Alice a eu 71 ans. Ce n'est pas un anniversaire quelconque : il signale le moment où elle doit convertir son REER en fonds enregistré de revenu de retraite (FERR), et entreprendre les retraits minimaux obligatoires.

Ce fut l'occasion d'une mise au point sur sa situation financière.

Alice vit seule depuis le décès de son mari, il y a huit ans. Heureusement, sa situation financière est saine. Elle touche une rente de conjoint survivant de l'ancien employeur de son mari, à hauteur de 1736 $ par mois. S'y ajoutent 642 $ par mois de la RRQ, et 516 $ de la Sécurité de la vieillesse.

« Mon assureur vie me conseille fortement d'investir 100 000 $ en rente viagère en me disant que les taux seraient plus avantageux (7 à 8 %) que ceux de mon portefeuille actuel (environ 4%), relate-t-elle. Il me dit aussi que sur le plan de l'impôt, il y a certains avantages. »

Son courtier est d'opinion opposée. Sans surprise, elle balance entre les deux.

Une troisième opinion

Bonne occasion pour une réflexion sur les rentes viagères. Raphaël Hainault, planificateur au Fonds des professionnels, s'en est chargé. Pour fins de comparaison, il a d'abord obtenu une cotation pour une rente viagère achetée avec un capital de 100 000 $, pour une femme de 71 ans en bonne santé. La rente s'établit à 728 $ par mois si les paiements sont garantis pour les cinq premières années, même en cas de décès prématuré. Une rente non garantie, qui cesse au décès, verserait 735 $ par mois.

Une rente viagère procurerait-elle vraiment des avantages fiscaux à Alice ? Il est vrai que si elle est achetée avec des capitaux hors REER, une rente prescrite – dont l'impôt est étalé également sur toute la durée de la rente – peut offrir certains avantages. Mais Alice achèterait sa rente avec des fonds enregistrés. « La totalité des paiements de la rente seront donc imposables de toute façon », fait valoir notre planificateur.

Par ailleurs, une rente viagère de 735 $, soit 8820 $ par année, équivaut à 8,2 % des 100 000 $ versés pour son achat. Ce taux est nettement supérieur au taux de retrait minimal d'un FERR, qui à 71 ans s'établit à 7,38 %. « Il en résulte donc une imposition supplémentaire, surtout dans une situation où la cliente n'a pas nécessairement besoin de ces revenus supplémentaires », soulève M. Hainault.

Ce serait un inconvénient négligeable si la rente procurait un rendement supérieur aux placements d'Alice, comme le soutient son conseiller en sécurité financière. Est-ce bien le cas ?

Il est vrai que l'assureur vie, en répartissant le risque et en divertissant ses investissements, peut offrir un rendement intéressant... « à la condition que la personne décède selon son espérance de vie », précise Raphaël Hainault.

Avec une rente viagère de 735 $ par mois, il faudra un peu plus de 11 ans pour qu'Alice récupère les 100 000 $ qu'elle a versés. Pour obtenir un rendement équivalent à celui de ses placements actuels, Alice devrait vivre jusqu'à 86 ou 87 ans.

« Puisque les antécédents familiaux d'Alice ne sont pas des plus reluisants au niveau de l'espérance de vie, le rendement de sa rente viagère pourrait très bien être en deçà du rendement de ses placements actuels », souligne notre planificateur.

Il rappelle qu'une rente viagère permet de transférer à l'assureur le risque lié aux placements. Mais puisque le portefeuille d'Alice est très prudemment investi, elle est déjà peu sensible aux aléas du marché. De plus, ses actifs actuels sont amplement suffisants pour lui permettre de maintenir son train de vie jusqu'à la fin de ses jours.

Enfin, près de la moitié des revenus actuels d'Alice proviennent de régimes de rente viagers : RRQ, PSV, rente de retraite de conjoint survivant. « Une grande partie de ses revenus est donc déjà protégée, commente M. Hainault. Par conséquent, il n'y a pas de nécessité de protéger davantage son coût de vie. »

LES DONNÉES

Le conseiller d'Alice lui recommande de consacrer 100 000 $ de ses épargnes à l'achat d'une rente viagère. Il fait valoir des avantages fiscaux et un rendement plus avantageux que ses placements actuels.

« Mon courtier diffère un peu d'opinion, voilà pourquoi j'aimerais connaitre votre analyse. »

Alice

Alice, 71 ans

Rente de conjoint survivant : 1736 $ par mois

RRQ : 642 $/ mois

PSV : 516 $ par mois

REER : 735 000 $

Propriété : 345 000 $, libre d'hypothèque

Ni les avantages fiscaux ni le rendement espéré de la rente viagère, ni la situation financière d'Alice ne justifient de prendre cette décision. Il faudrait qu'elle décède à 86 ou 87 ans pour que le rendement de cette rente équivaille au rendement de ses placements.

« Notez que des objectifs, une situation et des besoins différents auraient pu conduire à une autre conclusion. »

Raphaël Hainault, planificateur financier et fiscaliste, Groupe Fonds des professionnels