Au début de 2023, il y a toujours un trou dans l’écosystème québécois des batteries. À Québec, on se demande encore si l’on sera capable d’attirer le chaînon manquant, un fabricant de cellules de batterie. Le vent se met cependant à tourner.

« On sent que Paolo Cerruti est plus souvent à Montréal qu’ailleurs aux États-Unis, raconte le ministre québécois de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon. Les questions commencent aussi à être plus précises. On parle de financement, d’intégration, d’accès à l’énergie. C’est là que j’ai commencé à me dire : ‟OK, on a peut-être une chance.” »

Le ministre a déjà échangé avec le cofondateur de Northvolt, mais pas en territoire québécois. Cela change le 6 février dernier, autour d’une table chez Osco !, le restaurant de l’hôtel Intercontinental situé dans la rue Saint-Antoine, au centre-ville de Montréal. Le tête-à-tête débute vers 7 h 30 et durera 90 minutes. Devant son traditionnel mélange yogourt et granola – un incontournable pour le ministre lorsqu’il s’arrête tôt le matin à cet endroit –, M. Fitzgibbon arrive à créer un point de bascule pour le cofondateur de l’entreprise.

C’est là, je pense, qu’on a compris à quel point nous étions complémentaires avec le Québec. Dans le sens où la province voulait combler le chaînon manquant de la filière qui était la cellule. Là, les choses s’accélèrent de leur côté et de notre côté.

Paolo Cerruti, président de Northvolt Amérique du Nord

Que des finalistes

Du côté de Northvolt, la liste des sites candidats s’est considérablement raccourcie. Il n’en reste que deux aux États-Unis. Le premier se trouve dans l’État de New York, tandis que l’autre est au Michigan. Cet endroit sera finalement sélectionné par Ford et son partenaire chinois pour y installer une usine de batteries.

« Le wildcard arrive aussi sur la table, un site au Québec », confie M. Cerruti.

Ciblé par le gouvernement Legault, l’endroit est désormais bien connu. Il s’agit du terrain qui abritait autrefois l’usine d’explosifs de la Canadian Industries Limited (CIL). Cet immense site qui chevauche les municipalités de McMasterville et Saint-Basile-le-Grand, sur la Rive-Sud de Montréal, s’étend sur environ 170 hectares, soit environ 130 terrains de football.

L’endroit répond à plusieurs critères pour l’entreprise. Il est vaste, à proximité de lignes à haute tension, mais surtout, à proximité d’un bassin de population où l’on retrouve des universités et un aéroport international. Ce dernier critère a été « sous-estimé » en Suède, explique M. Cerruti. Le complexe initial du fabricant de cellules se trouve à Skelleftea, dans le nord du pays scandinave. Cette petite municipalité est située à environ 800 kilomètres de la capitale, Stockholm.

PHOTO NORTHVOLT, FOURNIE PAR REUTERS

Une vue d’ensemble des installations de Northvolt à Skelleftea, en Suède.

« C’est quelque chose, finalement, que nous avions sous-estimé en Suède pour l’usine, dit M. Cerruti. C’est loin, c’est plus difficile d’attirer du talent de haut niveau là-bas. »

De plus en plus de cases sont cochées sur la liste de Northvolt. Il y a cependant une condition sine qua non pour convaincre l’entreprise de tourner le dos aux États-Unis. Elle doit avoir droit au « traitement IRA » qu’elle obtiendrait au sud de la frontière. Cette question sera au cœur de sérieuses négociations entre Québec et Ottawa. L’annonce d’une première usine de batteries pour véhicules électriques survient en mars dernier. On apprend que Volkswagen s’installera en Ontario. Le constructeur obtiendra jusqu’à 13 milliards en soutien financier du gouvernement fédéral, qui accepte de concurrencer l’IRA. Les demandes de Stellantis pour obtenir le même traitement après l’annonce de son projet ontarien obligeront aussi Ottawa à délier les cordons de la bourse.

Je savais qu’à ce moment-là, si nous ne pouvions pas offrir à Northvolt l’équivalent de l’IRA, c’est clair qu’on ne l’avait pas.

Pierre Fitzgibbon, ministre québécois de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie

M. Champagne est un allié dans tout le démarchage effectué auprès du fabricant de cellules. Il ne suffit cependant pas de le convaincre. Le reste du gouvernement Trudeau doit aussi monter à bord. Il y a du travail à faire du côté du ministère des Finances, dirigé par Chrystia Freeland.

Une oreille dans les coulisses

Québec met beaucoup de pression pour convaincre Ottawa. On cherche des alliés. En mars dernier, M. Fitzgibbon prend le téléphone et fait appel à une connaissance de longue date : Michael Sabia. Ce dernier est toujours sous-ministre au ministère fédéral des Finances et n’a pas encore été nommé à la tête d’Hydro-Québec – rôle qu’il occupe depuis août dernier.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Justin Trudeau, François Legault, François-Philippe Champagne et Pierre Fitzgibbon lors de l’annonce de la venue de Northvolt au Québec, le 28 septembre dernier

M. Sabia est considéré comme l’un des conseillers économiques les plus chevronnés du gouvernement fédéral. Les deux hommes se sont notamment côtoyés à la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ) il y a plus d’une décennie. M. Fitzgibbon a siégé au conseil d’administration du bas de laine des Québécois de 2009 à 2012 alors que l’institution était dirigée par M. Sabia.

« Je me suis permis de l’appeler [M. Sabia] même s’il ne jouait pas un rôle politique, raconte M. Fitzgibbon. Mais c’était le numéro deux aux finances. Il y avait beaucoup de pression pour convaincre le Ministère. Le cadre financier, c’est lui qui l’avait entre les mains. À un moment donné, il m’a posé la question : ‟Si tu n’en choisis qu’un seul [cellulier], lequel vous prendriez ?” On avait dit Northvolt. »

Au gouvernement Legault, on considérait M. Sabia comme un allié capable de faire valoir, à l’intérieur de la machine fédérale, les bénéfices, pour le Québec, d’accueillir un fabricant de cellules de batterie au sein de son écosystème.

« S’il y avait une personne capable de déterminer s’il y avait de la place dans le cadre financier pour conclure une autre transaction de type IRA, c’était lui », résume une source gouvernementale.

Parallèlement à ce processus, il y a aussi du va-et-vient entre Northvolt et Ottawa. M. Cerruti et son équipe commencent aussi à constater que la machine fédérale tourne moins rapidement qu’au Québec.