Chaque semaine, un financier répond à nos questions. Il donne sa lecture des marchés, offre son point de vue sur la Bourse et lance quelques conseils d'investissement. Cette semaine, André Chabot, président cofondateur et chef des placements chez Gestion de portefeuille Triasima, à Montréal.

À votre avis, quel est l'événement le plus significatif des derniers jours à la Bourse ?

La baisse encore plus marquée du prix du pétrole sous la barre des 60 $ US le baril a évidemment retenti dans la presse financière et sur les marchés boursiers.

Pourtant, la principale raison de cette baisse est connue depuis quelques mois, c'est-à-dire le surplus de pétrole provoqué par la rapide croissance de production américaine de pétrole de schiste, alors que la demande mondiale stagne, sinon décline même, dans certaines régions comme l'Europe.

Dans ce contexte, je crois que le sursaut de volatilité baissière du prix du pétrole, ces derniers jours, pourrait s'avérer un indicateur d'approche d'un niveau plancher. Beaucoup de producteurs pétroliers sont maintenant déficitaires. Des baisses ou des cessations de production surviendront sans doute assez rapidement, suscitant alors un raffermissement du prix du pétrole.

Dans l'immédiat, la chute du prix du pétrole est évidemment mauvaise pour les prochains résultats des producteurs et, du coup, pour la Bourse canadienne qui en contient un grand nombre.

En contrepartie, il ne faut pas oublier comme investisseurs canadiens que la chute du prix du pétrole est très bonne pour presque toute la planète économique et boursière. Globalement, il y a beaucoup plus de gagnants que de perdants avec une baisse du prix du pétrole.

Quel indicateur suivez-vous le plus attentivement en ce moment ?

Plutôt qu'un indicateur en particulier, c'est en fait un groupe d'indicateurs liés au marché du travail aux États-Unis que je suis avec le plus d'attention.

Pourquoi ? Parce que l'état du marché du travail et de l'emploi est au coeur même de la dynamique de l'économie américaine qui est une locomotive de l'économie mondiale.

Parmi ces indicateurs de l'emploi aux États-Unis, au-delà du taux de chômage, je suis notamment les niveaux de création d'emplois et de nouvelles offres d'emplois (job opening rate). Ces deux indicateurs sont en hausse continue depuis quelques trimestres et se sont même accélérés récemment.

Pour les investisseurs boursiers, ça témoigne du dynamisme retrouvé de l'économie américaine et ça atténue grandement le risque d'une récession pour l'avenir prévisible.

Que feriez-vous avec plusieurs milliers de dollars à investir ?

Dans le cas de nouveaux placements en actions, nos préférences d'allocation d'actif chez Triasima sont encore dirigées par la Bourse américaine.

Plus près de nous, à la Bourse canadienne, c'est certain que la forte dépréciation des producteurs pétroliers depuis quelques semaines nous incite à y suivre des occasions d'investissement additionnel.

Sans empressement, toutefois, le temps de laisser passer la tempête.

Par ailleurs, avec la faiblesse du dollar canadien qui découle de la baisse du prix du pétrole, nous avons un intérêt accru envers les entreprises très présentes aux États-Unis qui sont avantagées par un dollar faible ou encore des coûts d'énergie réduits. C'est le cas, par exemple, du fabricant de poutrelles d'acier Canam et de la firme d'ingénierie Stantec.

Dans ce contexte, aussi, nous croyons que la progression de transporteurs aériens comme Air Canada ou encore Southwest, une entreprise très bien gérée, va se poursuivre grâce à cette baisse marquée de leurs coûts de carburant, qui pourrait durer un certain temps.

Une entreprise canadienne qui nous intéresse davantage comme placement à long terme est le groupe Onex, de Toronto, qui gère un gros portefeuille de placements privés dans diverses entreprises.

Onex a beaucoup de liquidités disponibles à la suite de quelques bonnes reventes de placements. Elle pourrait profiter des épisodes de faiblesse en Bourse pour faire de nouveaux placements au cours des prochains mois.

À l'opposé, quel placement évitez-vous ces temps-ci ?

À court terme, nous préférons résister à l'attrait d'investissement que peuvent susciter les titres de producteurs pétroliers, après leur forte dépréciation des dernières semaines.

Du moins, tant qu'un bon tamisage n'aura pas eu lieu entre les entreprises en bonne situation financière et les autres trop fragiles pour durer et survivre même dans un marché aussi déprimé.

Par ailleurs, nous préférons éviter de nouveaux placements dans la zone euro, le temps que se clarifie le brouillard économique dans toute la région, qui affecte même des pays habituellement forts comme l'Allemagne.

Sur la Bourse canadienne, entre-temps, nous sommes peu intéressés à investir davantage dans les grandes banques, même après leur récente dépréciation.

Qu'est-ce que les marchés sous-estiment le plus actuellement ?

C'est l'absence d'inflation dans les principales économies développées, en Europe et aux États-Unis notamment.

Par conséquent, on sous-estime aussi la possibilité que la remontée des taux d'intérêt aux États-Unis, que beaucoup d'investisseurs anticipent depuis deux ou trois ans, soit encore décalée au cours des prochains mois.

Entre-temps, force est de constater que les bas taux d'intérêt demeurent favorables pour l'économie.

Avec l'inflation très faible, sinon nulle dans plusieurs secteurs, ça contribue à maintenir un « cercle vertueux » pour les entreprises, grâce auquel elles ont un meilleur contrôle de leurs coûts de masse salariale et de financement.

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André Chabot est président cofondateur et chef des placements de Triasima, une firme montréalaise de gestion de placements boursiers. Il dirige une équipe de 22 personnes qui gère un actif de 2,9 milliards provenant d'une clientèle pancanadienne d'investisseurs institutionnels, de fortunes privées et de fonds communs de placement.