même », précise-t-elle.

La gestionnaire de portefeuille rappelle le contexte de la fin des années 90 alors que l’économie américaine sortait d’une récession et qu’il y avait un mouvement généralisé de baisse de taux d’intérêt pour stimuler l’économie. Le président de la Réserve fédérale américaine à l’époque, Alan Greenspan, parlait d’exubérance irrationnelle dans le marché bousier, souligne-t-elle, avec les titres de technologie comme Microsoft, Cisco, Intel qui offraient alors des rendements très intéressants.

« C’est un peu le même cycle, affirme-t-elle. On ne sort pas d’une récession, mais d’une pandémie. On est dans une baisse généralisée des taux d’intérêt. Il y a le phénomène de l’abondance de liquidités dans le système. N’importe qui peut avoir un prêt, une marge de crédit ou avoir une hypothèque qui est démesurée à cause de la faiblesse extrême des taux d’intérêt. »

Ce cycle est aussi combiné à une rapidité de transmission de l’information, puis à une rapidité et une facilité de transaction. Ce qui n’était pas le cas en 1996, alors que les informations sur des titres prenaient des jours à se transmettre.

Admirateurs de nouveaux modèles de capitalistes

Les réussites capitalistes à la Rockefeller et Trump ne font pas partie de leur modèle, soutient la sociologue Diane Pacom. Les milléniaux admirent plutôt les magnats du virtuel comme Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook, Jack Dorsey, de Twitter, ou encore Jeff Bezos, d’Amazon et de l’entreprise spatiale Blue Origin.

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Jack Dorsey, PDG de Twitter

Rappelez-vous que c’est Jack Dorsey, de Twitter, qui a décidé d’un clic de réduire au silence Trump. Il s’agit de tout un rapport symbolique avec le pouvoir.

Diane Pacom, sociologue

« C’est un immense changement de modèle, poursuit-elle. Les capitalistes classiques se fichaient d’être vertueux, alors que les nouveaux capitalistes se voient comme des philanthropes, politiquement corrects, toujours avec une aura humanitaire et disent se préoccuper de l’environnement, même si au fond, certains utilisent encore des moyens discutables pour s’enrichir. »

Plus d’intérêt, moins de complexes

Contrairement à d’autres générations, les milléniaux n’ont aucun tabou par rapport à l’argent, constate Marie-Josée Turcotte, de BMO. Leurs parents leur donnent de l’argent, ils ont hérité de leurs grands-parents et ne s’en cachent pas. « Ils sont décomplexés par rapport à l’argent, décomplexés de le montrer et d’en faire. La génération des 90 ans judéo-chrétienne, par exemple, ne parlait pas de salaire ou du prix payé pour une maison. Il y a 30 ou 40 ans, à certains endroits, c’était mal vu d’arriver en Mercedes chez un client, car ça donnait l’impression que tu faisais trop d’argent. »

Les milléniaux ont un intérêt pour l’investissement, ils posent des questions et affectionnent la technologie, la biotechnologie ainsi que la cryptomonnaie. « Cette année, j’ai ouvert plusieurs comptes à ce groupe d’investisseurs là, parce qu’ils ont du revenu discrétionnaire, parce qu’ils s’intéressent à l’investissement. Ils profitent d’un cycle de baisse de taux d’intérêt et ils sont en compétition avec plein de capital sur la planète pour acheter une maison, un bateau, une voiture, des œuvres d’art, des bijoux d’exception. »