Chaque samedi, un financier répond à nos questions. Il donne sa lecture des marchés, offre son point de vue sur la Bourse et lance quelques conseils d'investissement. Cette semaine, Ken Lester, de Gestion d'actifs Lester à Montréal.

Quel a été l'événement le plus significatif des derniers jours à la Bourse?

La flambée du prix du baril de pétrole provoquée par les événements au Moyen-Orient. L'armée égyptienne a renversé le président Morsi. Quand l'inquiétude sur l'approvisionnement en pétrole ne vient pas d'Égypte, elle provient de la Syrie, d'Iran, d'Algérie ou de la Libye. Des prix élevés de l'énergie risquent d'aggraver une reprise économique déjà anémique. Il faut aussi surveiller l'évolution de la situation en Europe. Cette semaine, la tourmente au Portugal avec les démissions des ministres des Finances et des Affaires étrangères a poussé le rendement des obligations portugaises à 8%. L'instabilité politique au Portugal, en Grèce et en Italie, conjuguée à l'Irlande qui retombe en récession et les contrecoups anti-austérité, pourraient replonger la zone euro en crise.

Quel indicateur suivez-vous le plus attentivement?

Les taux d'intérêt sont la fenêtre sur l'âme des marchés. Ils quantifient la prime de risque que les investisseurs et les institutions financières exigent pour prêter de l'argent ou pour acheter des titres de créances. En retour, les titres de créances concurrencent les actions en Bourse. Les taux ont donc un impact majeur sur les décisions de placement. Ils sont l'élément le plus important pour déterminer le coût du capital d'une entreprise. En temps normal, les taux peuvent agir comme de bons indicateurs avancés pour saisir la direction que les marchés vont emprunter. Maintenant que les taux sont au plancher, ce qui est intéressant, c'est de savoir pourquoi ils le sont, pour combien de temps et ce qui va arriver quand les mesures de détente quantitative vont prendre fin. Nous en avons eu une idée récemment quand Bernanke a laissé entendre que la fin approchait. Le marché a eu une réaction violente parce que ça implique que les taux vont recommencer à monter.

Que feriez-vous avec plusieurs milliers de dollars à investir?

Je vais interpréter cette question comme celle d'une personne qui vient de gagner au loto ou qui vient d'obtenir un héritage. Quelqu'un a déjà demandé à John Templeton quel est le meilleur moment pour investir. Sa réponse fut «quand vous avez de l'argent». C'est également ma réponse. Investissez quand vous avez de l'argent et vendez quand vous avez besoin d'argent. Ma réponse est toutefois un peu différente ici, car on parle d'une grosse somme d'argent. Puisqu'il y a beaucoup d'incertitude dans le monde géopolitique et financier, je suggère de conserver votre argent comptant encore quelques mois. La perte d'opportunité est faible comparativement à la possibilité d'assister à un important repli des marchés.

Quel placement évitez-vous à tout prix?

Si vous acceptez le fait que les marchés sont au moins modérément efficients, il y a rarement un secteur ou une catégorie d'actifs à éviter. Ça ne veut cependant pas dire qu'il n'y a pas de pièges. Ce qu'il faut éviter à tout prix, ce sont les deux «F». Les frais élevés et la fraude. Les frais raisonnables sont inévitables pour presque tous les investisseurs et sont la source de mon salaire. Notre industrie est par contre remplie de produits et services adossés à des frais qui ne laissent presque aucune chance aux investisseurs de gagner de l'argent. Nos grandes banques mènent la charge et sont des experts pour cacher les frais. Seuls des professionnels savent vraiment s'y retrouver. La fraude est aussi souvent bien déguisée. N'acceptez des conseils que de gens qui ont une longue feuille de route.

Qu'est-ce que les marchés sous-estiment le plus?

En raison notamment de la prolifération des gros fonds communs, des fonds négociés en Bourse et des transactions à haute fréquence, les titres des grosses capitalisations (en particulier aux États-Unis), sont très surveillés et pour la majorité sur-achetés. Ces grosses capitalisations sont les seuls placements que les gros fonds communs peuvent acheter pour avoir un impact sur leur performance. Il y a aujourd'hui des centaines de firmes et de fonds avec plus de 50 milliards en actifs sous gestion. Quand j'ai commencé dans le domaine il y a 21 ans, il y en avait une douzaine. Pour qu'un investissement soit significatif pour un fonds, il doit représenter au moins 2% de son actif total. Par conséquent, les titres des petites et moyennes capitalisations (en particulier à l'extérieur des États-Unis) sont sous-achetés et plus susceptibles d'offrir un meilleur rendement.

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Ken Lester est président et gestionnaire de portefeuille de Gestion d'actifs Lester. Il est aussi professeur auxiliaire à l'Université McGill où il donne le cours «Applied Investments» à la Faculté de gestion et est directeur des placements pour Gestion de capitaux Desautels, une société créée à l'Université McGill, qui permet aux étudiants de gérer des fonds d'actions et des titres à revenu fixe.