Stupeur : elle s'aperçoit, après deux ans de retraite, que ses dépenses excèdent les capacités de ses épargnes. Mais est-ce vraiment le cas ?

LA SITUATION

Jacqueline a pris sa retraite à 65 ans, à l'automne 2016, avec un doux sentiment de plénitude. « L'an 2017, première année de retraite, repos et euphorie », résume-t-elle.

Pourtant, « je suis d'un tempérament plutôt anxieux », indique la mère de deux enfants adultes.

C'est pourquoi, dès 2017, elle a accepté un travail d'appoint qui a versé 16 000 $ dans son escarcelle.

« J'ai eu peur de manquer d'argent et je ne savais pas comment ça fonctionnait. Mon coût de vie, je l'avais calculé un peu à l'avance, mais on ne le connaît pas vraiment. L'insécurité m'a fait accepter ce qu'on m'a proposé. »

Elle a poursuivi sur cette lancée en 2018, pour un revenu à peu près similaire.

« Ça m'a permis de ne pas toucher à mon vieux gagné et de m'illusionner un peu. »

- Jacqueline

Elle avait prévu que l'essentiel de ses dépenses serait couvert avec la RRQ, la PSV et une modeste rente d'ancienne élue municipale.

Ce n'est que pour s'offrir un voyage annuel d'environ 10 000 $ et pour parer aux imprévus qu'elle puiserait dans ses épargnes de retraite - des épargnes patiemment et durement constituées.

« À 42 ans, à la suite d'un divorce difficile qui m'a laissée sans le sou, je suis retournée sur le marché du travail et repartie à zéro, relate-t-elle. J'étais travailleuse autonome, sans fonds de pension d'un employeur. »

« J'ai vécu sobrement, ce qui m'a permis de me bâtir le patrimoine suivant. »

Elle a fourni la liste de ses placements, qui totalisent 650 000 $ en REER, CELI et épargnes non enregistrées.

LES CHIFFRES

Jacqueline, 67 ans

Revenus en 2018

Rente de la RREM : 652 $/mois

RRQ : 896 $/mois

PSV : 486 $/mois

Travail d'appoint : environ 20 000 $

Actifs

REER : 330 000 $

CELI : 55 000 $

Épargnes de retraite non enregistrées : 264 000 $

Réserve pour imprévus : 46 000 $

Propriété : valeur de 208 000 $

Voiture : Toyota Corolla 2009, « bien entretenue »

LE CHOC

Le choc est survenu au début de 2019, quand elle a fait l'état de ses dépenses.

« Ça ne balance pas, mon affaire. J'ai absolument besoin de sortir au moins 15 000 $ par année pour arriver, plus 10 000 $ si je veux faire ce voyage-là. Et sans compter les imprévus. »

En 2018, ses dépenses ont totalisé 35 720 $, dont un voyage de 5000 $. « J'ai aussi fait des acomptes provisionnels de 1564 $ au fédéral et 5040 $ au provincial pour les impôts, pour un total de 42 324 $. »

Elle calcule que ses rentes lui ont versé environ 22 000 $ après impôts, plus 20 000 $ en travail d'appoint.

« Force est de constater que le revenu supplémentaire de mon travail à temps partiel a fait en sorte que ma pension de vieillesse du fédéral n'était pas à son maximum », indique-t-elle.

« Je panique, car je constate que je n'ai pas la marge de manoeuvre que j'avais espérée. »

- Jacqueline

Ses relevés de placement pour l'année 2018 ne l'ont pas rassurée.

« Je constate une variation négative de 21 256,32 $ et je constate par la même occasion que les échéances viennent à terme en 2021, 2022, 2025, 2029, 2032. Ces placements sont des fonds distincts et des fonds communs de placement, ils sont garantis, mais je n'avais pas vraiment pris conscience des échéances et de la variation. »

Peut-elle se permettre de ne pas travailler ? « Et j'ai besoin d'un plan de décaissement de mon patrimoine », ajoute-t-elle.

« Il n'y a aucun poste budgétaire où je peux diminuer. J'essaie de me mettre au tofu, mais je n'aime pas ça pantoute. »

Aïe. Du tofu ! En est-elle vraiment arrivée à cette dernière extrémité ? Sans tofu, étouffe-t-elle ?

LA RÉPONSE

Pas de panique. Restons calme. Le planificateur financier Martin Dupras, président de ConFor financiers, a pris les choses en main.

Jacqueline craint que son travail à temps partiel lui fasse perdre une partie de la prestation de la Sécurité de la vieillesse. Même avec un revenu d'appoint, ses revenus sont encore très inférieurs au seuil où une réduction s'applique, fixé à 77 850 $ pour 2019.

« Dans la décision de travailler ou non à temps partiel pour des revenus annuels de 20 000 $, la perte de la PSV n'est pas un enjeu », affirme le planificateur.

Martin Dupras corrige également les dépenses annuelles calculées par Jacqueline.

« Elle nous dit qu'elle dépense près de 42 000 $ par année. Mais dans ça, elle inclut ses acomptes provisionnels. » Ces acomptes constituent des impôts qui, par conséquent, ne doivent pas être inclus dans son train de vie.

Ses dépenses courantes s'établissent plutôt à près de 31 000 $, auxquelles s'est ajouté un voyage de 5000 $ en 2018.

POSONS LE PROBLÈME

Jacqueline peut-elle maintenir ce coût de vie sans se ronger les sangs ?

Martin Dupras pose le problème autrement.

Quel budget annuel peut-elle soutenir, en tenant compte de l'inflation, de telle sorte que ses épargnes de retraite ne s'épuisent qu'à 96 ans - âge auquel elle n'aura plus qu'une chance sur quatre d'être encore en vie ?

Il accorde aux 650 000 $ d'épargne de retraite un rendement annuel de 3,5 % et il indexe les dépenses à raison de 2 % par année.

Dans ces conditions, il « arrive à un revenu soutenable de 40 500 $ par année, après impôt ».

Ce revenu est indexé, et Martin Dupras en apporte la preuve. Sur son tableau de projection, les revenus nets, en 2028, s'établissent à 48 400 $.

« Mais en dollars d'aujourd'hui, ça vaut 40 500 $, donc son pouvoir d'achat est constant la vie durant. »

Les dépenses courantes de Jacqueline totalisent actuellement environ 30 000 $. Si on ajoute les 10 000 $ affectés à son voyage annuel, on arrive - tiens, tiens ! - à 40 000 $ !

« Cette dame n'a donc pas besoin de travailler. Elle peut le faire pour d'autres raisons, mais financièrement, ce n'est pas une nécessité. »

- Martin Dupras, planificateur financier

D'autant plus que ce train de dépenses est maintenu jusqu'à 96 ans, alors que Jacqueline prévoit cesser de voyager à 80 ans.

En outre, Martin Dupras n'a pas inclus dans ses calculs la valeur de la maison et le coussin de 46 000 $, qui demeurent tous deux en réserve.

GESTION D'ÉMOTIONS

Voilà ce que disent les chiffres. Mais les émotions ne sont pas réductibles à une formule mathématique. Jacqueline, on l'a vu, s'inquiète de voir fondre son capital.

« Dans ce cas-ci, son inquiétude est augmentée par le fait qu'il y a eu une perte en 2018, observe Martin Dupras. Une baisse est normale, mais je comprends le stress que ça engendre. »

La projection du planificateur prévoit que Jacqueline devra retirer environ 20 000 $ d'épargnes chaque année jusqu'à 71 ans, et un peu plus ensuite.

Jacqueline devra s'y habituer.

« Il faut accepter qu'éventuellement le capital retraite va effectivement diminuer à mesure que l'on utilise celui-ci. Il faut toutefois s'assurer que cette descente n'est pas trop rapide. »

- Martin Dupras, planificateur financier

Les retraits de la première année représenteront 3,1 % de ses actifs. « Ce taux de retrait sera appelé à augmenter, mais force est de constater qu'un tel taux de retrait à 67 ans est viable et soutenable. »

Jacqueline manifestait des inquiétudes à l'égard de la coordination entre ses besoins de décaissement et les échéances de ses placements. Martin Dupras la rassure. « Ces fonds distincts, quoiqu'ils aient une échéance pour fins de garantie et de protection, sont liquides quand même. Elle peut les retirer, il n'y a pas trop de soucis là-dessus. »

Il soulève toutefois un autre point. Pour les besoins de son analyse, Jacqueline lui a transmis tous ses relevés de placement. « J'ai constaté que Madame est peut-être investie plus en actions qu'elle le devrait. Est-ce que ses placements reflètent son profil d'investisseur ? » La panique qu'elle exprime ne plaide pas en faveur d'une grande tolérance au risque.

Il suggère qu'elle en discute avec son conseiller.

Sa sérénité de retraitée pourrait en dépendre.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Le planificateur financier Martin Dupras, président de ConFor financiers