Peu de poursuites, peu de condamnations, et peu d’informations disponibles sur les enquêtes. Le Canada a encore beaucoup de chemin à faire pour devenir exemplaire dans la lutte contre la corruption à l’étranger, selon le rapport que viennent de publier des experts internationaux.

Des auditeurs de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) surveillent comment les membres se plient à la Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales. Chaque pays signataire fait l’objet de rapports sur la façon dont il s’y conforme.

Dans le rapport qu’il vient de rendre sur le Canada, le Groupe de travail de l’OCDE sur la corruption salue les efforts du pays pour mettre à jour les lois sur la corruption pour faciliter les poursuites et permettre les accords de réparation. Ces ententes permettent aux entreprises d’éviter un procès criminel en reconnaissant ses torts, en faisant le ménage et en payant une pénalité.

Mais après les fleurs, le pot vient très vite.

Peu de poursuites et de condamnations

Depuis que la Chambre des communes a adopté la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers (LCAPE) en 1998, seulement neuf cas ont fait l’objet d’accusations au Canada, déplorent les experts de l’OCDE.

Les dossiers qui finissent par aboutir sont encore plus rares, note leur rapport : « Seulement deux individus et quatre compagnies ont été sanctionnés. »

L’utilisation de l’infraction de corruption transnationale demeure extrêmement faible, 25 ans après l’adoption de la Loi, compte tenu de la taille de l’économie canadienne et des secteurs industriels dans lesquels évoluent ses compagnies.

Extrait du rapport du Groupe de travail de l’OCDE sur la corruption

Les experts notent qu’entre 2018 et 2022, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a entamé 31 nouvelles enquêtes en vertu de la LCAPE… mais elle en a également fermé 33, en grande majorité sans aucune accusation.

Lourd fardeau

Le groupe de l’OCDE soulève également des préoccupations qu’ont aussi maintes fois évoquées les partenaires du Canada dans la lutte internationale contre le crime organisé : un « niveau de preuve requis indûment élevé » en matière de corruption transnationale.

Les experts rappellent par exemple que des dirigeants de SNC-Lavalin ont obtenu un acquittement en faisant exclure la preuve d’écoute électronique contre eux, dans le cadre d’une poursuite pour corruption au Bangladesh, en 2017.

Le Groupe de travail montre aussi du doigt les fameux arrêts Jordan pour délais déraisonnables, qui ont permis à l’ancien vice-président aux finances de SNC-Lavalin Stéphane Roy d’obtenir un arrêt du processus judiciaire en 2019. Il était accusé de fraude, de corruption à l’étranger et d’avoir violé des sanctions des Nations unies contre la Libye, en payant le fils du dictateur Mouammar Kadhafi.

Un dénouement qui fait craindre le pire aux experts de l’OCDE quant à un autre procès québécois : l’affaire Ultra Electronics aux Philippines. Plus d’un an après les accusations, « aucune date n’est encore connue pour le procès », soulignent-ils.

Le ministère public reproche au fondateur de l’entreprise et à trois autres ex-employés d’avoir corrompu des agents publics dans l’archipel asiatique pour vendre un système d’analyse d’impacts d’armes à feu.

Agences inefficaces

Les principales critiques du rapport vont à la police fédérale et au ministère de la Justice, chargés d’appliquer la loi. Elles n’épargnent toutefois aucun organisme canadien chargé de surveiller les crimes économiques, y compris Revenu Canada.

« Jusqu’à maintenant, aucun cas de corruption internationale n’a été détecté par les autorités fiscales et, à la connaissance de leurs représentants rencontrés, ils n’ont jamais rapporté aucun soupçon de corruption à l’étranger », mentionne le rapport.

Les experts écorchent particulièrement le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE), les services de renseignement antiblanchiment.

« Les autorités canadiennes elles-mêmes craignent que le Centre ne puisse pas fournir de l’information utile en temps opportun », déplore le Groupe d’experts.

Information rare

Par ailleurs, l’OCDE et les citoyens doivent croire le gouvernement sur parole lorsque le pays affirme lutter contre la corruption transnationale, puisqu’Ottawa ne donne accès à aucune statistique en la matière.

Le Groupe d’experts presse donc le gouvernement de créer une base de données sur la détection de la corruption internationale, les enquêtes, les poursuites et la fermeture de cas.

Mauvaise protection des sonneurs d’alarme

Le secteur privé en prend pour son rhume dans le rapport. Les auditeurs de l’OCDE critiquent « le manque patent d’engagement des associations d’entreprises » pendant leur visite au Canada. Ils dénoncent notamment l’absence de protection des sonneurs d’alarme dans les entreprises.

Pas de réaction d’Ottawa

Contactés pour réagir au rapport, le ministère de la Justice et la GRC ont tous les deux renvoyé les questions de La Presse aux Affaires mondiales. Le cabinet de la ministre Mélanie Joly n’a toutefois transmis aucune réaction.

En savoir plus
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    Nombre de personnes sanctionnées pour corruption internationale dans les 41 pays signataires de la Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers
    Source : Groupe de travail de l’OCDE sur la corruption, Rapport annuel 2022