Bernard a toujours été locataire. Il habite depuis une dizaine d'années le même appartement du Plateau Mont-Royal, au cachet vieillot. Mais, en voyant sa cinquantaine poindre à l'horizon, il n'apprécie plus autant le charme des vieilles boiseries et des planchers qui craquent. «J'ai envie d'un logement plus moderne et plus luxueux, dit-il. Je voudrais être propriétaire pour aménager mon environnement à mon goût.»

Par contre, il sait que, financièrement, l'achat d'une propriété n'est peut-être pas une bonne décision pour lui. Pour ce célibataire, travailleur autonome dans le domaine de l'informatique, l'épargne n'a jamais été une priorité. Il travaille quatre jours par semaine et dépense à peu près tout ce qu'il gagne. Mais il est facilement capable de limiter ses dépenses pour économiser si nécessaire: en prévision de son projet d'achat de condo, il a réussi à épargner 28 000$ au cours des sept derniers mois!

Le planificateur financier Pierre D'Argenzio, de RBC, a examiné les conséquences financières du projet de Bernard. Son verdict: il s'appauvrirait en achetant un condo. «Devenir propriétaire n'est pas toujours enrichissant, explique-t-il. Dans certains cas, la location est une meilleure option. Elle offre plus de flexibilité et permet d'épargner plus pour la retraite.»

Bernard envisage l'achat d'un condo d'environ 330 000$, en 2013. Il lui reste encore 15 mois pour épargner avant son achat, et il évalue qu'il pourrait amasser une somme supplémentaire de 30 000$ au cours de cette période (2000$ par mois). Il aurait donc 60 000$ d'économies à consacrer à sa mise de fonds, plus 25 000$ provenant de son REER, par l'entremise du RAP (régime d'accession à la propriété), pour un total de 85 000$.

Pierre D'Argenzio lui recommande de faire une mise de fonds correspondant à 20% du coût d'achat, soir 66 000$, pour éviter de devoir payer une assurance hypothécaire. Il devrait aussi prévoir 5250$ pour les frais de clôture (notaire, «taxe de bienvenue», factures de services publics, etc.) et rembourser sa marge de crédit de 7000$. Il lui resterait alors 6750$ de liquidités. Le planificateur financier souligne toutefois que l'achat d'une propriété s'accompagne toujours de dépenses, comme des frais de déménagement et l'achat de meubles et d'accessoires. Les 6750$ restants risquent d'y passer au complet, ce qui mettrait le compte en banque de Bernard à sec.

Il se retrouverait avec une hypothèque de 264 000$ à rembourser. En supposant une période d'amortissement de 20 ans et un taux hypothécaire de 5,5%, ses paiements mensuels seraient de 1786$, soit 786$ de plus que son loyer actuel. Il faut ajouter à cela les impôts fonciers et la taxe scolaire ainsi que les frais de condo et de chauffage, que le planificateur financier évalue à 564$ par mois. Si ses autres dépenses demeurent au même niveau, la capacité d'épargne de Bernard serait réduite à 650$ par mois. «Considérant qu'il est travailleur autonome, célibataire et qu'il n'a aucune assurance invalidité, il se retrouvera sans revenu s'il ne peut pas travailler à cause d'un problème de santé, souligne M. D'Argenzio. Il devrait donc se constituer un fonds d'urgence couvrant au minimum cinq mois de dépenses, soit environ 20 000$. Au rythme actuel, il lui faudrait trois ans pour y arriver.»

Les revenus de retraite de Bernard souffriraient de la diminution de sa capacité d'épargne. Le consultant en informatique aimerait réduire sa semaine de travail à trois jours à partir de 60 ans, pour ensuite prendre sa retraite à 67 ans, au moment où il aura droit à ses prestations de la Sécurité de la vieillesse, tel qu'annoncé dans le dernier budget fédéral. Selon les projections du planificateur financier, Bernard pourra compter sur un revenu mensuel de 1665$ à la retraite. Or, ses dépenses seront de 2800$ par mois. Il manque 1135$.

Pierre D'Argenzio propose une solution: vendre le condo au 70e anniversaire de Bernard, alors que l'hypothèque sera remboursée au complet. En supposant qu'il en tire alors un prix de 450 000$ et que cette somme est investie, Bernard pourrait compter sur des revenus mensuels de 2350$ à la retraite.

Mais ses vieux jours seraient encore plus confortables s'il décidait de ne pas acheter de condo. Bernard pourrait trouver un logement plus luxueux, correspondant à ses désirs, en payant un loyer de 1540$ par mois. Il conserverait ainsi ses REER et leur rendement, en plus de préserver ses économies. Il pourrait rembourser sa marge de crédit et payer les frais de déménagement, tout en conservant 20 000$ en épargne. Il aurait donc immédiatement un fond d'urgence et pourrait aussi investir 5000$ par année dans un compte d'épargne libre d'impôt (CELI).

En choisissant cette option, sa capacité d'épargne mensuelle serait d'environ 1400$. S'il utilise cette épargne en vue de sa retraite, il aurait plus tard un revenu de 2600$ par mois, ce qui est plus élevé que s'il avait acheté un condo et équivaut sensiblement à son coût de vie actuel.

Pierre D'Argenzio souligne aussi que l'option de la location offre une meilleure flexibilité à Bernard. «Si, après un certain temps, il réalise que ses coûts de logement sont trop élevés, il est facile de déménager dans un appartement plus abordable, dit-il. Alors que s'il est propriétaire d'un condo, il est beaucoup plus compliqué et coûteux de s'en départir. S'il est obligé de vendre en raison de difficultés financières, il n'obtiendra pas nécessairement un prix intéressant.»