Les actions des pétrolières canadiennes traînent la patte en Bourse depuis des mois. Pourtant, autour des 100$US le baril, les prix du pétrole brut selon les catégories sont proches de sommets historiques.

Et les résultats financiers de ces pétrolières canadiennes sont enviables, notamment celles qui versent déjà un dividende alléchant.

D'un point de vue d'investisseur, donc, serait-il temps d'y regarder de plus près? De magasiner des titres pétroliers canadiens un peu trop affectés par ce sentiment défavorable en Bourse? Oui au magasinage un peu plus attentif, mais prudence envers les achats empressés, suggèrent les analystes et stratèges boursiers consultés par La Presse Affaires.

«Après un long épisode de «sous-performance» en Bourse, les actions des pétrolières canadiennes méritent d'être mieux surveillées. Mais avant d'en acheter, mieux vaudrait attendre que se clarifie le contexte économique et son impact sur le marché pétrolier à court terme», explique Vincent Delisle, directeur de stratégie boursière chez Capitaux Scotia.

Pourquoi cette réserve?

D'abord, après quelques trimestres d'inflation dans le marché pétrolier mondial, le sentiment est redevenu baissier pour l'avenir prévisible.

«Le marché du pétrole est focalisé sur l'économie ces temps-ci. Or, les nouvelles économiques provenant d'Europe et des États-Unis sont décevantes. L'économie américaine en particulier croît plus lentement que l'on s'attendait encore récemment», résumait hier David Greely, directeur de la recherche en énergie chez Goldman Sachs à New York.

Il a fait ce commentaire à l'agence Bloomberg alors que le principal prix du pétrole aux États-Unis, le «West Texas Intermediate», se repliait sous les 100$US le baril pour la première fois depuis février.

En parallèle, les indices de ralentissement dans les économies du monde qui consomment le plus de pétrole, incluant la Chine, se manifestent alors que les approvisionnements des principaux pays producteurs sont plus abondants que rarement auparavant.

Dans ce contexte, des analystes de l'industrie pétrolière anticipent un repli additionnel de l'ordre de 10% des principaux prix de l'or noir au cours des prochains mois. Il s'agirait d'un repli temporaire, toutefois, avant un raffermissement l'an prochain.

«Les prix du pétrole demeureront élevés pour l'avenir prévisible, en raison notamment des risques géopolitiques au Moyen-Orient et la croissance de la demande dans les économies émergentes. À court terme, cependant, on pourrait voir un léger repli motivé par la baisse anticipée de la demande dans les économies développées», notaient les analystes du bureau torontois de l'agence de notation Moody's dans un bulletin sectoriel distribué la semaine dernière.

Pour les pétrolières canadiennes, un tel scénario s'annonce défavorable envers leurs prochains résultats trimestriels.

D'autant qu'elles subissent déjà depuis plusieurs mois un écart de prix négatif sur le marché pétrolier américain, qui a atteint un niveau sans précédent.

Hier encore, cet écart cotait à 15$ US le baril, en repli après le montant de 35$ US atteint en mars.

Le baril de pétrole «Canada Western Select» cotait hier autour de 85$US le baril sur le marché américain, alors que le baril de pétrole «West Texas Intermediate» (WTI) voisinait les 100$US.

Au pire de cet écart défavorable, en mars, le baril de pétrole «Canada Western Select» se vendait autour de 80$US, alors que le baril de WTI cotait autour de 115$US.

Pourquoi un tel écart? C'est un problème de quantité et de qualité du pétrole canadien sur le marché nord-américain, résument les analystes.

Pour la qualité, le pétrole canadien qui provient des sables bitumineux est parmi les plus lourds sur le marché. Il est plus compliqué et plus coûteux à raffiner en produits commercialisables.

Par conséquent, ce pétrole lourd a une perception de valeur moindre parmi les raffineurs comparativement aux autres types de pétrole brut, comme le WTI.

Quant au problème de quantité, c'est un élément conjoncturel qui se résume en quelques mots: il y a un surplus de pétrole brut sur le marché nord-américain, toutes catégories confondues.

«Si les prix pétroliers canadiens sont anormalement éloignés de ceux du WTI, c'est en partie dû à un excédent d'offre à certains carrefours clés (de pipelines et réservoirs). Ces goulots d'étranglement devraient durer au moins jusqu'à l'été», résumaient les économistes Stéfane Marion et Marco Lettieri de la Banque Nationale dans leur plus récent «Mensuel boursier».

Pour les analystes de Moody's à Toronto, cependant, cet écart de prix pourrait durer encore plusieurs trimestres.

Peut-être même jusqu'à en 2014, jusqu'à la mise en service de nouveaux pipelines entre l'Ouest canadien et les grandes raffineries du Texas.

«Ces nouveaux pipelines aideront à réduire l'important escompte sur le prix du pétrole lourd dont souffrent plusieurs producteurs canadiens», anticipent les analystes de Moody's.

C'est dans ce contexte que, de l'avis de stratèges boursiers, les investisseurs intéressés au secteur pétrolier canadien devraient rehausser leur surveillance des occasions d'achat qui pourraient émerger au cours des prochains mois.

Chez Capitaux Scotia, Vincent Delisle suggère une attention particulière envers les actions d'entreprises de grande capitalisation, qui ont déjà un dividende fiable et avantageux. Ils mentionnent notamment les pétrolières intégrées comme l'Impériale Esso et Husky Energy.

Parmi les facteurs d'attrait, les actions de ces pétrolières s'échangent à un multiple cours/bénéfice inférieur de quelques points à ceux des principaux indices de référence.

À la Financière Banque Nationale, dans une note distribuée il y a quelques jours, l'analyste quantitatif Dennis Mark mettait en évidence trois entreprises - les pétrolières Suncor et Talisman Energy, la gazière Encana - pour leur potentiel de rebond après des mois de léthargie en Bourse.

À son avis, les récents mouvements de la valeur et du volume de transactions des actions de ces entreprises suggèrent un «regain d'intérêt» de la part des investisseurs.

Toutefois, ces titres demeurent en-deça de leur «niveau de résistance supérieur» établis à partir de leurs cours moyens depuis plusieurs mois.

«Le fardeau de la preuve est du côté des «haussiers» en Bourse, avertit Dennis Mark.