Carole aimerait revenir à Montréal. Depuis 2005, elle habite seule dans l'Est du Québec. Elle y détient une petite maison jumelée, entièrement payée, d'une valeur marchande d'environ 130 000 $.

Elle travaille depuis 25 ans dans la fonction publique et touche un salaire de près de 50 000 $. « Je suis déménagée pour une promotion qui ne s'est pas concrétisée, narre-t-elle. Actuellement, mes chances de promotion me semblent nulles... et j'aimerais tenter ma chance du côté du privé. »

Pour cette raison, et pour se rapprocher de sa famille, elle songe à s'installer sur la rive Nord.

Mais elle pèse les risques...

« Est-ce que je serai en mesure de me racheter une maison, seule, et envisager qu'elle soit payée d'ici ma retraite ? » demande-t-elle.

Et encore : « Me sentant plafonnée dans mon emploi actuel, si je tente le saut dans le privé, que sera l'impact d'un tel changement, à mon âge ? Autrement dit, qu'est-ce que je vais perdre par rapport à mon régime de retraite actuel ? »

Les risques de la grande ville

Raphaël Hainault, planificateur financier à la Financière des professionnels, s'est d'abord attaqué à la question de la maison.

S'appuyant sur les données de l'Institut de la statistique du Québec, il relève que le coût moyen d'une résidence familiale sur la rive Nord est 70 % plus élevé que dans la région qu'habite Carole. L'écart s'établit à 37 % pour les condominiums.

En extrapolant, il calcule qu'une propriété similaire à la maison actuelle coûterait entre 180 000 $ et 220 000 $. L'écart de 50 000 $ à 90 000 $ avec la valeur de revente de celle-ci ferait l'objet d'un prêt hypothécaire. Avec un taux d'intérêt de 4 % et un amortissement sur dix ans pour liquider l'emprunt avant la retraite - comme Carole le désire -, les paiements s'établiraient entre 6075 $ et 10 935 $ par année.

Ces montants excèdent l'épargne annuelle de Carole, qui avoisine 5000 $, constate Raphaël Hainault. « Par conséquent, en présumant d'un emploi au même salaire, elle devra réduire son coût de la vie », conclut-il.

Et il faut encore y ajouter des impôts fonciers supérieurs et des frais de transport plus élevés.

Passons au régime de retraite. Carole cumule 25 ans de service au gouvernement, ce qui place sa pleine retraite à dix ans de distance. À 62 ans, elle recevrait donc une rente équivalente à 70 % de son salaire (plus précisément 70 % de la moyenne de ses cinq meilleures années). À 60 ans, la proportion serait de 66 %. Si elle quittait maintenant son emploi, elle toucherait - à 65 ans ! - une rente qui ne représenterait que 50 % de son salaire actuel indexé. Carole sacrifierait en outre la possibilité que de futures hausses de salaires dues à des promotions viennent encore améliorer la base de calcul.

« Donc, l'impact de cesser de cotiser au régime actuel est immense puisque la rente sera calculée avec un nombre d'années de service moindre, un salaire moyen moindre et une pénalité actuarielle », observe notre planificateur.

Si elle conserve son emploi et en supposant une croissance de salaire de 2 % par année, Carole pourra prendre sa retraite à 60 ans avec une rente d'environ 38 280 $. Si elle cesse maintenant de contribuer au régime, sa rente, au même âge, ne vaudra que 24 400 $. La différence de plus de 13 880 $ équivaut à près du tiers de son revenu actuel.

« Je crois donc que compte tenu des efforts déployés depuis 25 ans, il vaut la peine de songer sérieusement à prendre son mal en patience quelques années de plus », constate Raphaël Hainault.

Il énumère quelques autres avantages de l'emploi actuel de Carole : vacances correspondant à 25 ans de service, congés de maladie, sécurité d'emploi, régime collectif d'assurances. Toutes choses difficiles à réunir chez un nouvel employeur dans le secteur privé.

En outre, il est fort possible qu'un nouvel emploi dans la région de Montréal exige une heure de transport par jour, alors qu'elle y consacre présentement une heure par semaine ! « C'est plus de 400 heures de différence par année, indique notre conseiller. Cela a un prix et justifie certainement les quelques heures prises occasionnellement pour aller visiter la famille. »

Et enfin, elle perdrait le bénéfice des 5000 $ qu'elle épargne présentement chaque année, et qui ajouteront de la souplesse à son budget de retraite.

Il n'est pas totalement impossible que tous les astres s'alignent favorablement pour matérialiser sur la rive Nord une maison à prix raisonnable et un emploi à proximité, mieux rémunéré et doté de généreux bénéfices sociaux.

« Mais le risque est énorme que l'un de ces facteurs ne se concrétise pas et mette en péril toute sa retraite », note Raphaël Hainault.

Pourquoi ne pas attendre la retraite pour revenir à Montréal sous de meilleurs auspices ?