L’inflation mesurée par l’Indice des prix à la consommation (IPC) a reculé à 2,8 %, mais la Banque du Canada estime que les mesures de l’inflation de base, à plus de 3 %, sont encore trop élevées pour enclencher la baisse du taux directeur. La banque centrale se trompe, selon un nombre croissant d’économistes, dont ceux de la Financière Banque Nationale, qui croient que l’inflation « réelle » serait plutôt de 1,9 %. Explications.

Pourquoi la Banque du Canada surestime-t-elle l’inflation ?

La banque centrale s’appuie sur deux mesures de l’inflation de base, l’IPC-med et l’IPC-tronq, explique Matthieu Arseneau, économiste et co-auteur avec Alexandra Ducharme de l’étude de la Financière Banque Nationale.

Ces deux mesures excluent les éléments les plus volatils de l’IPC global pour donner un portrait de l’inlfation sous-jacente. Mais elles tiennent compte indirectement du coût de l’intérêt hypothécaire et du coût du loyer, qui faussent le portrait. La hausse du coût de l’intérêt hypothécaire est la composante qui a contribué le plus à l’inflation globale en février.

La hausse du coût de l’intérêt hypothécaire disparaîtra avec la baisse des taux d’intérêt et la Banque du Canada n’a aucun contrôle sur le coût du loyer, qui augmente parce qu’il manque de logements alors que la population est en forte augmentation. Ces deux éléments font augmenter artificiellement l’IPC.

Quelle serait la vraie mesure de l’inflation ?

En excluant le coût de l’intérêt hypothécaire, l’inflation ne serait pas de 2,8 %, mais de 1,9 %, soit un niveau inférieur à la cible de 2 % de la Banque du Canada.

Les économistes de la Banque Nationale soulignent que la Banque de Suède exclut depuis 2017 le coût de l’intérêt hypothécaire, directement lié à l’augmentation des taux d’intérêt, pour éviter que la politique monétaire affecte la mesure de l’inflation.

Le coût du loyer pourrait aussi être exclu de la mesure de l’inflation de base, parce que son augmentation s’explique par une pénurie de logements et une population en forte augmentation, pas parce que l’économie surchauffe. En augmentant les taux d’intérêt pour combattre l’inflation, la banque centrale contribue à augmenter le déséquilibre entre l’offre et la demande de logements en décourageant la construction de logements.

Si on enlève aussi le coût du loyer du calcul, l’inflation pointe à seulement 1,4 %.

Pourquoi se fier à une nouvelle mesure ?

De 2001 à 2016, la Banque du Canada utilisait une autre mesure de l’inflation de base, l’IPCX. Cette mesure exclut huit des composantes les plus volatiles de l’IPC de base et ne tient pas compte du coût des intérêts hypothécaires. L’IPCX est actuellement à 2,1 %, beaucoup moins que l’IPC-med (3,1 %) et l’IPC-tronq (3,2 %) et presque à la cible de la Banque du Canada.

Les économistes de la Banque Nationale estiment que l’IPCX devrait redevenir la principale mesure de l’inflation de base pour éviter de surestimer l’inflation et d’infliger plus de dommages que nécessaire à l’économie.

Qui a raison ?

« Peut-être ont-ils raison », dit l’économiste et professeur à l’Université Laval Stephen Gordon, à propos des économistes qui critiquent la façon dont la Banque du Canada mesure l’inflation de base. Il faut en débattre, dit-il. « Mais le mandat de la Banque du Canada est de cibler l’IPC tout court, elle ne peut pas l’écarter et choisir de suivre un autre indicateur. »

Pour suivre l’évolution de l’inflation de base, la Banque du Canada a des raisons de jouer de prudence, selon lui, « pour éviter que l’inflation rebondisse après une baisse des taux d’intérêt, ce qui serait le cauchemar ».

Tout le monde veut que les taux d’intérêt baissent, mais la Banque du Canada n’a pas le mandat d’éviter une récession, rappelle le professeur, mais de combattre l’inflation, même au prix d’une récession.