Les réponses étonnantes d’un robot conversationnel comme ChatGPT et toutes les intelligences artificielles qui ont modifié notre quotidien ont un coût environnemental que des scientifiques calculent depuis quelques années. Mais il y a des solutions que ces intelligences pourraient elles-mêmes contribuer à trouver.

L’équivalent de cinq voitures

Les intelligences artificielles basées sur les réseaux de neurones, cet « apprentissage profond » qui connaît de grands succès depuis une décennie, impliquent des milliers, sinon des millions d’heures de calcul informatique. Comme on raffine le pétrole, un parallèle souvent cité, des ordinateurs doivent analyser des volumes astronomiques de données. Une équipe de l’Université du Massachusetts a fait l’exercice en 2019 d’évaluer et de comparer la consommation énergétique de cet entraînement et d’en calculer les émissions de gaz à effet de serre (GES), basées sur le « mix » d’électricité typique du plus gros fournisseur infonuagique, AWS, d’Amazon.

En voici les conclusions.

« Alors que beaucoup d’entre nous y ont probablement pensé de manière abstraite et vague, les chiffres montrent vraiment l’ampleur du problème, a résumé Carlos Gómez-Rodríguez, informaticien à l’Université de A Coruña en Espagne, cité par le MIT Technology Review. Ni moi ni les autres chercheurs avec qui j’en ai discuté ne pensions que l’impact sur l’environnement était aussi important. »

Plus qu’Hydro-Québec

On l’oublie facilement, mais toute activité informatique à grande échelle implique une grande consommation d’électricité. Aucune étude n’a malheureusement pu établir la consommation globale de tous les ordinateurs dans le monde utilisés pour l’intelligence artificielle. On a cependant un portrait assez précis de la consommation des quelque 8000 centres de données dans le monde grâce à un rapport de l’Agence internationale de l’énergie publié en septembre 2022. Ces infrastructures sont centrales pour le numérique, de l’internet à l’entraînement des IA.

En excluant les cryptomonnaies, on estime que les centres de données ont consommé en 2021 entre 0,9 et 1,3 % de l’électricité utilisée dans le monde, soit entre 220 et 320 TWh pour des émissions en équivalent CO2 de 300 millions de tonnes. À titre de comparaison, le Québec a produit 213 TWh en 2019, le dernier bilan complet de la Régie de l’énergie du Canada. Les émissions de GES au Québec se sont établies à 84,3 millions de tonnes en 2019, selon Québec.

126 maisons danoises

En 2020, trois chercheurs du département d’informatique de l’Université de Copenhague, Lasse F. Wolff Anthony, Benjamin Kanding et Raghavendra Selvan, ont mis au point un logiciel, Carbontracker, permettant de calculer la consommation énergétique et les émissions de GES de l’entraînement d’une IA. Leurs principales découvertes :

  • Une séance d’entraînement pour ChatGPT-3 équivaut à la consommation d’électricité de 126 maisons danoises en un an.
  • La quantité de CO2 émise équivaut à 700 000 km de conduite automobile.

« Les développements dans ce domaine sont extrêmement rapides et les modèles d’apprentissage profond deviennent constamment plus grands et plus avancés », a déclaré M. Anthony à la revue Unite.AI. « À l’heure actuelle, on assiste à une croissance exponentielle. Et cela signifie une consommation d’énergie croissante à laquelle la plupart des gens semblent ne pas penser. »

Questions d’efficacité

Cette idée de « consommation croissante » ne fait cependant pas l’unanimité. Une étude plus récente, publiée en juin 2022 et impliquant des chercheurs de Google et de l’Université de Californie à Berkeley, estime que l’empreinte écologique de l’entraînement des IA va atteindre bientôt un plateau avant de diminuer.

Dans son rapport de septembre dernier, l’Agence internationale de l’énergie indique que nous sommes déjà sur cette voie : on note qu’alors que l’utilisation de l’internet a explosé en 2021, avec une hausse de 31 % de la consommation de données mobiles, la demande en électricité n’a augmenté que de 5 %.

L’IA à la rescousse de l’IA

Pour Bernard Lebelle, PDG de la firme montréalaise The Green Link, qui conseille les entreprises en développement durable, c’est cette perspective d’« optimisation » qu’il faut retenir.

PHOTO FOURNIE PAR THE GREEN LINK

Bernard Lebelle, PDG et fondateur de la firme montréalaise The Green Link

Comme dans toute technologie, on a forcément une montée en puissance de cet impact parce qu’on n’a pas trouvé le moyen de l’optimiser. Une fois qu’elle est à maturité, on est capable d’être plus performant.

Bernard Lebelle, PDG et fondateur de la firme montréalaise The Green Link

Les chercheurs en IA ont fait des pas de géant pour entraîner leurs modèles sur de plus petites bases de données, souligne-t-il. Il rappelle en outre que les impacts en matière d’émissions de GES dépendent évidemment de la source de production d’électricité. Et l’IA apportera une aide précieuse pour améliorer des sources renouvelables comme le solaire et l’éolien tout en aidant au stockage.

« Aujourd’hui, on se pose ces questions alors qu’on utilise une infrastructure informatique du XXsiècle. Dès qu’on va tomber dans le quantique ou le photonique, le jour où on va commencer à faire tourner de plus en plus facilement nos modèles, les impacts environnementaux ne seront plus les mêmes. »

En savoir plus
  • 327,5 milliards US
    Estimation du marché mondial de l’intelligence artificielle en 2021
    source : Statista
    1,16 milliard
    Nombre d’utilisateurs de ChatGPT en avril 2023
    source : VEZA Digital