Les investisseurs sont tiraillés entre les signes indéniables de reprise économique et la peur que la crise des finances publiques en Europe contamine l'économie et le système financiers de la planète.

Après une formidable remontée boursière, ce n'était qu'une question de temps avant que les marchés piquent du nez. La crise des finances publiques européennes a mis le feu aux poudres, en mai.

Le mois dernier, la Bourse canadienne a flanché de 3,7%, son pire rendement mensuel depuis janvier dernier, alors que l'indice S&P/TSX composé avait fondu de 5,6%. Et les premiers jours de juin n'ont guère été plus cléments.

«Les investisseurs ont perdu tout ce qu'ils avaient gagné depuis le début de l'année», constate Denis Durand, associé principal chez Jarislowsky Fraser. En effet, la Bourse se retrouve pratiquement au même point que le 1er janvier, avec un rendement quasi nul de 0,1% (1,2% en incluant le versement des dividendes).

À travers le monde, la situation est bien pire. Aux États-Unis et sur les marchés internationaux (Europe, Asie pacifique), les replis de 8% en mai ont replongé les investisseurs complètement dans le rouge en 2010 (voir tableau).

Que les détenteurs de fonds communs se le tiennent pour dit : toutes les catégories affichent des rendements négatifs, en mai, à l'exception des fonds de titres à revenus fixes, comme le démontrent les données préliminaires de Morningstar Canada.

D'ailleurs, la turbulence a incité les Canadiens inquiets à retirer environ 1,25 milliard de l'industrie des fonds, en mai dernier, évalue l'Institut de fonds d'investissement du Canada (IFIC).

Le bateau reste à flot

Encore marqués par la crise du crédit, les investisseurs prennent au très sérieux la crise européenne. On ne peut pas les blâmer : le risque est réel. Mais il ne faut pas pousser la comparaison trop loin.

Il est vrai que les Bourses ont connu une volatilité digne des débuts de la crise du crédit en 2008. Mais rien ne suggère un stress financier comme celui enregistré lors la faillite de Lehman Brothers, alors que les banques craignaient même de se prêter entre-elles.

Et surtout, le contexte économique est très différent. À ce moment-là, on entrait en récession, alors qu'aujourd'hui, on entame une reprise économique. Au début d'un cycle, on peut parer les risques plus aisément. «Lorsque la marée monte, le bateau flotte plus facilement que lorsque la marée baisse. Et selon moi, la marée est encore en train de monter en ce moment», illustre Stéfane Marion, économiste en chef et stratège à la Financière Banque Nationale.

«Les forces cycliques demeurent très favorables en Amérique du Nord», assure-t-il. L'inflation est contenue. Les taux d'intérêt restent faibles. La vague de création d'emplois aux États-Unis ne fait que commencer.

De plus, les entreprises affichent de solides bénéfices. «Au dernier trimestre, 75% des sociétés ont dévoilé des bénéfices supérieurs aux attentes des analystes», dit M. Durand. Les sociétés avaient réduit leurs dépenses pour passer à travers la récession. Dans un contexte où les augmentations de salaire sont contenues et les coûts de production sont stables, la moindre augmentation des volumes de production peut faire rebondir leurs profits.

Des aubaines estivales

«La correction du mois dernier était un repli classique au milieu d'un cycle économique», estime Martin Roberge, stratège quantitatif chez Valeurs mobilières Dundee. À son avis, la Bourse pourrait baisser de 5% cet été, à cause des turbulences en Europe et en Chine. Le cas échéant, il faudra en profiter pour racheter des actions, plutôt que de succomber au pessimisme.

«Les actions sont redevenues très bon marché par rapport aux obligations», souligne M. Roberge. Pour le constater, il suffit de comparer le rendement des obligations de sociétés (environ 6%) au rendement du bénéfice des sociétés (environ 8%). Ce dernier rendement correspond aux bénéfices par action, divisés par le cours de l'action, le tout exprimé en pourcentage. En fait, c'est l'inverse du fameux ratio cours/bénéfices.

Présentement, l'écart est de 2%, ce qui est très élevé. Si l'indice S&P500 de la Bourse américaine retombait à son niveau de févier dernier (1050 points), l'écart atteindrait 2,25%, autant qu'en novembre 2008, en pleine crise du crédit.

«Pourquoi étirer ça jusque-là, demande M. Roberge, alors que le contexte économique est très différent?»