Alors que la saison des déménagements vient de débuter, savez-vous à qui vous confierez vos précieuses possessions? Chaque année, des consommateurs sont victimes de déménageurs malhonnêtes, qui gonflent leurs factures et menacent de garder les meubles s'ils ne sont pas payés. D'autres disparaissent dans la nature, pour éviter d'affronter les recours des consommateurs.

Rançonnés par leur déménageur 

Des déménageurs sans scrupules ont trouvé une nouvelle façon d'arnaquer les consommateurs : avant de livrer les meubles d'un client à son nouveau domicile, ils présentent une facture plus élevée que prévu. Le client refuse de payer? Ils menacent alors de confisquer ses biens. Et dans certains cas, ils mettent leur menace à exécution!

Des dizaines de consommateurs floués racontent de tels déménagements cauchemardesques sur des blogues et des pages Facebook. D'autres s'adressent à la cour des petites créances pour tenter d'obtenir dédommagement, et obtiennent parfois gain de cause.

La majorité de ces clients ont reçu une facture gonflée, que ce soit à cause d'un bond du taux horaire, d'employés qui prennent plus de temps ou d'« extras » ajoutés en cours de route. Sans oublier les retards et les dommages aux meubles, que des déménageurs refusent de payer.

«Ç'a été un vrai cauchemar», raconte Lise Préville, femme de 72 ans de La Prairie, en parlant de son déménagement d'il y a trois ans. «Tous mes meubles ont été endommagés, ils ont même cassé l'écran de ma télé.»

À leur arrivée, les déménageurs l'ont informée de surcharges pour les pièces plus lourdes, comme un canapé-lit ou une laveuse, même s'il ne s'agit pas de meubles hors-normes. Des frais imprévus ont également été ajoutés pour l'essence. « Ils voulaient que je règle la facture avant de décharger les meubles, dit Mme Préville. Quand j'ai protesté, ils m'ont dit qu'ils ne livraient pas mes affaires si je ne payais pas. Je me sentais prise en otage. »

Mme Préville a poursuivi l'entreprise, Déménagement Alain Tremblay, à la cour des petites créances. Le juge lui a donné raison l'année dernière : il a condamné le déménageur à lui verser 1330 $ pour des frais abusifs et des meubles brisés. Malheureusement, elle n'a jamais vu la couleur de son argent, même si elle a fait appel à une agence de recouvrement. L'entreprise, qui faisait aussi affaire sous le nom de Déménagement Diplomate, a cessé ses activités en raison de problèmes financiers. Au cours des cinq dernières années, elle a fait l'objet d'une douzaine de poursuites aux petites créances, qu'elle a toutes perdues. Ses camions ont été repris par une nouvelle entreprise, qui s'appelle aussi Déménagement Diplomate, dont on peut voir les publicités à la télé et à la radio. Son propriétaire, René Pelletier, affirme n'avoir aucun lien avec l'ancienne firme.

Plusieurs consommateurs ont vécu des mésaventures similaires. Des exemples? Une femme de Gatineau a dû argumenter en pleine rue avec les déménageurs qui s'apprêtaient à confisquer ses meubles, parce qu'elle voulait être dédommagée pour sa sécheuse brisée. Les biens d'une autre ont été déchargés sur le trottoir devant son appartement montréalais parce qu'elle s'offusquait des frais imprévus qui s'additionnaient, après plusieurs heures de retard des déménageurs. Un autre a dû payer un déménagement plus long parce que les déménageurs sont arrivés avec un camion trop petit et ont fait deux voyages au lieu d'un seul.

L'Office de protection du consommateur (OPC) dénonce ces pratiques. « Les déménageurs doivent respecter le prix donné au client au moment de l'entente, explique le porte-parole de l'organisme, Jean-Jacques Préaux. Ce n'est pas une estimation, c'est un contrat, c'est le prix maximal que le déménageur peut demander au consommateur. »

Les entreprises n'ont pas non plus le droit de garder les meubles en otages, ajoute M. Préaux, qui juge déplorable un tel chantage. «C'est sûr que s'il y a trois déménageurs de 6 pieds et 250 livres devant vous qui menacent de partir avec votre chargement, vous allez payer», dit-il.

Les déménageurs soutiennent qu'ils n'ont parfois pas le choix d'agir ainsi. «Une fois les meubles déchargés, certains ne veulent pas payer, même s'ils connaissent le montant de la facture dès le départ», raconte Michel Brault, copropriétaire de Jean-Guy Brault Déménagement, à Laval.

«Parfois, des clients ne donnent pas toutes les informations en faisant la réservation, par exemple s'il y a un piano ou un coffre-fort, souligne René Pelletier, de Déménagement Diplomate. On doit alors ajuster la facture.»

À l'Association du camionnage du Québec, qui compte une douzaine de déménageurs parmi ses membres, le PDG Marc Cadieux soutient que des imprévus peuvent justifier des frais supplémentaires. Et il rappelle que « le Code civil prévoit qu'un commerçant peut retenir un bien appartenant à un consommateur jusqu'au paiement d'une créance. »

«Mais encore faut-il qu'il y ait une créance, rétorque Jean-Jacques Préaux. Si le déménageur demande 200 $ de plus que ce qui était convenu, ce n'est pas une créance.» Quant aux suppléments, ils devraient être très rares, selon lui. «Si le déménageur connaît son métier, il doit pouvoir évaluer le travail requis, en posant les bonnes questions avant de donner son prix.»

Parmi les frais farfelus que des consommateurs ont vus sur leur facture : une hausse en raison du prix du carburant, une majoration de 13 % pour les frais d'utilisation du camion et une « taxe » de 2 % pour l'utilisation du système routier. «L'entreprise n'a pas à facturer au consommateur ses frais d'exploitation, dit le porte-parole de l'OPC. Ils doivent être inclus dans le tarif de base.»

Des déménageurs fantômes

Un beau site web annonçant des bas prix, un numéro de téléphone qui mène à un centre d'appels, des sous-traitants équipés de camions et quelques hommes musclés: c'est tout ce qu'il faut pour se lancer dans le déménagement résidentiel, en ayant l'air sérieux. Malheureusement, de nombreux consommateurs ont appris à leurs dépens que, sous des dehors légitimes, certains déménageurs sont des escrocs.

«Pendant la période la plus occupée, plusieurs s'improvisent déménageurs avec un camion et un téléphone, mais sans les permis nécessaires, souligne Marc Cadieux, PDG de l'Association du camionnage du Québec. En cas de problème, les consommateurs n'ont aucun recours.»

Une vingtaine de clients de Déménagement Ducharme ont l'impression de s'être fait avoir par un tel stratagème. L'un d'eux, Maxime Gallant-Hamel, a créé une page Facebook à la suite de ses déboires avec l'entreprise (retard, surfacturation, menace de confisquer les biens, bris de meubles). Rapidement, la page a gagné la participation de plusieurs consommateurs qui ont vécu les mêmes mésaventures et voudraient intenter des recours contre le déménageur. Mais celui-ci semble avoir fermé boutique, du moins sous le nom de Déménagement Ducharme : son site web a disparu de la Toile et son numéro de téléphone ne fonctionne plus.

Des clients qui voulaient contester des frais à la cour des petites créances ont abandonné leurs démarches parce qu'ils ne pouvaient pas retrouver les dirigeants de l'entreprise. «Pas moyen de poursuivre, car l'entreprise fournissait quatre mauvaises adresses, raconte Marie-Ève Giguère. Mes mises en demeure ont été retournées. C'est tellement frustrant!»

Certains clients ont réussi à faire annuler le paiement à l'entreprise par l'émetteur de leur carte de crédit, en expliquant qu'ils n'avaient pas eu droit aux services promis, notamment une assurance pour les bris.

Déménagement Ducharme a fait l'objet de 11 plaintes officielles en deux ans à l'Office de protection du consommateur - le plus grand nombre dans ce domaine. L'organisme lui a envoyé plusieurs avis d'infraction.

Il ne semble pas s'agir d'une pratique isolée dans le marché du déménagement. Un jeune homme, qui veut conserver l'anonymat, raconte qu'il a brièvement travaillé dans le domaine, sans savoir le nom de la société qui l'embauchait. «On devait exiger que le client paie comptant, en disant que la machine à carte de crédit était brisée, confie-t-il. Des frais bidon, comme une taxe de l'association des déménageurs, du kilométrage ou des taxes qui n'étaient jamais déclarées, étaient ensuite ajoutés à la facture, remise au client avant que l'on décharge ses électroménagers. Ça mettait de la pression pour qu'il paie, surtout en présence de trois jeunes au physique imposant.»

Les déménageurs étaient payés en comptant en soirée, souvent dans un bar du boulevard Saint-Laurent, par un prénommé Éric, dit-il.

D'autres consommateurs ont eu les mêmes problèmes avec une entreprise appelée Déménagement Bouchard. «Je travaille dans le domaine du marketing et des médias sociaux, et j'ai été bernée par leur site web, qui était très professionnel», raconte Sylvie Bédard, qui a subi retards, bris et frais cachés lors de son déménagement, l'an dernier. «Leur but était de faire augmenter la facture, de se faire payer le plus vite possible et de déguerpir sans assumer les conséquences de leur incompétence. Une fois que notre ménage est dans leur camion, on est pris en otage, on dépend d'eux.»

Les multiples tentatives de Mme Bouchard pour se plaindre à l'entreprise sont restées vaines: le téléphone a été débranché, le site web n'existe plus et l'adresse donnée est une boîte postale.

Après avoir partagé ses déboires sur son blogue, Mme Bédard a reçu une quinzaine de commentaires de clients qui ont vécu des problèmes parfois pires que les siens avec Déménagement Bouchard. «Avant de faire affaire avec une entreprise, il faut s'assurer qu'elle a une adresse réelle et toujours demander un contrat écrit», souligne Sylvie Bonin, conseillère à l'ACEF de l'Estrie, qui s'est intéressé au secteur du déménagement après plusieurs plaintes de consommateurs de sa région. «Quand le prix proposé est trop bas, posez-vous des questions», ajoute le PDG l'Association du camionnage du Québec, Marc Cadieux.

Quand le déménagement tourne au cauchemar

La lecture des poursuites contre des déménageurs à la cour des petites créances risque de vous donner le goût de conserver le même logis jusqu'à la fin de vos jours! Elles dévoilent les pratiques discutables de certaines entreprises.

«Quand un problème survient le jour du déménagement, le consommateur est parfois coincé dans le temps et n'a pas de solution de rechange, déplore Sylvie Bonin, conseillère à l'ACEF de l'Estrie. Mais s'il y a des clauses abusives au contrat, on peut poursuivre l'entreprise, même si on a signé.»

Ainsi, un juge des petites créances a affirmé, dans une décision de 2012, que même si un consommateur signe une clause indiquant que tous ses biens sont en bon état à la suite du déménagement, «cette clause n'a pas de valeur légale», puisqu'il n'a pas pu les examiner. Un déménageur ne pourrait donc pas se servir de ce prétexte pour rejeter la réclamation d'un client.

Dans d'autres cas, le déménageur accepte de rembourser certains dommages, qui seront payés par son assureur. Mais il demande au client d'assumer le montant de la franchise de son assurance, qui peut être de 150 à 300 $. Dans une décision rendue en mars, un juge de Gatineau a toutefois affirmé qu'une telle clause, par laquelle l'entreprise tente de se soustraire à ses responsabilités, même partiellement, viole la Loi sur la protection du consommateur.

«Si vous jugez que la somme réclamée est abusive, payez en inscrivant sur la facture la mention «sous protêt» ou «sans préjudice à mes recours», pour indiquer que vous voulez contester», recommande Jean-Jacques Préaux, de l'Office de protection du consommateur.

Voici d'autres problèmes vécus, tirés de poursuites à la suite de déménagements pénibles:

- Les déménageurs se présentent avec un camion trop petit pour transporter tout le chargement. Ils doivent faire plus d'un voyage et le client doit payer pour un plus grand nombre d'heures.

- Les employés sont inexpérimentés, blessés, malades ou soûls, et travaillent trop lentement ou sont négligents.

- Des suppléments cachés sont exigés pour déplacer un téléviseur, un miroir, un meuble lourd ou d'autres raisons, ou encore d'autres frais douteux, comme pour l'appartenance à une association, l'utilisation du réseau routier ou des fournitures, comme le ruban adhésif et les housses.

- Trois déménageurs arrivent, alors qu'on en avait demandé deux. Le taux horaire est plus élevé, mais on assure au client que ça ira plus vite, alors que ce n'est pas toujours le cas.

- Les déménageurs prennent une longue pause repas et la font payer au client.

- Les déménageurs ne se présentent pas au moment prévu, ou arrivent avec plusieurs heures ou jours de retard.

- Des objets de valeur disparaissent.

Déménager sans vous faire rouler

Où vérifier la légitimité des entreprises de déménagement:

- Toutes les sociétés doivent être inscrites au Registraire des entreprises du Québec. https://www.registreentreprises.gouv.qc.ca/fr/consulter/rechercher/instructions_recherche.aspx

- Toutes les entreprises de transport doivent avoir un permis de la Commission des transports du Québec (CTQ) et être inscrites au Registre des propriétaires et exploitants de véhicules lourds. https://www.pes.ctq.gouv.qc.ca/pes/faces/dossierclient/recherche.jsp

- Les entreprises qui ont fait l'objet d'une plainte officielle à l'Office de protection du consommateur au cours des deux dernières années sont fichées sur le site web de l'organisme. https://www.opc.gouv.qc.ca/consommateur/

- Une douzaine de déménageurs sont membres de l'Association des camionneurs du Québec, qui offre un service de médiation en cas de litige. https://www.carrefour-acq.org/grand-public/demenagement/liste-des-membres-demenageurs-de-lacq

- Vous pouvez consulter les jugements de la cour des petites créances et des autres tribunaux pour vérifier si une entreprise a été poursuivie. https://jugements.qc.ca