La nouvelle du report du projet pétrolier Bay du Nord au large de Terre-Neuve n’a pas soulevé beaucoup de vagues, mais on pourrait un jour s’en souvenir comme d’un évènement qui a marqué le début de la fin de l’ère du pétrole.

Equinor, géant norvégien du pétrole connu autrefois sous le nom de Statoil, veut récupérer entre 300 millions et 1 milliard de barils de pétrole enfouis sous la mer au large de Terre-Neuve sur une période de 30 ans. Coût estimé du projet : 16 milliards, selon les derniers chiffres rendus publics, probablement plus aujourd’hui, ce qui explique la décision d’Equinor de freiner.

L’entreprise n’a pas abandonné le projet, mais elle le reporte pour une période pouvant aller jusqu’à trois ans. D’ici là, il peut se passer beaucoup de choses dans le vaste monde de l’énergie.

Le secteur se transforme à la vitesse grand V. Ce n’est pas la première fois que la fin du pétrole est annoncée. Le monde a commencé par s’inquiéter de manquer de pétrole parce que les réserves mondiales s’épuisaient. Aujourd’hui, la fin du pétrole pourrait arriver parce que le monde n’en voudra plus, c’est-à-dire quand la demande mondiale commencera à fléchir à cause de la transition énergétique.

Ça pourrait se produire au tournant de 2030, selon les prévisions les plus crédibles, dont celles de BP et de l’Agence internationale de l’énergie.

Dans son scénario intermédiaire, BP prévoit que la demande mondiale de pétrole va rester stable jusqu’en 2030 et va décliner par la suite. Le déclin sera lent et personne ne prévoit encore que le pétrole disparaîtra complètement, mais la demande devrait poursuivre inexorablement sa descente.

Ce genre de prévisions repose sur beaucoup d’incertitudes. Il faut que les pays qui se sont dotés d’objectifs en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre réussissent à atteindre ces objectifs, que l’électrification des transports s’accélère et que les investissements dans les énergies renouvelables continuent d’augmenter.

Depuis cinq ans, il y a plus d’argent qui est investi dans les énergies renouvelables que dans le pétrole, le gaz ou le charbon. Pour chaque dollar investi dans l’énergie fossile, 1,7 dollar sera investi cette année dans les énergies renouvelables, rapporte l’Agence internationale de l’énergie dans son récent rapport sur l’investissement dans le secteur de l’énergie. Il y a cinq ans, ce rapport était d’un pour un.

On peut certainement douter que la fin du pétrole soit proche, mais certains signes ne trompent pas. Et ces signes viennent des pétrolières elles-mêmes : elles n’investissent plus pour augmenter leur production.

Les grandes entreprises pétrolières ont fait des profits extraordinaires en 2022, en raison de la flambée du brut qui a suivi l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Shell a affiché un profit de 40 milliards US, Exxon rapporte un bénéfice net de 56 milliards US. La plupart ont multiplié par deux leur rentabilité comparativement à l’année précédente. C’est le cas d’Equinor, dont les profits sont passés de 33,5 milliards US en 2021 à 75 milliards US l’an dernier.

Après avoir engrangé de tels profits, les entreprises pétrolières ont annoncé une augmentation de leurs investissements, mais une augmentation très inférieure à celle attendue.

Le total des investissements annoncés en 2023 représente moins de la moitié des revenus disponibles (cash flow) des pétrolières. Entre 2010 et 2019, le secteur pétrolier investissait les trois quarts de ses revenus pour augmenter sa production.

Les pétrolières choisissent de rembourser leurs dettes, d’augmenter leurs dividendes et de racheter leurs actions plutôt que de réinvestir dans leurs activités. Ça indique à tout le moins que leur confiance en l’avenir est ébranlée et que la diminution de la demande mondiale est une possibilité, pas seulement un rêve d’environnementalistes.

Globalement, les investissements du secteur pétrolier augmenteront de 7 % en 2023, selon l’AIE. Mais cette augmentation est concentrée chez les producteurs du Moyen-Orient, dont les coûts de production sont très bas, et qui seront pratiquement les seuls à retrouver leur niveau d’investissement d’avant la pandémie.

Les autres producteurs, et notamment ceux actifs au Canada, jouent de prudence. Les investissements prévus dans le secteur pétrolier au Canada cette année sont en hausse, mais l’argent ira au maintien des installations et servira aussi à éponger la hausse des coûts due à l’inflation, selon l’association des producteurs canadiens. La fin du pétrole, la vraie, est maintenant envisagée sérieusement.

Voyez les prévisions de BP (en anglais) Voyez le rapport de l’Agence internationale de l’énergie (en anglais)