Les entreprises locales demandent une vigoureuse réponse canadienne au discours sur l’état de l’Union du président américain

Les envolées oratoires de Joe Biden ont fait monter l’inquiétude des milieux manufacturiers, de ce côté-ci de la frontière.

Dans son discours sur l’état de l’Union prononcé devant le Congrès, mardi soir, le président américain a défendu ses politiques protectionnistes et a annoncé « de nouvelles normes pour exiger que tous les matériaux de construction utilisés dans les projets d’infrastructure fédéraux soient fabriqués en Amérique : du bois, du verre, des cloisons sèches, des câbles de fibre optique fabriqués en Amérique ».

Manufacturiers et Exportateurs du Québec (MEQ) a demandé une réponse vigoureuse du Canada pour protéger l’accès des manufacturiers québécois au marché américain.

« Malheureusement, au fil des années, on a vu que plus les mesures protectionnistes sont fortes, plus nos entreprises choisissent d’investir aux États-Unis pour pouvoir accéder aux marchés publics », observe Véronique Proulx, présidente-directrice générale de MEQ.

« Il y a plusieurs entreprises dans le secteur de la construction, et je pense aussi aux autobus Lion, qui se sont installées aux États-Unis pour accéder aux marchés publics, avoir accès aux programmes et dans certains cas aux mesures financières, explique-t-elle. Ce sont des investissements qu’on perd. »

Un exemple

Même la filiale canadienne d’une entreprise américaine peut être inquiétée par la rhétorique présidentielle.

« Ça peut nous toucher, absolument. Même notre maison mère est inquiète de ça », confie Jean-Pierre Benoit, vice-président corporatif et directeur général d’American Biltrite Canada, dont l’usine sherbrookoise a ouvert ses portes en 1913. La manufacture de 280 employés fabrique des couvre-planchers commerciaux et du caoutchouc industriel utilisé notamment dans les infrastructures routières.

« À peu près 50 % de nos ventes sont faites aux États-Unis », indique Jean-Pierre Benoit. Une partie non négligeable est destinée aux édifices fédéraux et aux infrastructures routières de compétence fédérale.

Devant la montée du protectionnisme américain, l’entreprise sherbrookoise a déjà pris la précaution de diversifier ses marchés, notamment en Australie et en Nouvelle-Zélande, qui représentent maintenant 15 % des ventes. Mais il demeure que les marchés étrangers sont longs à percer.

« Ça ne se fait pas en criant ciseau. En 2023, on compte beaucoup sur les États-Unis, dont les structures fédérales. »

Le bois : une phrase qui ne veut rien dire

À l’inverse, la mention du bois dans le discours du 46e président des États-Unis n’a pas fait frémir l’industrie forestière québécoise.

« Pour nous, la petite phrase d’hier n’a à peu près aucun impact », affirme Michel Vincent, directeur économie et marchés au Conseil de l’industrie forestière du Québec.

Premièrement, on est en litige avec les Américains sur le bois d’œuvre depuis déjà six ans, ce qui fait que tous les canaux de communication avec le gouvernement sont bien établis.

Michel Vincent, directeur économie et marchés au Conseil de l’industrie forestière du Québec

L’usage du bois d’œuvre n’est pas limité à la construction résidentielle. Il intervient notamment dans la fabrication des coffrages pour le béton des ouvrages d’art.

« Ce qu’il faut comprendre, c’est que les Américains consomment annuellement autour de 55 milliards de pmp [pieds mesure de planche] », poursuit-il.

« Ils en ont produit à peu près 37 milliards au maximum et tout le bois qu’ils produisent est consommé et utilisé chez eux pour la construction résidentielle et non résidentielle. »

Malgré les prétentions présidentielles, les États-Unis ne peuvent donc se passer du bois canadien.

Que fait le gouvernement ?

La présidente de MEQ craint les effets conjugués des mesures protectionnistes et de l’Inflation Reduction Act, dont le bouquet de programmes environnementaux incluait une enveloppe de 37 milliards en crédits fiscaux pour la modernisation de l’industrie manufacturière américaine.

L’administration Biden est en train de mettre en place tous les ingrédients nécessaires pour favoriser la croissance d’un secteur manufacturier fort aux États-Unis.

Véronique Proulx, présidente-directrice générale de Manufacturiers et Exportateurs du Québec (MEQ)

« Ils ont vraiment un plan de match solide et très agressif. Et nous disons : que fait le Canada ? », assène-t-elle. « Le gouvernement fédéral doit réagir pour mettre en place des mesures qui vont favoriser l’investissement ici et augmenter notre compétitivité. »

Réaction à Québec

Le protectionnisme américain « est un sujet qui a été discuté à la rencontre des ministres des Finances, a commenté le ministre des Finances du Québec, Eric Girard. Le gouvernement fédéral regarde ce qu’il va faire dans son budget pour répondre à l’Inflation reduction Act. »

Dans son prochain budget, le Québec ne prévoit pas de programmes de subvention pour attirer ou retenir les entreprises manufacturières.

« Nos outils sont déjà en place : Investissement Québec, le Fonds de développement économique, a poursuivi M. Girard. On regarde les dossiers au cas par cas, et lorsque c’est à l’avantage du Québec, par exemple en aéronautique, on a démontré dans le passé qu’on pouvait travailler avec le fédéral. Généralement, les interventions sont 50/50. »

Pendant ce temps, à Ottawa

Dans le camp fédéral, pourtant, la réaction n’a pas péché par excès de vigueur.

« En tant que principal exportateur vers plus de 30 États américains, il est important d’avoir des systèmes commerciaux équitables qui soutiennent les emplois canadiens, créent la stabilité pour nos travailleurs et la croissance des deux côtés de la frontière », a fait savoir par écrit la ministre du Commerce international, de la Promotion des exportations, de la Petite Entreprise et du Développement économique, Mary Ng.

« Les entreprises, les fabricants et les travailleurs canadiens sont depuis longtemps la pierre angulaire d’une infrastructure américaine solide et fiable – et nous les défendrons toujours. » La pierre angulaire canadienne de l’infrastructure américaine aurait pourtant besoin d’une solide fondation. C’est pourquoi Jean-Pierre Benoit aimerait que le gouvernement fédéral secoue davantage les colonnes du temple.

« Je pense que ça va demander une réponse canadienne qui soit plus que seulement des plaintes et des avis juridiques. Peut-être une réponse semblable à celle des États-Unis. Nous, en tout cas, on en bénéficierait, parce qu’il y a plusieurs appels d’offres d’infrastructures canadiennes qui sont gagnés par des Allemands. On a un gros compétiteur italien. Alors s’ils faisaient la même chose au Canada, pour nous, ça serait comme on dit en anglais un zero-sum game. »

Avec la collaboration de Mélanie Marquis à Ottawa et de Fanny Lévesque à Québec